Image à la une : Vue aérienne des ruines de Volubilis vers 1935

Texte rédigé à partir d’un article de Michel Kamm (Courrier du Maroc du 1er septembre 1955).

En l’an 172/788 Idriss ben Abdallah, descendant de Ali, gendre du Prophète arrive au Maghreb Extrême, nom donné par les auteurs arabes au pays que nous nommons le Maroc. Il avait participé en 786 à un complot manqué des Alides contre les califes Abbasides et bien heureux d’avoir sauvé sa vie, il s’enfuit accompagné d’un seul affranchi, Rached.
Idriss, réfugié politique ! s’installe à Walili (Volubilis) au milieu de la tribu berbère des Awaraba (Aouréba), originaires de Kairouan qui lui font bon accueil et le prirent même pour chef. Le calife abbaside Haroun er-Rachid apprenant l’installation d’Idriss au Maroc et les succès qu’il remporte, décide alors de faire périr ce rival en puissance avant qu’il n’ait un pouvoir trop important. Il envoie au Maroc un émissaire Soleiman ben Jarir avec mission d’assassiner Idriss. Soleiman empoisonne Idriss en 177/793.
Idriss laisse une servante berbère, Kenza, enceinte. Deux mois après la mort d’Idriss, le 3 Rajab de l’année 177 (J.-C. 14 octobre 793) elle met au monde un fils qui reçoit le nom d’Idriss : Idriss ben Idriss ben Abdallah

L’affranchi de son père, Rached, s’occupe de lui, l’élève avec le plus grand soin et lui fait apprendre le Coran. Idriss sait le livre par cœur à l’âge de huit ans. Rached lui enseigne aussi les traditions prophétiques, la tradition musulmane, la science en matière de religion et celle de la langue arabe ; il lui fait apprendre les poésies et les proverbes arabes avec l’enseignement qu’ils comportent. Il lui apprend l’histoire des Rois et celle des grands hommes ; il l’initie enfin à l’art de la guerre, l’exerçant à monter à cheval, à tirer des flèches, etc.

À peine arrivé à l’âge de 11 ans, Idriss ben Idriss possède à fond toutes ces sciences et se trouve apte à prendre le pouvoir. Il est donc proclamé par les Berbères qui viennent lui jurer obéissance et fidélité. D’après Ibn Khaldoun, les Berbères proclamèrent Idriss II alors qu’il était dans le sein de sa mère, puis quand il fut devenu nourrisson, ensuite au moment du sevrage, enfin dès son adolescence ; sa proclamation à la mosquée de Volubilis eut lieu en 188 (J.-C. 804).

Rached qui avait accompagné toute l’éducation d’Idriss est assassiné, mais tous les auteurs ne s’accordent pas sur la date du meurtre.
Pour certains c’est deux ans avant la proclamation, en 186 (J.-C. 802), que Rached a été assassiné à l’instigation du souverain de Tunisie, Ibrahim ben El-Aghlab qui avait soudoyé quelques Berbères à cet effet et s’était fait apporter sa tête. L’éducation d’Idriss II avait été alors assurée par Abou Khaled Yécid ben Elyas El-Abdi, qui l’avait poursuivie jusqu’à la proclamation de l’enfant. Les Berbères épousèrent sa cause et renouvelèrent spontanément le serment d’obéissance.

D’après le Roudh-el-Kartas, le meurtre de Rached aurait eu lieu l’année même de la proclamation d’Idriss ben Idriss, qui date du premier vendredi de Rahi 188 (J.-C. 804) alors qu’Idriss avait 11 ans et cinq mois ; il lui serait antérieur de vingt jours.

El Bernoussi et El Bekri placent la mort de Rached après la proclamation d’Idriss ; Rached le fait proclamer par les Berbères le vendredi 7 Rabi el ouel de 188 (23 février 804).

