Inaugurée le 23 juin 1934, sous le nom de Fès-Plage, elle est plus connue sous le nom de piscine d’Aïn Chkeff. Piscine en eau vive, située à environ 6 km de Fès, elle est alimentée par l’Aïn Chkeff, source née des neiges de l’Atlas et utilisée en partie pour alimenter Fès en eau potable.

Carte schématique des environs touristiques de Fès d’après Xavier Coutolle publiée dans le guide, « Fez la mystérieuse », édité en 1933, par le Syndicat d’initiative de Fez. La piscine n’est encore qu’en projet mais déjà mentionnée « Aïn Chkeff piscine ».
Le point d’eau a favorisé l’installation d’un petit hameau berbère de quelques maisons en pisé (qualifié plus tard de Cité berbère d’Aïn Chkeff comme on peut le lire sur les cartes postales des années 1935).

Cliché de 1935
La source, après captage partiel pour l’eau potable, alimente la piscine : un barrage sur la rivière retient l’eau en lac, sur lequel flottent quelques barques et des abris de roseaux offrent une ombre très appréciée dès les beaux jours. Une brasserie complète l’ensemble.
La publicité fait la promotion de « Fès-Plage, cité berbère, piscine, brasserie et aviron ».

Invitation adressée à M. Maître, chef des Services municipaux pour la soirée de gala du 6 août 1938
Le décor est tout à fait champêtre et l’on peut apercevoir, sous le barrage, des fellahs, la peau tannée par le soleil, qui apportent le blé des moissons nouvelles à un antique moulin qui tourne mû par le courant inépuisable de l’oued Chkeff.
Les femmes de la tribu voisine des Sejjaa, l’amphore sur l’épaule, descendent en lente procession se ravitailler en eau ; on les voit également laver tapis, vêtements, burnous et djelabbas, sur les pierres polies qu’elles battent de leurs pieds nus, entourées d’une ribambelle de gamins à demi-nus qui pataugent allègrement dans le « petit bassin » né du débordement de la piscine d’eau vive.
Le Dr Edmond Secret, spécialiste du thermalisme marocain et qui fut pendant 10 ans médecin-chef de l’Hôpital Cocard, raconte en 1939 dans un article, repris en 1990 dans « Les sept printemps de Fès », la création de ce qu’il appelle « Aïn Chkeff, station balnéaire de Fès » :
Un artiste fassi Jean-Émile Laurent, aimait peindre dans cette vallée. Un jour d’été et de chergui à la vue d’enfants qui s’ébattaient dans l’eau, il lui vint l’idée d’une piscine pour les fassis accablés de chaleur. Les quelques centimètres de profondeur de l’oued ne suffisaient pas, il fallait retenir l’eau par un barrage. Laurent persuada les diverses administrations de l’utilité de son projet, les dossiers ne dormirent pas dans les bureaux et les autorisations nécessaires furent vite accordés.
