Vue aérienne de Fès-Jdid avec au centre et à gauche le Palais ; au centre en diagonale la grande rue de Fès-Jdid
La ville de Fès fut fondée en 808 (au moins selon la version officielle,(voir à ce sujet Fès et sa création) par Moulay Idriss mais le souvenir des Mérinides (1270-1550) est présent à l’esprit de tous les fasi.
Fès-Jdid toute entière est une création mérinide.
En 1248, la prise de Fès par les Beni Merin avec à leur tête Abou Yahya, est la première étape dans la conquête du pouvoir ; ils s’ emparent de la ville avec difficultés et chassent les Almohades. La victoire définitive est acquise en 1269 par la prise de Marrakech. Fès redevient alors la capitale du Mahgreb et le reste tant que les princes mérinides sont au pouvoir.
Les différentes dynasties qui règnent sur le Maghreb depuis la chute des Idrissides, s’appuient toujours sur leurs tribus d’origine pour affermir leur pouvoir. Ces tribus suivent leur émir. Les Mérinides perpétuent cette tradition : il faut loger les tribus qui les accompagnent. Leurs troupes occupent les kasbahs almohades situées au sommet de la ville, la Kasbah En Nouar, bâtie par Mohammed en Nacer, et la Kasbah de Bou Jeloud, restaurée par le même souverain sur l’emplacement de l’ancienne kasbah almoravide, au début du XIIIème siècle.
Mais ces deux kasbahs ne pouvaient contenir l’ensemble des tribus qui avaient suivi les Beni Merin, et une partie des troupes campent sur les hauteurs situées au nord-ouest de la colline d’El Kolla, à l’emplacement où se trouvent aujourd’hui les vestiges des tombeaux mérinides.
LA FONDATION DE FÈS-JDID
Cette installation, à la fois dans les kasbahs almohades et sur les hauteurs, ne peut être que provisoire et en 1276, le sultan Abou Youssef Yacoub décide de fonder une nouvelle ville.
« Quand la révolte fut étouffée et le Maghreb pacifié, écrit lbn Khaldoun, Abou Youssef Yacoub vit sa puissance consolidée, sa domination étendue sur toutes les parties de ce pays, son royaume agrandi et le nombre des gens de sa suite et de ses visiteurs considérablement augmenté. Il jugea donc nécessaire de bâtir une ville pour servir de résidence à lui-même, aux gens de sa maison et aux grands officiers qui soutenaient la dignité de son trône et le poids de l’administration ».
Consacrant un état de fait, puisque l’occupation mérinide remonte à une trentaine d’années, cette fondation proclame de façon éclatante le triomphe de la nouvelle dynastie. Elle répond surtout à de multiples nécessités pratiques, politiques, militaires.

Le souverain mérinide a hérité non seulement du maghzen des Almohades, mais encore de leur milice chrétienne et de leur garde d’archers syriens. Aucune des kasbahs de Fès ne peut alors abriter l’augmentation considérable des effectifs administratifs et militaires. Construire des casernes et des écuries, des locaux pour les services s’impose.
Ce manque de place, bien réel, n’est qu’une des explications : les Mérinides répugnent à reprendre même agrandie la résidence de leurs prédécesseurs, c’est un aveu d’impuissance de ne pas pouvoir faire du neuf ; c’est aussi éviter d’être le jeu d’influences néfastes qui peuvent subsister en un lieu qui abrita des vaincus. Enfin on peut penser qu’Abou Youssef Yacoub se souvenant des difficultés rencontrées par les Mérinides lors de la prise de Fès, se méfie des fasi et préfère les voir à une certaine distance et dans un lieu dominé par la nouvelle ville.
Fonder une ville nouvelle consolide aussi la puissance mérinide en rassemblant sous la main du souverain toutes les forces qui le soutiennent. Les considérations militaires ne sont pas étrangères non plus au choix de Fès comme capitale : la plus grosse menace vient de l’est, de Tlemcen et de ce côté, Taza fait fonction de place d’armes avancée, en même temps qu’elle couvre la capitale. En outre, hanté par la pensée de la reprise de la guerre sainte en Espagne, le sultan Yacoub ne peut trouver de base aussi près que Fès, à la fois de Tlemcen et d’Algésiras.
Toutes ces raisons militent donc en faveur de Fès pour y bâtir la ville qui serait le siège du gouvernement et la capitale de l’empire.

