Dans l’article précédent sur la Foire d’échantillons de Fez en 1916 j’ai évoqué l’anecdote du chef insoumis qui aurait sollicité une trêve et une autorisation pour se rendre à la Foire à condition de rester libre de retourner ensuite dans sa tribu à son poste de combat. Sa demande est acceptée et il reçoit un excellent accueil. À l’issue de sa visite il aurait déclaré qu’il n’a rien de mieux à faire que de se soumettre avec ses guerriers … ce qu’il fait.
J’ai trouvé un article du Courrier du Maroc du 29 août 1954, écrit par Marcel Bouyon et précédemment – la date n’est pas mentionnée – publié dans « l’Echo d’Oran » qui évoque une histoire semblable. La voici :
Pendant cette Foire un officier de l’entourage du général Lyautey vint l’informer que quatre Berbères des Beni-Ouaraines – zone encore insoumise – étaient venus, en cachette, à Fès et que sur le point d’être appréhendés s’étaient réfugiés dans le horm de Moulay Idriss.
– Que faut-il en faire ? demanda l’officier. Les fait-on arrêter ?
– Non ! Non ! Pas cela, répliqua vivement Lyautey, vous savez le respect que j’apporte à toutes les choses de la religion musulmane … Et puis, ajoute-t-il, nous avons la chance d’avoir des émissaires gratuits pour la zone dissidente et vous voudriez les maltraiter ? Vous allez trouver un officier – ou un sous-officier – musulman, pour prendre contact avec ces réfugiés, qui leur servira de « guide », leur fera visiter la ville et la Foire et les conseillera dans les démarches et leurs achats.C’est ce qui fut fait. Le guide se rendit à Moulay Idriss, parlementa avec les réfugiés et leur dit :
– Vous êtes M’zaouguines » à Moulay Idriss et sous sa sauvegarde, il n’est pas question de vous arrêter, bien au contraire, notre général y ajoute sa protection personnelle. Vous êtes libres de sortir, de faire tous vos achats et de rentrer dans vos tribus.Suivant les instructions reçues le « guide » se mit à la disposition des réfugiés pour leur faire visiter la ville et surtout la foire d’échantillons qui se tenait dans le Grand Méchouar où nos Beni-Ouaraines prirent contact avec les exposants, la population européenne et les gens des tribus qui y circulaient en toute liberté et sans contrainte. Bref, ils virent tout ce que l’on pouvait voir et notamment les résultats des premières années du Protectorat et le calme qui régnait dans la zone soumise.
Au bout de trois ou quatre jours -probablement démunis d’argent – nos Berbères demandèrent à rentrer chez eux et avant de partir, insistèrent pour remercier le grand chef et les officiers de l’accueil qu’ils avaient reçu et timidement demandèrent qu’on veuille bien leur délivrer un sauf-conduit pour passer la ligne des postes.
Satisfaction leur fut donnée immédiatement. Sur un joli papier à l’en-tête de la Région, orné de beaux cachets, par ordre du général, les « porteurs » étaient autorisés à traverser la zone soumise avec leurs marchandises. Préalablement, avant leur départ, il leur fut remis de la part du général, de petits cadeaux – sucre, thé et coupons d’étoffe pour les femmes qu’il ne faut jamais oublier en pays berbère.
Bien entendu nos visiteurs passèrent par tous les postes pour montrer avec ostentation leur fameux sauf-conduit et rentrèrent chez eux en véritables triomphateurs.
Un mois plus tard environ, les quatre visiteurs revinrent à Fès … mais accompagnés d’une partie de leur tribu venant faire sa soumission qui fut par la suite suivie de soumissions plus importantes.
Le général Lyautey avait prévu ce résultat et, de ses timides réfugiés du Horm, il avait fait des ambassadeurs de la pacification française.
Je fus quelque peu mêlé à cette histoire. Mobilisé à Fès, où j’étais domicilié à Derb Serraj, en Médina, je montais chaque matin à mon casernement de Dar-Marhès avec mon cheval personnel. Un jour que j’étais de service de nuit, je le laissais dans l’écurie de la Légion. Ordinairement tout se passe sans accroc. Une nuit mon cheval disparut, enlevé par un djich Beni-Ouaraines.
Lorsque j’appris que des dissidents se trouvaient à la foire, je fis mon possible pour les rencontrer et leur exposer que des gens de chez eux avaient volé mon cheval, un bel alezan auquel je tenais beaucoup et que j’étais tout disposé à le racheter – je crois que je proposais soixante douros plus une récompense pour eux.
Lorsque les Beni-Ouaraines vinrent se soumettre, l’un d’eux se présenta chez moi pour m’informer du résultat de ses démarches : « C‘est exact, me dit-il, ton bel alezan a fait partie d’une razzia d’un de nos voisins, mais nous ne pouvons te le ramener, car ton cheval, ainsi que son cavalier, ont été tués lors des derniers barouds ».Et, voilà où nous conduisent ces histoires du Horm de Moulay Idriss, souvenirs que l’on évoque toujours avec une certaine émotion au point de reconnaître que ces Berbères qui se battaient loyalement et à visage découvert étaient des plus respectables.
Propagande ou réalité ?
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