J’ai acheté cette photo sur internet.
J’ignore tout de cette famille … mais le motif de cette réunion familiale : « Fête de la Mouna pour le Lundi de Pâques dans la forêt d’Aïn Chkeff » – 9 avril 1928 – a ravivé des souvenirs d’enfance : notre grand-mère venant d’Algérie avait conservé cette tradition oranaise de la mouna pascale : excellente cuisinière et pâtissière, elle occupait une partie de la Semaine Sainte à confectionner avec « notre aide » !! des mounas, mises à lever près du four de la cuisinière à bois, avant d’être cuites dans un vieux four électrique ou dans le four à bois. Interdiction bien sûr de toucher aux mounas avant le jour de Pâques.
Sur cette photo : 30 personnes, hommes, femmes et enfants, domestiques, parents, grands parents, et même un chien. Au moins trois générations rassemblées dans la forêt d’Aïn Chkeff, haut lieu des pique-niques des familles de Fès (voir La piscine d’Aïn Chkeff. Fès-Plage ).
Aïn Chkeff accueillait, bien entendu, les excursions traditionnelles du lundi de Pâques et du lundi de Pentecôte où le beau temps, en général au rendez-vous, autorisait les grandes rencontres familiales difficiles à organiser dans les petits appartements de ces familles souvent d’origine espagnole et de milieu modeste.
Les sorties champêtres du lundi de Pâques étaient l’occasion de réjouissances qui ne sont pas sans rappeler les vieux rites agraires marquant l’arrivée du printemps, symbole de vie et de renouveau qui se déroulaient en des lieux ouverts, dans la campagne.
Époque où il n’y avait pas encore de zones commerciales pour passer un agréable lundi de Pâques en famille en dégustant une pâtisserie à l’huile de palme … bio !
La Mouna est la brioche traditionnelle des Pieds-Noirs d’Algérie et la gourmandise des sorties champêtres du lundi de Pâques. C’est un peu « la madeleine de Proust » du Pied-Noir !
Pendant le protectorat français au Maroc, beaucoup d’européens sont originaires d’Algérie, et manger la Mouna pour Pâques est une coutume répandue. La préparation a lieu pendant la Semaine Sainte ; les recettes sont presque des secrets de famille et leur exécution est réservée aux initiées. Souvent les mounas destinées aux enfants, plus petites, portent un œuf cuit dur à leur sommet, parfois coloré par des pigments naturels : pour le rouge les oeufs étaient cuits avec de la betterave, le jaune provenait d’une cuisson avec des oignons et le vert avec des épinards.
Des petits morceaux d’orange confite décorent les mounas des enfants.
On dit que le nom de Mouna vient du Fort Lamoune, proche d’Oran : les premiers oranais se réunissaient le Lundi de Pâques sur la montagne avoisinant le fort Lamoune, pour manger sur l’herbe le riz espagnol traditionnel, au poulet. Le dessert venu, on servait un gâteau. Le Fort donna son nom au gâteau….c’est une des versions. Et le nom du fort viendrait de l’espagnol Mona – la guenon – car les singes auraient été nombreux dans les parages. La Mouna descend du singe … !
D’autres étymologies sont proposées …. presque aussi nombreuses et imprécises que les recettes de mouna !
Je ne sais s’il y a un lien entre les deux, mais les marocains appelaient aussi « mouna » la fourniture de vivres que les populations des tribus étaient tenues de remettre aux envoyés du Sultan, mais aussi aux représentants occidentaux en ambassades qui se rendaient en visite à Fès pour rencontrer le Sultan et qui passaient sur les terres de la tribu. Loti en parle dans son livre « Au Maroc » et une mouna insuffisamment abondante était considérée comme un affront au Sultan, à ses visiteurs ou à ses envoyés.
« L’apparition de la mouna est toujours l’événement le plus considérable de notre fin d’étape ; c’est au crépuscule généralement que cela arrive, en long cortège, pour se déposer ensuite sur l’herbe devant la tente de notre ministre. …. Notre mouna de ce soir est d’une abondance royale ». Loti
Certains ont voulu rapprocher aussi, Mouna et Mimouna, rite qui clôture Pessah chez les juifs Sépharades, et rassemble famille, voisins et amis dans un grand moment de solidarité communautaire. Hypothèse incertaine, encore à explorer …
Ouvrages à consulter :
« La Mouna, une brioche qui vient de loin » Claude ARRIEU Ed Pyrégraph 1999.
« Au Maroc ». Pierre LOTI
La recette de la Mouna
Je vous propose la recette de Mouna de notre grand-mère originaire d’Oran : c’est donc la véritable recette de la Mouna, de la vraie Mouna !! Malheureusement elle n’avait aucune recette écrite et semblait mesurer les ingrédients « à vue de nez » mais les résultats étaient excellents!
Ses fille et petite-fille ont essayé de mémoire de retrouver la recette ; après de multiples essais et aidées des conseils avisés des testeurs de la famille le résultat est proche de nos souvenirs d’enfants, c’est bien là le principal…. mais certains ont peut-être d’autres recettes pour d’autres souvenirs …
Voici la nôtre (déjà donnée sur un autre site) :
500g de farine, 3 oeufs et un jaune, 140g de sucre + 1 paquet de sucre vanillé, 25 g de levure de boulanger, 10 cl d’huile,un zeste de citron, deux zestes d’orange,1 cuil.à soupe de rhum ou de cointreau, 1 cuil. à soupe de fleur d’oranger, 1 cuil. à café de sel, arômes citron, orange.
Préparation du levain: faire fondre la levure dans un petit verre d’eau tiède (7,5 cl) ; le mettre dans 120 g de farine en fontaine, du bout des doigts faire une pâte souple ; la laisser lever 2 h dans un endroit chaud, à couvert dans une petite terrine jusqu’à ce que le volume double.
Pendant ce temps préparer la pâte : oeufs + sucres + parfums + sel + huile + presque toute la farine restante ; bien mélanger dans un grand saladier.
Quand le levain est prêt l’ajouter et travailler l’ensemble en incorporant la farine restante (on peut au besoin rajouter quelques cuillerées de farine au fur et à mesure qu’on travaille la pâte) pendant 10 à 15 minutes
Laisser lever toute la nuit
Le lendemain, retravailler la pâte 5 minutes avec de la farine sur les mains. Former la ou les mounas. Mettre sur la plaque de cuisson, sur du papier sulfurisé ; laisser lever 3 ou 4 h.
Badigeonner avec le jaune d’oeuf, saupoudrer de sucre, faire une petite incision en croix sur le dessus.
Mettre 30 minutes à 160°C dans un four préchauffé, vérifier la cuisson à la lame du couteau qui doit rester sèche .
Certains utilisent du beurre pour la pâte, notre grand-mère utilisait de l’huile : sa recette était héritée de sa famille originaire d’Espagne où à la fin des années 1800 et début 1900 le beurre était une denrée rare et donc peu utilisée dans la pâtisserie.
« Notre » mouna avait la forme d’un dôme, de taille variable ; d’autres sont cuites dans des moules en couronne.
La mouna est dégustée pour le petit-déjeuner du dimanche de Pâques et selon les familles elle termine les différents repas du jour de Pâques. Elle est surtout la pâtisserie unique, traditionnelle et indispensable du pique-nique du lundi de Pâques au point que pour certains « Pâques n’est que la veille de la Mouna ! ».