Lors de sa proclamation, Moulay Idriss monte sur la chaire et fait le prône suivant :
« Louange à Dieu ! Je le loue, m’en remets et me confie à Lui, Lui demande aide et assistance, j’ai recours à Lui contre le mal qui me vient de moi-même ou que me procure autrui. J’atteste qu’il n’y a pas d’autre Dieu que Dieu et que Mahomet est Son serviteur et Son prophète envoyé en apostolat chez les créateurs pour leur prêcher la bonne nouvelle, les appeler à Dieu et les éclairer d’une lumière étincelante. Que Dieu répande Ses bénéfices sur lui ainsi que sur les membres de sa famille, êtres purs que Dieu a préservés de la souillure et purifiés. Peuple ! Nous avons été investis de cette charge qui grandit la récompense pour l’homme de bien et le châtiment pour l’homme de mal. Dieu soit loué ! Nous poursuivons la justice, ne vous pliez donc pas à d’autre autorité que la nôtre, car le règne du droit que vous cherchez, vous ne le trouverez qu’avec nous ».

Ensuite il exhorte le peuple à le proclamer, et à reconnaître son autorité. Tout le monde est émerveillé de son éloquence et de sa force d’âme malgré sa jeunesse.

Idriss descend alors de la chaire ; on s’empresse de le proclamer, et on se presse en foule autour de lui pour lui embrasser la main. Il est proclamé par toutes les tribus du Maroc : Zenata, Aouréba, Senhadja, Ghemara et autres berbères ; son autorité est reconnue du pays entier.

Peu après cette proclamation son affranchi Rached est assassiné.

Sur le meurtre de Rached on cite, entre autres, ces vers adressés par Ibrahim ben El-Aghlab au calife Er-Rechid, auprès duquel il voulait se faire passer pour un homme de bon conseil et un serviteur parfait :
« Ne vois-tu pas que par la ruse j’ai fait disparaître Rached et que par une autre je vais tuer le fils d’Idriss ? ».
« Mon esprit est tendu vers ce but malgré l’éloignement du Maroc en lui donnant une mort dont celui qui a tendu les pièges sera favorisé ».
« Le frère d’Akki se vante du meurtre de Rached : j’étais là, mais lui était couché ».
Par le frère d’Akki l’auteur veut nommer Mohamed ben Mouqafil El-Akki, gouverneur de Tunisie.

Après le meurtre de Rached à l’instigation d’Ibn el-Aghlab, El-Akki s’était en effet attribué cet acte dans une lettre qu’il avait adressée au calife Er-Rechid, mais une autre lettre d’un chef local au calife rétablit la vérité des faits en précisant que l’instigateur et l’auteur du meurtre était Ibn El-Aghlab. Ainsi fixé sur l’imposture d’El-Akki et la sincérité d’Ibn El-Aghlab, Er-Rechid enleva au premier le gouvernement de la Tunisie pour le donner au second. Ibn El-Aghab était avant cette affaire un sous-ordre d’El-Akki, au nom duquel il gouvernait simplement une partie du territoire.

La nouvelle de l’établissement d’un état idrisside au Maroc a éveillé des espoirs parmi les opposants à la dynastie abbaside et lorsque l’autorité d’Idriss ben Idriss fut solidement établie au Maroc, que sa puissance fut devenue considérable, et que ses troupes et sa suite eurent atteint un effectif nombreux, des groupes d’hommes vinrent auprès de lui, de divers pays : de chaque contrée on venait à sa cour. Ces Arabes sont très bien reçus car le jeune souverain, bien qu’il fût né d’une mère berbère et eût grandi au milieu des berbères, reste très attaché à son ascendance arabe, probablement sous l’influence de l’affranchi Rached.

Le reste de l’année 188 (J.C. 804) s’écoule ainsi, avec l’arrivée de groupes et l’apport de richesses, au milieu des témoignages de respect des chefs et des hauts personnages.

