Photographie à la une : apothicaire sur le souk. Fin des années 1920. Cliché Léon Sixta.

Avant le protectorat, le malade se soignait de deux façons différentes et simultanées : d’abord au moyen de plantes et drogues en usage dans la médecine empirique, ensuite par le « sorcier », car le sorcier à l’époque faisait partie du corps médical.
Si l’on pouvait se passer du médecin, on ne devait pas négliger la consultation au sorcier. La croyance populaire imaginait que toute maladie était la manifestation d’une attaque par des êtres invisibles appelés les « élémentals » ou « Djnouns ». Il fallait donc, en même temps que les drogues, rendre inefficace, par le sorcier, l’attaque provoquée par des êtres invisibles.

Il ne s’agit pas de dire que la médecine n’existait pas au Maroc et à Fès avant le protectorat, mais c’était une médecine traditionnelle et populaire – ce qui n’exclut pas que les médicaments et traitements qu’elle proposait aient pu avoir une certaine efficacité – et il y avait même un enseignement médical à l’université de la Karaouiyine à la fin du 19ème siècle. À côté de cette médecine populaire, une autre pratique émanait du pouvoir central et était celle des maristanes, gérés par les « habous » (biens de main-morte). A l’origine, les maristanes désignaient de véritables hôpitaux généraux, qui plus tard serviront presque exclusivement comme asiles pour malades mentaux et marginaux. Voir Le Maristane de Sidi Frej

Mais la médecine « moderne », d’ailleurs issue de la médecine arabe du Moyen-âge, a été introduite au Maroc au début 1900 et essentiellement avec le protectorat.  Il y avait cependant avant le protectorat à Fès quelques médecins, et autres praticiens non médecins renommés pour leur habileté et leur efficacité à traiter certaines pathologies.

Judah BENSIMHON dans « Médecine et Médecins à Fès avant le protectorat » conférence prononcée le 24 janvier 1951 devant l’association les « Amis de Fès » cite les médecins qui exerçaient à Fès avant le protectorat. Le texte complet figure dans « Les conférences des Amis de Fès (1932-1956) tome 1 » que j’ai publié en 2016 chez Iggybook.

– Le premier médecin qui ait exercé, il y a un demi-siècle, était de nationalité espagnole et s’appelait Manuel.
J’étais encore trop jeune pour avoir conservé de lui un souvenir précis, mais les personnes qui le connaissaient disaient de lui beaucoup de bien. Un de mes amis m’a raconté que le Docteur Manuel, comme on l’appelait à l’époque, l’avait soigné d’une morsure de scorpion aux doigts au moyen de la cautérisation au fer rouge.
Il habitait et travaillait dans une maison située au Mellah. Il mourut à Fès et la population israélite s’occupa de ses funérailles. Son corps fut inhumé au cimetière israélite.

– Le deuxième médecin était un israélite de Fès, naturalisé français. Il s’appelait Moklof Amsellem
Je conserve de lui une image assez vivace. J’avais six ans, lorsque mes parents qui étaient invités par un vénérable Chérif Moulay Driss El Fdili, dans sa belle demeure de la Médina, m’ont fait porter avec eux sur les épaules d’un homme d’un certain âge. Mes regards furent attirés au tournant d’une rue par un grillage en fer terminé par des lames pointues dans lesquelles se croisaient des boules en verre multicolores, autour d’un magasin qui retenait forcément la vue des passants.
À notre approche, s’avança un homme de haute taille, coiffé d’un bonnet entouré d’un ruban non moins coloré, tel celui que portaient les Algériens à l’époque, vêtu d’une longue tunique noire comme les personnes qui venaient de l’Orient. C’était le toubib ou médecin qui venait nous inviter à reposer un moment dans son magasin de la rue du Talâa où il exerçait la médecine.
Cette impression est restée gravée dans mon cerveau et depuis lors je continuais à observer les travaux de ce personnage.

À la suite de certaine circonstance, le médecin Moklof Amsallem eut accès au palais du Sultan Moulay Hassan, qui trouva en lui un alchimiste convaincu et l’autorisa à y installer son laboratoire de recherches chimiques qu’il poursuivit durant plusieurs années. Je le voyais à certain moment venir avec ses livres d’astrologie écrits en hébreu, faire visite à mon père.

