Sefrou doit son existence à l’Oued Aggaï : il prend naissance au Jbel Kandar (1769 m) et présente habituellement un débit modéré mais suffisant pour fournir l’eau pour l’irrigation faisant de Sefrou, pour reprendre l’expression de Si Bekkaï, pacha de la ville de 1944 à 1954, « une oasis sans palmiers, mais nid de verdure reposant sur une terre riche fertilisée par les eaux de l’Oued Aggaï » ; associé à un micro-climat l’apport permanent d’eau a valu à Sefrou le surnom de « Jardin du Maroc ».
L’oued qui traverse la ville fournissait avec ses cascades, la force motrice aux anciens moulins à huile et aux petites minoteries qui s’étageaient tout au long de son cours.
En 1920, M.Itié, aveyronnais d’origine, s’installe à Sefrou et crée une petite usine d’énergie électrique en utilisant lui aussi les cascades de l’Oued Aggaï. Il ajoute, quelques années plus tard une deuxième usine électrique, un peu plus importante, assurant ainsi à Sefrou le privilège, encore rare dans beaucoup de petites villes, de l’éclairage public.

Source de richesses pour la ville, l’Oued Aggaï est aussi à l’origine de nombreux épisodes dramatiques avec des inondations catastrophiques, lors des épisodes de fortes précipitations d’automne. La crue du 25 septembre 1950  a marqué les esprits par les destructions considérables et le nombre de victimes qu’elle a provoqué : une trentaine de morts.

Nous habitions une maison au bord de l’oued, au niveau (mais en amont) du pont d’entrée à Sefrou en venant de Fès, près des escaliers du diable (Drijat Iblisse) : l’eau est montée jusqu’au 1er étage de notre maison. Trop jeune pour conserver la mémoire des faits, j’ai le souvenir de ce que m’en ont dit mes parents et plus particulièrement mon père, chef du réseau électrique de Sefrou et responsable à ce titre du fonctionnement de l’usine électrique.

La pluie commence à tomber vers 15h00 avec une grande violence, les routes de Sefrou à Boulemane et à El Ouata sont rapidement coupées par l’eau, la terre et les rochers. La ville basse (Médina et Mellah) de Sefrou est particulièrement touchée, la ville européenne pour l’essentiel construite en hauteur subit moins de dommages.

L’Oued Aggaï transformé en torrent, après les cascades, fait s’écrouler le mur de soutènement de l’usine électrique d’amont ( voir rapport ci-après) et déracine les arbres plantés sur les bords de l’oued : les saules, micocouliers, peupliers s’écroulent et portés par le flot vont heurter à la façon des béliers antiques le pont routier de la route de Fès et l’ancienne usine électrique. L’eau passe par dessus les garde-fous du pont et dévale à travers le jardin public vers la piscine de Bab M’Kam : les arbres, les troncs, les broussailles, la terre et les rochers roulent dans l’oued sorti de son lit et s’arrêtent (ou sont bloqués) sur le vieux rempart de Kouasch Rdioua, à ouverture en ogives, au niveau de la piscine.

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Le lit de l’Oued Aggaï avant son entrée au Mellah, avec au centre le vieux rempart à ouvertures pour laisser passer l’eau. Lors de la crue les branchages et autres matériaux ont obstrué ces ouvertures et entrainé la rupture du rempart.

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Autre cliché permettant de mieux visualiser la situation du rempart et la modestie de l’oued en dehors des périodes de fortes précipitations.

Le rempart finit par céder et c’est un mur d’eau qui s’abat sur la Médina et le Mellah ; l’eau monte dans les rues qui sont emportées par les flots et ravinées par endroits sur plus de 2 mètres. Une soixantaine d’immeubles et de maisons au bord de l’oued s’effondrent. C’est partout caves et maisons inondées, une accumulation de ruines, de pans de remparts écroulés, le pont des moulins en médina est emporté, les souks et les fondouks dévastés, les stocks à la rivière, les bêtes attachées périssent sur place.

L’inondation aurait fait une trentaine de morts.

Inondation du 25 septembre 1950 : Faits intéressants l’exploitation électrique

Extrait du rapport rédigé par mon père pour rendre compte des conséquences de l’inondation pour le réseau électrique.