Fès-Jdid Grande rue
Une fois la décision prise, le sultan Yacouh passe à l’exécution. « Par ses ordres, dit Ibn Khaldoun, on commença la construction d’El-Beled-el-Jedid (la ville neuve), immédiatement à côté de Fès, et auprès de la rivière qui traverse cette capitale. On en posa les premières pierres le 3 choual 674 (22 mars 1276) et on y employa une foule d’artisans et d’ouvriers ».
Selon certains auteurs rapporte Henri Gaillard dans Une ville de l’Islam : Fès, les constructions blanches de la nouvelle ville contrastant avec les couleurs plus ternes de l’ancienne ville font nommer la cité nouvelle « El Medina el Baïda » la ville blanche ; on l’appela ensuite « Fès-Jdid », Fès la neuve, par opposition à Fès el-Bali ou Fès l’ancienne.
Cette fondation s’accompagna d’une grande solennité, comme le rapporte Ibn el-Ahmar dans Rawdat-en-Nisrin : « Le sultan Yacoub sortit à cheval de la kasbah de Fès-el-Qadim (Kasbah de Bou Jeloud) au milieu de la matinée du dimanche 3 du mois de choual 674, accompagné de géomètres et de maçons. Il se dirigea vers le bord de l’oued Fas ; arrivé là, il commença à creuser les fondations. Ce fut le savant cosmographe Mohamed ben el Habbak qui tira un horoscope à cette occasion. Après l’établissement des remparts, il fit construire son palais, la grande mosquée, le marché qui partant de Bab el Qantara appelée maintenant Bab el Oued, porte voisine de Bab es Sba va jusqu’à Bab Oyoun Sanhadja et au grand bain. Il ordonna aux vizirs et aux cheikhs mérinides d’y construire des maisons. Ils y élevèrent des édifices spacieux et d’un bel aspect qui reçurent différents noms. Ils alimentèrent cette ville en eau douce prise à la source nommée Aïn el Omayir. »
« La ville fut construite sur un plan dressé par le sultan lui-même, précise Ibn Khaldoun. Elle comprenait quatre parties :
1. Le Dar el Maghzen ou Palais du sultan et du gouvernement ;
2. La cité proprement dite ;
3. Un quartier pour la Garde chrétienne, Rabad en-Nsara ;
4-. Une caserne, Himç, pour les archers syriens, laquelle devint, entre 1310 et 1325, le quartier juif, le Mellah actuel »

Henri Bressolette précise que l’édification de cette nouvelle ville a été singulièrement rapide. Il cite Ahmad ibn Khalid al-Nasiri auteur du Kitab el Istiqça : « le sultan s’installe dans sa nouvelle ville avec sa famille et sa cour dans le courant de l’année 674 ». Or, comme cette année hégirienne se termine le 14 juin 1276 de l’ère chrétienne, et que la fondation de Fès-Jdid est du 22 mars, il faut bien en conclure que la construction dura moins de trois mois.
Ibn Marzuk, dans son Musnad, affirme que les princes mérinides se flattaient de faire sortir les demeures de terre comme par enchantement. Sans doute faut-il penser que seuls étaient achevés les remparts, le palais du souverain et les demeures principales, grâce à la rapidité de construction que permet le pisé et grâce aussi à la main-d’œuvre considérable, composée en grande partie de captifs, qui permit d’attaquer le chantier en différents points à la fois.
« La superficie de la ville résulte d’un compromis entre deux exigences : siège du gouvernement, elle doit être assez vaste pour contenir le palais du souverain avec ses dépendances, les demeures des grands dignitaires et les bâtiments de services avec la foule des serviteurs ; place forte, elle doit pouvoir être facilement défendue, et, par suite, se resserrer dans le plus petit espace possible sur le plateau, afin de réduire la longueur des murailles à surveiller et à défendre. » H. Bressolette
Considérée sous l’angle de cette double exigence, Fès-Jdid répond admirablement à sa destination : comme forteresse, son périmètre ne dépasse guère 3 500 mètres, avec une enceinte puissamment fortifiée et doublée de très bonne heure ; comme ville sa superficie est suffisante pour abriter palais et demeures. Elle fut pourvue de mosquées, de marchés, de bains – étuves fort belles dit Léon l’Africain -, des silos à grains immenses dont Habs Zebbala reste le plus beau témoin. Bref, elle fut dotée de tout ce qui était nécessaire à sa vie normale de ville autonome et de tout ce qui pouvait la mettre en état de soutenir au besoin un siège prolongé derrière sa double enceint puissamment fortifiée.