Après avoir quitté son magasin de la Médina, Amsellem s’installa au Mellah où il exerça de nouveau la médecine. Il avait soigné pas mal de malades et se prêtait à établir les attestations de soins utiles qu’il avait prodigués : car la réputation du médecin à l’époque s’obtenait à la suite de nombreuses attestations de clients soignés et guéris.
Il s’adressa à cet effet à un notaire israélite nommé Rébi Abba Attia qui en compagnie d’Amsellem visita les clients soignés et enregistra leurs déclarations. Le notaire qui était un fin humoriste se dirigea alors vers le chemin du cimetière. « Où allez vous par là ? » demanda le médecin auquel le notaire a répondu :
«  Vous m’avez présenté les personnes que vous avez guéries, il faut bien m’indiquer celles que vous avez tuées ».

Le Sultan lui donna un terrain dans le quartier des Nouaouels où il édifia une maison avec un jardin. Amsellem abandonna la médecine qui ne devait pas rapporter beaucoup, pour se consacrer à des études personnelles. Il travailla à la publication d’un ouvrage scientifique qui fut honoré d’une préface du maréchal Lyautey.
J’allais souvent le voir dans sa maison au Nouaouel. Sur les étagères qui garnissaient les murs, Amsellem avait rangé des bocaux de médicaments aux multiples couleurs qui avaient constitué sa pharmacie du temps où il exerçait encore. Je me souviens nettement d’un jour, où, me montrant un petit flacon parmi tant d’autres, qui contenait, m’affirma-t-il, la « force du soleil ». Il me dit : «  Avec le contenu de ce flacon, je pourrais incendier toute la ville ».

Plutôt sceptique, mais par courtoisie, je le priais de ne pas en faire usage. Je me demande aujourd’hui si Amsellem ne s’intéressait pas déjà aux études pré-atomiques.
Amsellem vécut longtemps après l’établissement du protectorat et partit avec sa famille en Palestine, où il mourut à Jérusalem.

– Un autre israélite, nommé Abraham Amsili, exerça la médecine pendant plusieurs années. Il avait travaillé avec le médecin Manuel, mais après la mort de celui-ci, Amsili s’installa à sa place et continua à exercer la médecine pour son compte.
De taille moyenne, habillé à la mode algérienne, pantalon bouffant et bonnet rouge, une barbiche noire, Abraham Amsili ne manquait pas d’une certaine allure qui le distinguait parmi ses coreligionnaires. Il n’était titulaire d’aucun diplôme mais son expérience lui permettait de connaître l’usage des médicaments qui existaient à l’époque.

J’ai eu quelquefois l’occasion de causer avec lui et comme je lui demandais comment il parvenait à diagnostiquer les maladies, il me répondit que c’était au malade de dire ce dont il souffrait. Par ailleurs, m’expliqua-t-il, la médecine est assez simple et les maladies sont visibles. C’est ainsi que lorsqu’une personne avait le teint blanc et le blanc des yeux jaune, c’est qu’elle avait la jaunisse. Si un individu avait mal au dos et toussait, c’est le signe que ses poumons n’étaient pas sains. Lorsqu’un autre avait la tête et les mains chaudes, c’est qu’il avait la fièvre. Pour celui qui avait des vomissements après le repas, c’est que l’estomac n’allait pas bien, etc. Amsili simplifiait sa médecine et préparait ses médicaments en paquets. Il les arrangeait dans des bocaux de couleur selon la maladie : un bocal blanc devait contenir le médicament pour les yeux, un autre vert pour la fièvre et le jaune pour le foie, etc….

Amsili partit pour Tanger pour revenir plusieurs années après accompagné d’un médecin espagnol du nom de Cerdeira. Après quelques années de coopération, ils quittèrent Fès pour d’autres lieux.

– Le docteur Cerdeira était revenu quelques années après à Fès où il exerça avec l’aide de son jeune frère dans un cabinet qu’il ouvrit au Mellah.

L’épidémie de 1901

À la même période, un israélite était venu de Tanger pour exercer la médecine. Il s’appelait Samuel Guitta.

Si en temps normal, il suffisait à soigner les malades, il fut impuissant à le faire durant l’épidémie qui se déclara en 1901 à Fès et qui a fait, d’après les notes manuscrites des historiens de l’époque, plus de quatre mille morts. On appela cette période « aâm el moth », « l’année de la mort ».