Respectueux des croyances indigènes, l’inventeur de la piscine commença les travaux par le sacrifice d’un mouton au djinn de la rivière et celle-ci se laissa dompter par l’équipe des maçons. Dès l’hiver une digue barrait la vallée, retenant dix mille mètres cubes d’eau. En même temps sur les rives étaient poursuivis des terrassements et bientôt était achevée la grande piscine cimentée, avec son large escalier qui descend dans l’eau.
Le printemps fut occupé aux plantations d’arbres, saules, peupliers et mûriers au bord de l’eau, eucalyptus, cyprès et pins d’Alep sur les versants. Aujourd’hui à l’ombre des vastes feuillages, on se demande si ce n’est pas un rêve ces petits enfants d’arbres en pots, portés dans nos bras.
Tout Fès accourut à l’inauguration d’Aïn Chkeff le 23 juin 1934. Après une journée de championnats nautiques, une fête de nuit fit retentir musique de jazz et chants berbères à travers la vallée étonnée ; un dîner dansant occupa la rive gauche et une diffa haïdous la rive droite. Le succès de cette inauguration et la réussite continue de la station récompensèrent justement le travail de Laurent et la collaboration de sa courageuse compagne, Madame Laurent-Ferrier, artiste d’une délicate et délicieuse féminité .
…. L’artiste enthousiaste des ksours du sud se mua en artisan, avec une équipe de Saharaoui, il édifia selon les rites, les casbahs qui s’étagent au flanc de la vallée …Le Dr Secret évoque ensuite l’action physiologique « complexe » de l’eau :
Massée par l’eau, frappée par les rayons solaires, la peau, ce « cœur périphérique » vibre comme un immense clavier aux profondes résonances viscérales. La réaction est à la fois sédative et stimulante. La transpiration est diminuée, les psychismes irrités par le chergui sont calmés. Devenue pigmentée, la peau acquiert une consistance souple et ferme, veloutée et élastique, favorable au jeu des capillaires et des glandes sous-cutanées. La peau, ayant récupéré ses fonctions de réception et d’innervation, agit, à distance, en stimulant les centres nerveux, les viscères et les glandes à sécrétion interne. Quand on sait comme le chergui d’été encrasse les organes, congestionne le foie, bloque les reins, amollit les muscles, on voit le bienfait des heures d’héliobalnéothérapie passées à Aïn Chkeff. Une alimentation riche en vitamines exaltera encore cette action, le restaurant de la piscine offre des menus à base de fruits, on peut y pratiquer une cure avec les raisins du vignoble voisin. Ainsi l’appétit retrouvé, les différentes fonctions de l’organisme sont régularisés, le travail physique et intellectuel redevient facile, on reprend avec un dynamisme accru son service au bureau ou à l’atelier.
Aïn Chkeff mérite d’être appelé « Fès-Plage » et peut-être inscrite sur la carte hydro-climatologique de la région de Fès, comme une précieuse station balnéaire. Son rapide succès auprès des fassis et du corps médical, est un sûr garant de sa valeur.
(J-E Laurent a également créé vers 1945, la piscine en eau-vive d’Immouzer du Kandar à une quarantaine de kilomètres au sud de Fès).


