Les origines de Sefrou (ou Sfro) sont imprécises mais on sait que l’Oued Aggaï a toujours joué un rôle important pour la ville. Vers l’an 700, les « troglodytes » vivent sur les pentes d’Immouzer du Kandar, de Bahlil et de Mezdra Jorf, c’est à dire autour de l’Oued Aggaï, près de son embouchure. Petit à petit ces troglodytes sortent de leurs cavernes et s’abritent dans des noualas ou des khaïmas en poils de chèvre en attendant de construire. Puis par les moyens du bord, des maisons sortent de terre.

De maison en maison, les ksours se forment en trois groupes qui sont :
– les Ksours El Fouqanynes (du haut) répartis le long des rives de l’Oued Aggaï depuis sa source jusqu’à la ville actuelle.
– les Ksours El Ouastanynes (du centre) qui occupaient à peu près l’emplacement où se trouve la ville actuelle.
– les Ksours Ettchtanynes (du bas), échelonnés le long de l’Oued Sfro (nom de l’Oued Aggaï à sa sortie de Sefrou), jusqu’au confluent de ce dernier avec le Sebou.

Pour se défendre des razzias des montagnards voisins, les Ksours El Fouqanynes et Ettchtanynes se regroupent autour des Ksours El Ouastanynes qui constituent l’actuelle médina (et l’ancien mellah, aujourd’hui disparu en tant que tel) de Sefrou.

L’Oued Aggaï n’a pas toujours été le torrent dévastateur décrit dans l’article consacré à la crue de septembre 1950 ; il a contribué au charme de la ville de Sefrou : de nombreux peintres ont posé leur palette sur les berges de l’oued et beaucoup d’écrivains ont parlé de Sefrou dans leurs ouvrages sur le Maroc.

Je propose quelques photos de 1916, certaines illustrées de quelques lignes d’auteurs ayant séjourné dans la ville.

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Sefrou : La ville, la mosquée et les cascades
Cliché de la section photographique de l’Armée 30 avril 1916. Photographe Paul Queste

L’Oued el Youdi, après avoir traversé la ville, passe au pied d’une belle mosquée sous un pont fort ancien et se précipite en une série de cascades au fond d’une gorge toute tapissée d’un épais gazon et de plantes verdoyantes, parsemée de bouquets d’arbres. Les indigènes ont habilement capté ses eaux avec divers petits canaux actionnant plusieurs moulins disposés par étages. C’est là, à peu près, la seule industrie qui existe à Sefrou. On compte une dizaine de ces moulins à blé, tandis qu’une dizaine de moulins à huile se trouvent disséminés à travers la ville .

Maurice de Périgny « Au Maroc, Fès la capitale du Nord » 1917 Pierre Roger et Cie éditeurs

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Sefrou : les cascades de l’oued el-Youdi
Cliché de la section photographique de l’Armée 30 avril 1916. Photographe Paul Queste

 Vue des cascades – qui n’existent plus aujourd’hui – à la sortie de la ville. Au centre de la photo le pont sous la mosquée, emporté par la crue de 1950. De chaque côté de l’oued les moulins.

L’Oued Aggaï – el Youdi – Sfro – qui  traverse la ville présentait un aspect très plaisant ;  l’eau s’en allait ensuite dans la campagne en petites cascades ayant le long de leurs bords des figuiers et des buissons fleuris.

Aujourd’hui il n’est plus qu’un égout à ciel ouvert dans lequel passants et marchands du souk jettent consciencieusement et méthodiquement toutes leurs ordures.Des améliorations sont en cours.

Des murs blancs, une porte haute qui n’a pas l’aspect rébarbatif des murs de Fès, un chemin blanc comme un chemin de Provence, et rythmant les pas, les paroles , les pensées, le bruit de l’oued, bondissant sur un lit pierreux et irrégulier, heurtant des quartiers de rocs, les arches des ponts, les maisons construites sur pilotis.

Ce ruisseau couvre indiscrètement tous les bruits de la vie, et paraît être le grand moteur et le grand distributeur de jouissances de tout le pays enfantin et charmant, qu’il a fait à son image, bavard et clapotant dans ses eaux de l’aube à la nuit.

Otez l’oued, et Sefrou n’est plus Sefrou. Ce serait un village sans caractère, comme Settat où l’on bâille d’ennui.

Entre les hautes falaises crayeuses, aussi blanches que neige, l’eau serpente, rebondit, trébuche, chante; ce n’est que murmure, harmonie ».