Parmi les causes de l’épidémie, on cite l’état sanitaire public qui fut déplorable. Proportionnellement aux autres quartiers de la ville, le nettoyage des ordures au Mellah devait se faire une fois par semaine, le mercredi. Durant toute la semaine, les ordures s’accumulaient à côté de chaque maison et ces tas d’immondices parvenaient parfois à se rejoindre d’une maison à l’autre, surtout dans les rues étroites. L’abattoir en particulier et un fondouk qui servait de demeure aux pauvres, en plein centre du Mellah, étaient d’une saleté indescriptible et repoussante ; des chats, des mouches, des insectes pullulaient sans nombre dans ces locaux et aux environs. Les bouchers qui étaient installés sur la Grande Rue (les boutiques actuelles de l’abattoir n’existaient pas), avaient l’habitude de lancer les bouts de viande inutiles encore saignants, sur les murs d’en face, ce qui servait d’appât aux mouches et insectes de toutes sortes.

La population presque toute entière était atteinte par la maladie et on avait beaucoup de difficultés à transporter les morts et à les enterrer en temps voulu. Les communautés juives du Maroc se sont émues et celle de Tanger envoya à Fès le docteur Bellenguer, médecin de nationalité espagnole, délégué du comité sanitaire, pour étudier les causes de cette épidémie. Il séjourna à Fès pendant quelques mois et déclara que les causes de l’épidémie provenaient des eaux stagnantes des étangs qui se trouvaient à côté de l’Oued Fès, dont les insectes de malaria étaient dirigés par le vent sur le Mellah et Fès-Djedid.

Il ordonna la fermeture du fondouk où végétaient les mendiants du quartier, il indiqua au seul médecin Guitta les remèdes à administrer pour les malades atteints de malaria.

Profitant de la présence de ce médecin, plusieurs familles l’invitaient à visiter leurs malades ; il se faisait payer cent francs la visite. Il conseilla à une femme d’une personnalité locale, atteinte d’obésité, de se soigner par un traitement qui consistait à consommer des courges ou « Karda khadra ». La nouvelle se répandit au Mellah que le médecin venu de Tanger prescrivait des courges contre la maladie, et tous les malades presque de courir chercher des courges pour suivre le même traitement. La plupart des gens proclamaient que ce nouveau traitement leur a fait du bien ; il se peut que les propriétés curatives des semences des courges aient produit un effet favorable à la guérison de la malaria et du paludisme.

Sa mission remplie, le docteur Bellenguer repartit pour Tanger. Il a indiqué aux gens le traitement à suivre, pour mettre fin aux effets désastreux qui ont ravagé en partie le Mellah, contre la malaria et le paludisme : quinine, antipyrine, ipéca, eaux gazeuses en abondance ; les malades ont complété ce régime par la consommation de courges. Plusieurs personnes qui avaient des amis ou parents à Tanger, à Melilla ou à Gibraltar, commandaient ces produits médicamenteux et faisaient des distributions gratuites aux malades.

Je me souviens, (j’avais dix ans) de ce que mon père m’envoyait retirer de la poste les paquets contenant des flacons de quinine ou autre médicament que lui adressait son ami de Tanger, le nommé Joseph Haïm Gengio, fils du grand rabbin de Tanger à l’époque. La seule agence postale française qui était à Fès, fut détenue par M. Joseph Conquis, directeur de l’école de l’Alliance au Mellah.

J’en reviens au docteur Bellenguer. Il revint quelques années plus tard à Fès et devint médecin du Sultan Moulay Hafid, à l’avènement de celui-ci. On voyait tous les jours le docteur Bellenguer, monté sur son cheval, se rendre au Palais impérial. Il avait installé sa maison au Talâa, mais ne donnait pas de consultations à des particuliers. Il s’intéressait particulièrement aux études sur le spiritisme.

J’arrive à un autre médecin israélite qui était venu de Pologne. Il s’appelait Chapira
De haute taille, de forte constitution, ayant des yeux étroits, une barbiche assez large qui lui donnait l’allure du vrai médecin. Je me souviens encore de lui, car il m’avait soigné dans mon enfance, d’une brûlure à la main que je m’étais faite avec de la poudre à canon avec laquelle nous avions l’habitude de jouer pendant la fête de Pourim. Il m’avait ordonné comme traitement d’appliquer sur les brûlures des épluchures de pomme de terre et d’entourer la main d’un pansement. Les soins n’étaient pas mauvais, ma main ne tarda pas à guérir de ses brûlures.

Pendant qu’il exerçait à Fès, un double deuil devait le frapper. Un de ses fils avait succombé à la suite de coups violents reçus de son maître d’école. Cet événement avait donné lieu à un procès qui fit sensation à l’époque. Dans son affolement et sa précipitation à le soigner, le médecin Chapira se trompa de bocal et le médicament administré provoqua la mort de son deuxième fils.

Abattu par ce double malheur, Chapira quitta définitivement la ville avec sa famille.