Voyons la description de la ville qu’en fait Léon l’Africain, à une époque où la plupart des traditions concernant sa fondation étaient encore vivantes. (Léon l’Africain Description de l’Afrique, éd. Schefer, Paris-Leroux, 1896-98, tome II) :
« Le roy la fit diviser en trois parties : en l’une, faisant édifier le palais royal et d’autres pour ses enfants et ses frères, ordonnant que chacun d’eux fut garni d’un beau verger. Puis, il fit ériger auprès de son palais un temple fort somptueux, bien orné et en bon ordre » (Il s’agit de la Jama Kbir).
« En la seconde, il fit bâtir de grandes étables pour les chevaux de son écurie avec plusieurs autres palais pour ses capitaines et plus familiers de sa personne. Depuis la porte, du côté de ponant jusques à celle qui regarde vers le levant, il fit faire la place de la cité, qui contient en longueur la place de un mille et demi. De chaque côté sont les boutiques de toutes sortes de marchands et artisans. Près la porte du ponant(qui est à la seconde muraille) il fit faire une grande loge environnée d’autres petites là où demeurait le capitaine garde de la cité avec ses soldats ; là, auprès, voulut faire édifier deux étables, où pourraient demeurer au large deux cents chevaux députés à la garde du palais. »
« La tierce partie fut ordonnée pour les logis des gardes du corps de Sa majesté ; cette garde était d’une certaine génération orientale qui avait bonne provision (il s’agit d’une bonne solde) et portait des arcs pour ses armes à cause de ce temps-là les Africains n’avaient pas encore l’usage d’arbalètes.»
La nouvelle ville comprenait donc le palais et ses dépendances, la cité proprement dite et le quartier appelé aujourd’hui Mellah et qui à l’origine porte le nom de Himç, du nom d’une ville de Syrie, car il servit de caserne aux archers Ghozz, d’origine turque. Voilà ce qu’écrit Léon l’Africain dans le même ouvrage : « Cette partie que souloyent anciennement tenir les archers, est habitée par les Juifs pour raison que les roys de notre temps ont cassé cette garde. Car ils (les Juifs) demeuroient premièrement à l’ancienne cité mais la mort d’un roy n’était pas plutôt divulguée, qu’ils étaient par les Mores incontinent saccagés. Or pour remédier il falut que les roys les fissent déloger de Fez l’ancienne pour venir résider en la neuve. »

« Moins vaste que la kashah de Marrakech, à la taille exacte de la dynastie qui la fondait », c’est ainsi qu’Henri Terrasse juge cette création d’Abou Youssef Yacoub. Mais, après sept siècles, le jugement d’Ibn Khaldoun a pris toute sa valeur :« Cette ville est le monument le plus grand et le plus durable de la dynastie mérinide ».
C’est donc une ville que l’on qualifierait aujourd’hui d’administrative qu’ont bâti les Mérinides : les habitants de la Médina (Fès el-Bali) ne s’y installent pas ; c’est la tribu des Beni Merin, avec ses soldats qui prend possession de ce nouvel espace. On a deux villes nettement séparées, qui n’ont pas les mêmes intérêts, ni les mêmes préoccupations, ni le même peuplement. En aucune façon, la nouvelle ville ne voulait se poser en rivale de l’antique cité idrisside, qui conservait sa primauté religieuse, intellectuelle et commerciale. Fès-Jdid n’avait d’autre ambition que d’être la résidence du souverain et la ville administrative, la cité-maghzen.
Avant le Protectorat, Fès-Jdid est uniquement une cité militaire et une cité Makhzen. Les maisons sont basses, davantage apparentées à celles d’un gros village qu’à celles de la Médina ; l’organisation urbaine et commerciale est rudimentaire, avec une sorte de marché aux puces, quelques boutiques d’alimentation qui font davantage penser à un souk de bled qu’aux quartiers commerçants de Fès el-Bali.
La population constituée des gens des tribus militaires, du Palais (serviteurs et membres de la famille impériale) et du Maghzen est fluctuante : nombreuse, bariolée et gaie quand tout le monde séjourne à Fès mais quand le Maghzen quitte Fès, les quartiers se vident et perdent toute animation.

« En somme, le mot qui vient perpétuellement à la plume pour caractériser cette partie de la ville de Fès est celui de camp, camp fortifié, avec des installations permanentes, mais sans aucun rapport ni de population, ni d’équipement urbain, avec la grande cité si proche ». Le Tourneau

Aujourd’hui Fès-Jdid a changé, nous reviendrons sur les transformations qui ont fait de Fès-Jdid une ville entre deux villes : Fès l’ancienne, la Médina et Fez Ville-Nouvelle tout en lui conservant une personnalité bien marquée.

À lire :
Bressolette Henri : À la découverte de Fès. L’Harmattan 2016
Gaillard Henri : Une ville de l’Islam : Fès J.André, éditeurs Paris 1905
Ibn Khaldoun : Histoire des Berbères et des dynasties musulmanes de l’Afrique septentrionale.
Le Tourneau Roger : Fès, avant le protectorat. Société marocaine de librairie et d’éditions 1949
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