Au début de l’an 189 (J.C. 805) il reçoit les groupes d’Arabes de Tunisie et d’Espagne qui optent pour lui et viennent se mettre à son service ; ces arabes forment un groupe de cinq cents cavaliers environ appartenant aux tribus de Qeis, de Azd, de Madhha, d’Iahçcub, de Cadai etc. Heureux de leur arrivée, Idriss leur fait distribuer des cadeaux, les rapproche de lui, les admet auprès de sa personne, à l’exclusion des Berbères, leur porte de l’affection et vit dans leur voisinage.

Volubilis trop étroite

Il prend l’un d’eux comme vizir : Omaïr ben Moçaab El-Azdi, connu sous le nom d’el-Meljoum (le Bridé) à cause d’une cicatrice que lui avait laissé sur le nez une blessure reçue au combat. Omeir était un des plus grands seigneurs et un des plus brillants cavaliers arabes : son père Moçaab avait accompli des actions d’éclat en Tunisie et en Espagne et lors de la guerre contre les Francs. Un cadi, Amer ben Mohamed ben Saïd El-Quisï, est également choisi parmi eux. Amer est un homme de religion et de piété, doublé d’un homme de droit ; il avait suivi les cours de Malek ben Anas et de Sofyan Eth-Thaouri et citait souvent ces auteurs. Parti d’abord en Espagne, pour y faire la Guerre Sainte, il repasse la mer, débarque au Maroc et vient se présenter à la cour d’Idriss, où il se joint aux autres Arabes. Il est nommé cadi. Idriss prend encore un de ces Arabes pour secrétaire : Abou El-Hassan ben Malek El-Khazraji.

Devant l’afflux continuel d’abord des Berbères puis des Arabes, la ville de Volubilis finit par devenir trop étroite. On peut aussi penser que ces immigrants avaient un certain dédain pour cette petite cité berbère si éloignée des conceptions arabes en matière d’urbanisme et d’organisation. Aussi dès l’année 190/805-806 selon le Roudh-el-Kartas, Idriss se met en quête « de bâtir pour lui-même une ville où habiterait sa cour, son armée et les principaux personnages de sa dynastie ».

Ibrahim ben el-Aghlab apprenant le degré de puissance auquel Idriss était parvenu, décide de lui créer des difficultés en divisant les Berbères et en les soulevant contre lui. L’un de ces Berbères, Bahloul ben Abdelouahed el-Madghari, qui vivait dans l’entourage d’Idriss et constituait l’un des principaux soutiens de sa puissance, écoute ses propositions et se laisse soudoyer : s’éloignant d’Idriss il le fait déposer dans sa tribu et proclame Er-Rechid.

Idriss voulut faire la paix avec lui : il lui écrit pour essayer de l’amener à l’obéissance au nom de sa parenté avec le Prophète. On peut citer entre autres ces mots qu’il adresse à Bahloul :
« Ibrahim t’a perdu malgré l’éloignement de sa maison et un beau matin, bien que sans licou, tu as été entraîné ! On dirait que tu n’as pas entendu parler de la fourberie d’Ibn Aghlab, ni des embûches qu’il a tendues partout dans chaque pays ».
« Sans que, de toi-même, tu aies jamais désiré de choses vaines, voici qu’Ibrahim veut t’engager dans des entreprises hasardeuses ».
Mais sa tentative est sans résultat.

Idriss comprit ensuite qu’Ishaq ben Mohamed El-Aourabi se détachait de lui, pour se ranger du côté d’Ibn El-Aghlab ; il le tua en 192 (808).

Si l’autorité d’Idriss s’affermit au Maroc, lui et ses compagnons arabes se sentent moins en sécurité à Walili et l’idée d’aller s’installer ailleurs se renforce. Idriss envoie en éclaireur son vizir Omaïr qui proposera l’installation de la nouvelle ville à l’emplacement actuel de Fès.
Idriss ben Idriss achète aux occupants le terrain, et rapidement y installe son camp, entouré de palissades de bois et de roseau, et les travaux de construction commencent sur la rive droite de l’oued. (voir le texte  Fès et sa création )