Autres médecins

D’autres médecins faisaient leur apparition de temps en temps à Fès, mais ne trouvant pas la clientèle espérée, ils repartaient aussitôt.

– Je me souviens du médecin Soussi venu avec sa compagne qui était sage-femme. Ils s’installèrent dans un local « dar edelma » au « derb el foqui » actuellement transformé en synagogue. D’un certain âge il ne pouvait naturellement supporter les incommodités de l’époque à Fès , il repartit aussitôt avec son épouse.

– Un médecin israélite de nationalité italienne se nommait Issoâa. Il s’installa à « derb el Aouinat » au Mellah, mais ne tarda pas à quitter la ville, vers d’autres lieux.

Des femmes médecins, missionnaires, de nationalité anglaise, demeuraient à « derb ben Hayon » au quartier de Sbâa Loiath, à la Médina. C’était la famille de Mestr Sampson, partie depuis lors à Tanger. Elle faisait la distribution gratuite de médicaments aux personnes qui venaient les lui demander.

– Un autre médecin anglais, le docteur Verdun, installé au Douh, faisait de fréquentes visites au Mellah. (Je pense que le nom est mal orthographié dans le texte original et qu’il s’agit du Dr Verdon)

– Un médecin qu’on appelait docteur Holzman, de nationalité allemande paraît-il, était installé à la médina. Il portait le costume musulman et on disait qu’il était converti à l’Islam. On le voyait souvent assis dans les magasins de maroquinerie à Aïn-Allo, quartier de Spétryène, à la Médina. Il partit quelques années avant l’occupation française.

– Un israélite tunisien, nommé Nataf, exerçait la médecine pendant plusieurs années au Mellah. Il abandonna la médecine pour le commerce dès l’occupation. Il est mort à Fès et sa famille sympathiquement connue continue à vivre à Fès.

À partir de 1905, je crois, des médecins de la mission française étaient installés à Fès.

– Je me souviens plus particulièrement des docteurs Zafary (il s’agit en fait du Dr Jaffary) et Fournial qui se rendaient au Mellah pour visiter des malades bénévolement.

– À la même époque, un médecin israélite polonais, nommé Salomon Cohen Zanwill, qu’on appelait Senior Sélomo, était venu exercer à Fès. Il s’installait au Mellah dans une maison située au « derb el foqui » à Dar ben Sabbah. Il préparait ses médicaments lui-même et faisait payer ses consultations médicaments compris, deux francs cinquante et le collyre pour les yeux à 1,25 f.
Pour les maladies graves, il se faisait accompagner du docteur Zafary ou d’un autre. Il soignait bénévolement les indigents et jouissait d’une réputation assez louable par sa modestie et son affabilité. Il avait continué à exercer sous l’occupation française. Il mourut à Fès. Ses enfants honorablement connus continuent à habiter le Maroc notamment à Fès et à Casablanca.

– Quelques années après l’installation du précédent, un autre médecin israélite, le docteur Many, était venu s’installer à Fès. Il était associé avec le précédent et ils travaillaient ensemble dans le même cabinet ci-dessus indiqué.
Fils d’un grand rabbin de Jérusalem, Rébi Salom Many qui avait auparavant visité Fès et connu des notabilités israélites, le docteur Many avait déjà sa réputation faite.

On racontait une anecdote au sujet de son père que je n’ai pas connu. Quand il était venu pour la collecte qu’on avait l’habitude d’envoyer aux habitants de Jérusalem, il n’y avait pas de médecins à Fès. Il avait promis d’enseigner la médecine à un de ses enfants et de l’envoyer à Fès. Il paraît qu’il tint sa promesse et dès que son fils obtint ses diplômes, il lui recommanda d’exercer à Fès.

Ses diplômes français et sa connaissance de la médecine moderne lui valurent l’estime de ses collègues et une réputation appréciable. Il s’est installé depuis pour son compte et il fut agréé pour donner des soins au Palais, au temps du Sultan Moulay Youssef, père de S.M. le Sultan actuel. Il est parti à Tanger où il s’installa définitivement jusqu’à l’heure actuelle, sans oublier Fès, où il fait de temps en temps de rares apparitions.

Par ces deux derniers se trouve close la liste des médecins qui avaient exercé avant le Protectorat à Fès.

En même temps que les médecins que nous venons de citer, il y avait quelques praticiens dont chacun avait une spécialité.

– On se souvient encore de Rébi Eliaho Cohen (père du greffier actuel du Tribunal rabbinique) qui, en même temps qu’il savait pratiquer la circoncision, avait une certaine adresse à retirer les corps étrangers des yeux, des oreilles, du nez ou de la gorge, des enfants qui se faisaient mal en jouant.