Clichés familiaux 1939 : le plan d’eau et les constructions alentours.
La piscine devient rapidement le rendez vous « mondain » (cf la pub de juillet 1935) de Fès et les fêtes nocturnes fréquentes, avec orchestre, permettent d’échapper un peu à la lourde chaleur de la ville en été. Le versant héliobalnéothérapeutique (surtout lors des fêtes nocturnes !) était je crois négligé par beaucoup des participants qui souvent préféraient le jus de raisin fermenté et les céréales maltées, elles aussi fermentées ou distillées, pour s’ouvrir l’appétit …
Publicités parues dans le quotidien du nord marocain » le Courrier du Maroc » en juillet 1935 (à gauche) et en juin 1936 ( à Droite)

Au bord du bassin, sous les ombrages des saules-pleureurs, vers 1939
J-E Laurent équipe la piscine d’un bar, d’une piste de danse (un orchestre animait les après-midi du dimanche), d’un plongeoir et de jeux pour enfants.
Le caractère mondain prévalent disparaît peu à peu et la piscine d’Aïn Chkeff est fréquentée en journée par les familles venues pique-niquer dans la forêt de pins et d’eucalyptus située à quelques centaines de mètres, la baignade, dans l’eau fraîche (16 à 18 °C) terminant une journée de plein air.
C’est un but de sortie pour les jeunes qui viennent à pied ou en vélo de Fès profiter de ce havre de fraîcheur … et même parfois préparer les examens ! Dès les » grandes vacances » la piscine est un des lieux les plus agréables pour échapper aux températures caniculaires de la période estivale fassie et retrouver tous ceux qui ne sont pas partis à Immouzer, Ifrane, ou vers les plages de l’Atlantique et de la Méditerranée.
Scouts et éclaireurs de toute obédience organisent, durant l’année, leurs sorties ou camps de week-ends, profitant de la proximité de la forêt et de la piscine pour pratiquer jeux et activités en milieu naturel.
L’ambiance à la piscine d’Aïn Chkeff était en général très conviviale mais dans les années 1940, l’accès des lieux a été réglementé comme on peut le lire dans cet article du journaliste Michel Kamm, à propos de la baignade à Aïn Chkeff, paru dans le Courrier du Maroc du 7/7/46, et intitulé « Un arrêté caïdal qui doit être réformé » :
Le régime de l’accès à la piscine d’Aïn Chkeff a été il y a quelques années et, il faut bien le dire à l’occasion de lois raciales, réglementé par un arrêté du Caïd, qui en proscrit l’accès , suivant les jours, à telle ou telle catégorie de concitoyens, différents de costume, plutôt que de religion, celle-ci étant peu apparente dans certaines normes de vêture, rigoureusement uniformes dans les cinq continents.
On voit déjà par ce qui précède, que ce régime est boiteux puisqu’il ne peut-être établi que sur un contrôle des vêtements et que toute une catégorie de nos concitoyens, ainsi voués au bain du samedi, peuvent sans nul obstacle et sans nulle différenciation entre l’Ancien et le Nouveau Testament la fréquenter le dimanche !
Ainsi seuls les Marocains musulmans sont limités à leur vendredi et refoulés le dimanche.
On pourra certes rétorquer que ce régime a été instauré pour la plus grande aisance de tous, chaque religion ayant la piscine exclusivement, à son jour de repos ; mais malheureusement ce n’est pas, et par la force des choses, pas exact du tout.
En effet la plupart des fassis, chôment désormais le dimanche, et surtout dans la nouvelle génération : les jeunes, les scolaires, leurs instituteurs, les fonctionnaires, les employés, etc…
C’est dans ces conditions que les musulmans sont, en définitive, les seuls touchés par la mesure et sanctionnés, si l’on peut dire, pour porter tarbouche !
On voit que tout ce que la chose a de déplaisant, et nous demandons instamment au Caïd Raho et au Contrôle civil de Fès-Banlieue de faire cesser cette anomalie un peu anachronique.
Il ne nous restera plus qu’à demander un renforcement de la surveillance par la maréchaussée, faisant confiance en nos braves gendarmes, dont nous connaissons le caractère scrupuleux, pour que la seule limitation de l’accès de la célèbre piscine, soit celle interdisant la malpropreté et la mauvaise tenue
J’ignore quand cet arrêté – qui n’était pas spécifique à la piscine d’AÏn Chkeff – a été levé mais dès le début des années 1950, la piscine était ouverte à tous … à condition de payer l’entrée.

Aïn Chkeff dans les années 1950
La piscine existe toujours : les installations ont évolué, la clientèle aussi ; un bateau de pêche d’Essaouira est venu « s’échouer » et a hébergé un bar ; un hôtel avec une trentaine de chambres a remplacé les casbahs de J-E Laurent et permet éventuellement de prolonger les plaisirs de la baignade avant le retour « au bureau ou à l’atelier ».
La publicité ne parle plus de « station balnéaire », les vertus héliobalnéothérapeutiques sont oubliées mais elle vante » le complexe touristique d’Aîn Chkef, un bijou niché au creux d’un superbe cadre forestier au pied du Moyen-Atlas à 7 kms de la ville de Fès »
Aïn Chkeff en 2004
L’environnement en aval est moins champêtre, le débit de l’Aïn a diminué,la cité berbère en pisé est remplacée au bord de l’oued par des abris en bâches de plastique bleu et les laveuses de burnous par des laveuses de carottes et autres légumes provenant des potagers voisins et qui colorent de teintes vives les berges ocres de l’oued.

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