Pascale Saisset « Heures juives du Maroc » 1930 Éditions Rieder

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Sefrou : au bord de l’oued
Cliché de la section photographique de l’Armée 30 avril 1916. Photographe Paul Queste
À la sortie de la médina, c’est l’Oued Sfro : l’endroit paraît idéal pour prendre le temps de vivre et regarder l’eau s’écouler doucement pour irriguer par tout un réseau de seguias l’immense jardin que constitue la campagne autour de Sefrou.

Mais, grossi par suite de la fonte des neiges ou de pluies massives automnales, l’oued peut se transformer en torrent dévastateur qui entraîne d’énormes quantités de branches d’arbres, de feuilles, de quartiers de rocher et de sable. À plusieurs reprises au siècle dernier les maisons construites « les pieds dans l’eau » furent inondées, détruites et leurs habitants noyés.

« Il avance sans jambes, il creuse sans pioches, il tue sans armes ». Qui est-ce ? … l’oued ! Cette devinette berbère peut définir l’Oued Aggaï en crue !

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Contre-jour sur l’oued
Cliché n° 511 du Service photographique de la Résidence 1930

Rien n’a évolué depuis 1916 – cliché précédent – ! … ou les Services de la Résidence ont « retravaillé » le cliché de Paul Queste ?

L’oued Aggaï, pittoresque et photogénique, suit sereinement sa pente pour aller distribuer l’eau, dans les jardins extérieurs, selon les vieilles méthodes du « Orf » ou coutume.
L’importance de l’eau revenant à une parcelle, est calculée au « Mounqach ». Le mounqach veut dire pioche ou sape, autrement dit ce qu’une personne peut canaliser et maîtriser comme eau en l’espace d’un temps donné. J’ai souvenir, enfant, d’avoir accompagné le jardinier, aux heures dédiées, de jour comme de nuit, pour « détourner » l’eau qui nous était affectée temporairement.

Une autre devinette berbère : « Elle la précède mais ne l’a pas enfantée » Qu’est-ce ? :
« La pioche et l’eau ».
Il s’agit de la pioche dont se sert le paysan pour déplacer les mottes de terre qui ferment les rigoles et permettent le passage de l’eau.

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Sefrou : La ville au bord de l’oued
Cliché de la section photographique de l’Armée 30 avril 1916.Photographe Paul Queste

Les moulins sont répartis tout au long de l’Oued Aggaï depuis le quartier fortifié du Kalaa, en amont et jusqu’aux petites cascades en aval de la médina où ils sont les plus nombreux (environ une dizaine), disposés en étages. Ces moulins sont anciens puisque René Caillé, dans « Journal d’un voyage à Tombouctou » en 1830 écrit : « … Ce que j’ai vu de plus remarquables à Soforo, ce sont deux moulins à eau … ».
Leur établissement sur les berges de l’oued a été facilité par la grande déclivité du terrain qui dispense de faire des travaux importants pour installer les moulins.

Ils existaient deux types de meuniers, ceux qui achètent le blé et vendent ensuite farine et son pour leur propre compte et ceux qui travaillent à façon et reçoivent pour salaire le son plus une petite somme par boisseau. Les procédés étaient assez rudimentaires et primitifs, les rendements modestes et la farine souvent de qualité médiocre mais les Sefriouis s’en contentaient.

Le cliché montre l’oued serpentant entre les moulins. Au premier plan des terrasses : il me semble que ce sont des olives qui sont étalées : on distingue au tiers gauche en bas les paniers typiques, en alpha tressé, utilisés pour le ramassage et le transport des olives . Plus loin vers le centre probablement « des terrasses à blé où le grain, pelleté par des enfants, coule comme une grève blonde » (Colette. Notes marocaines). Il y avait dans ce secteur à la fois huileries et minoteries.

Robert Bouttet en janvier 1934 dans la « Revue de l’Association des propriétaires d’automobiles du Maroc » se demande qui pourrait chanter la splendeur de Sefrou :

Les mots eux-mêmes seraient imparfaits. Ne conviendrait-il pas de laisser cette tâche aux cascades de l’oued qui savent prendre, semble-t-il, tous les accents appropriés ? Selon la saison, selon l’heure, leur voix passe du grondement au murmure, du ruissellement au glou glou. Tour à tour, l‘oued baigne les capillaires ruisselants, les rocs de son lit et les herbes lasses qui s’y penchent. Il court, s’égratigne aux pierres, moutonne, se faufile, s’élance pour quitter le mystère du sous-bois et venir – ô déchéance ! – aider à purifier le séroual ou la lévite noire qu’une lavandière, à grands coups de battoir, à grand renfort de savon, dépouille de sa gangue de crasse.

Les lavandières de Sefrou ! elles sont célèbres et ont, elles aussi, amené d’innombrables peintres au bord de l’Oued. Nous irons nous aussi faire un tour un autre jour au lavoir juif.

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