La pluie tombant avec violence et sans interruption notable durant tout l’après-midi et intéressant le cours supérieur de l’oued, vers 18 heures celui-ci charriait déjà plusieurs fois son volume d’eau.  À partir de cette heure jusque vers 20 heures l’eau ne cessera de monter avec rapidité.
À 19 heures l’eau passe par dessus le pont de l’usine en vagues violentes et celui-ci commence à vibrer sur ses assises.
À 19h10 double disjonction coïncidant à peu près avec l’arrachement du pont et la première vague qui pénètre dans l’usine noyant les caniveaux et les câbles. Les diesels sont arrêtés ainsi que la turbine 2. Les départs Bhalil et Sefrou sont coupés, la turbine 1 restant en service sur les services généraux.
Une sorte de digue est établie avec les fûts disponibles permettant d’enrayer un peu la montée de l’eau dans l’usine mais bientôt il est impossible de maintenir ce rempart et des fûts mêmes pleins sont emportés, le reste est coincé devant la porte. Il est alors 19h30 : le mur de soutènement devant l’usine semble emporté et il devient difficile de se rendre compte de la distance qui sépare le lit de l’oued du mur de l’usine. Il n’est plus possible de tenir devant l’usine à cause des épaves qui passent avec rapidité et seule la ligne d’arbres encore debout permet de juger que le remblai devant l’usine n’est pas encore parti, mais les arbres tombent un à un.
Tout à coup l’eau jaillit à 0,80 m de hauteur par la trappe de visite derrière la turbine 1 et autour du tuyau de fuite de la turbine 2 et en quelques secondes arrive aux bornes de la turbine 1, pénètre dans les alternateurs des diesels et gagne rapidement du coté des cellules. Il faut se demander si l’oued ne passe pas sous l’usine.
Un ouvrier est envoyé à la poste (la ligne téléphonique est coupée depuis longtemps) porteur d’un message pour M.M. Huchard (Chef des services municipaux de Sefrou) et Rispal (Directeur de la Compagnie Fasi d’Électricité à Fès). Le chemin allant à la maison du chef d’usine étant impraticable, il est nécessaire de passer par la terrasse de l’usine.
La turbine 1 est arrêtée et le matériel léger ayant été placé le plus haut possible nous songeons à évacuer l’usine : il est 19h45. Mais l’eau semble avoir atteint son point culminant et vers 19h50 elle baisse de 2 ou 3 centimètres. La turbine 1 est remise en route. L’eau décroît lentement et à 20h15 a baissé assez pour permettre de passer devant la chambre des adoucisseurs d’eau.
Le niveau d’eau au canal d’amenée ayant légèrement baissé de 19h00 à 20h10 pour ensuite tomber brusquement à zéro à 22h00, il est logique de penser que l’aqueduc a été emporté vers 19h00 soit au début de la crue ; de 19h00 à 20h10 l’eau de ruissellement compensant à peu près la faible consommation de la turbine et l’arrêt de la pluie expliquerait la chute brusque de 20h10 à 22h00.
Le lendemain la visite des ouvrages permet de faire le bilan suivant :
– Barrage pratiquement inutilisable.
– Souterrain dégradé et presque suspendu sur 20 mètres
– Aqueduc emporté
– Canal d’amenée complètement ensablé et menacé d’éboulement à 100 mètres de la chambre de mise en charge
– Pont emporté
– Les dégâts au réseau proprement dit s’avèrent peu importants et consistent surtout en dommages à la ligne haute-tension au dessus du pont près de l’ancienne usine et à quelques supports basse-tension écroulés avec les maisons au bord de l’oued au Mellah. Cependant les démolitions nécessaires dans ce quartier aggravent les dégâts de ce côté.
– Le matériel entreposé à l’ancienne usine est en partie perdu ou inutilisable l’eau étant montée à 2,50 mètres et ayant laissé une couche de vase et de débris de plus d’un mètre.
– Il faut compter une soixantaine de compteurs perdus ou endommagés et autant à changer parmi ceux qui ont été submergés.

Note : Les heures ont été relevées sur les appareils enregistreurs ou pour certaines évaluées.

Clichés de la crue : à gauche le lit de l’oued raviné, au fond l’usine. Au centre : la passerelle provisoire qui remplace le pont de l’usine emporté par la crue. À droite, déblaiement des matériaux laissés par la crue à l’ancienne  usine  électrique, près du pont routier … et de notre maison !

Après cette  crue des travaux d’aménagement des berges de l’Oued Aggaï, en amont et dans la traversée de la ville, ont été entrepris et  Sefrou n’a jamais plus eu à déplorer d’inondations de l’ampleur de celle du 25 septembre 1950.