– Le nommé Aharon Cohen ben Salomon pratiquait la petite chirurgie et soignait bénévolement des blessures, des plaies ou fistules etc .. Il préparait des onguents à base de cire d’abeilles.

– Tout le monde à Fès se souvient encore du rabbin Benyamin Elbaz, mort seulement depuis quelques mois qui avait la spécialité de vacciner les enfants contre la petite vérole ; il jouissait d’une grande estime dans les milieux musulmans et juifs.
Il avait une grande renommée dans la pratique de la circoncision qu’il exerçait depuis près de cinquante ans. Il avait initié tous les praticiens actuels à pratiquer la circoncision. À sa mort, le chiffre inscrit dans ses registres des enfants circoncis par ses soins, avait atteint le nombre de huit mille environ. Ses registres ont pu servir d’état civil.

– Le nommé Ishac Moyal avait la spécialité de soigner les luxations et fractures au moyen d’un emplâtre qu’il savait composer avec du son, du blanc d’œuf et de l’huile d’olives. Il étalait sa préparation sur une toile soutenue par des baguettes de roseau qu’il appliquait sur la facture. Cette opération s’appelait « Ezbira » ou « soudure ». Il réussissait parfaitement ces opérations et jouissait d’une réputation chez les israélites au Mellah comme chez les musulmans à la Médina. Il est mort depuis quelques années.

– Une dame nommée Sémha Amor, femme de Israél Kesslassi, soignait les malades au moyen de la plante « el âassba » ou salsepareille, dont nous avons parlée dans la partie médication.

– Une autre femme nommée Fréha Boussetha soignait les personnes mordues par des insectes venimeux et particulièrement par l’insecte appelé en arabe « Bonéf » dont la morsure donne la fièvre.

Quelques femmes juives avaient accès à Dar-el-Maghzen et donnaient des soins aux femmes du Palais :
– l’une d’elles nommée Messoda bent Daoud Oyoussef, femme d’un coiffeur, était habilitée à pratiquer les saignées dont l’usage était fréquent à l’époque. On l’appelait « el hzama » nom approprié à la profession qu’elle exerçait ;

– une autre femme qu’on dénommait « Etbiba » donnait des soins médicaux suivant la pratique de l’époque. Elle s’appelait Aâllo Danan ;

– de nos jours encore, sous l’égide du médecin français du Palais, M. le docteur Secret, chef de l’hôpital Cocard, deux femmes juives continuent à faire de fréquentes visites à Dar-el-Makhzen, où elles prodiguent leurs soins et conseils habituels aux femmes du Palais.
L’une d’elles s’appelle Sâada Ouanounou.
La deuxième nommée Messoda Sasson, est attachée spécialement à prodiguer des soins à la mère de S.M. le Sultan Sidi Mohamed, que Dieu protège, et jouit de l’estime de la famille royale.

Pour conclure, il est certain que les progrès de la médecine permettent actuellement de dépasser largement les méthodes dont nous disposions au siècle dernier ; que les progrès réalisés par la science avec un corps médical des plus compétents permettent d’arrêter des épidémies, de guérir des maladies avec une rapidité inconnue jusqu’à nos jours. Il faut cependant rendre hommage aux médecins et praticiens d’autrefois qui se sont efforcés avec dévouement, malgré les faibles moyens dont ils disposaient à l’époque, de lutter contre la maladie et soulager les souffrances humaines.

On remarquera que les médecins présents, plus ou moins régulièrement à Fès, étaient en majorité d’origine étrangère. Judah Bensimhon oublie de citer parmi les médecins présents à Fès avant le protectorat le Dr Fernand Linarès, membre de la mission militaire française à partir de 1877,  qui fut le médecin et conseiller du sultan Moulay Hassan et qui a l’occasion donnait ses soins à la population de Fès.

Il faut surtout citer le Dr Murat, le premier médecin réellement installé à Fès et arrivé en 1905 avec la mission Saint René Taillandier. Murat ouvrira le premier dispensaire français au Dar Bennis, palais qui abrite Saint-René Taillandier, ministre de France à Tanger, lors de sa mission de neuf mois, à Fès en 1905. L’activité du Dr Murat atteint dès 1906, plus de 15 000 consultants et sa renommée attire sur lui l’attention du sultan Abd el Aziz qui le nomme médecin du palais.

Je reviendrai dans un prochain article sur la médecine à Fès, pendant le protectorat.