Image à la une : conteur à Fès, dans les années 1920.

En feuilletant d’anciens numéros du « Courrier du Maroc » j’ai trouvé, à la date du 25 août 1951, un article de Michel Kamm intitulé « Souvenirs fassis de Louis Jouvet ».

Jouvet venait de mourir (16 août 1951) ; Michel Kamm à cette occasion évoque le court séjour d’environ deux semaines effectué à Fès, en mars 1945, par Louis Jouvet qui revenait d’une tournée « historique » et de longue durée … de juin 1941 à février 1945 en Amérique du Sud,  durée qui a alimenté, en son temps, la controverse.

Louis Jouvet est présenté par certains comme un homme de théâtre patriote qui préféra l’exil à la compromission. Le refus de la censure aurait été la noble cause de son départ.
Pour d’autres, cette tournée n’est pas une marque d’insoumission ou de défiance envers le maréchal Pétain, bien au contraire. C’est une mission de propagande culturelle, officielle et subventionnée par les instances de Vichy.

À partir de l’automne 1942 Jouvet n’est plus subventionné par Vichy et au printemps de l’année 1943, la France Libre aide à l’organisation matérielle de la suite de la tournée en Amérique du Sud. À son retour Jouvet est reçu le 12 mars 1945 par le général de Gaulle qui le félicite alors pour « la remarquable et inégalable ambassade itinérante qu’avec sa troupe il fut pour la France, et l’image qu’il en donna ».

« La subvention, pas la subversion » : cette formule lapidaire a parfois qualifié la position de Jouvet pendant cette période. La réalité fut certainement moins simple, mais ce n’est pas le lieu d’en discuter.

Revenons à Fès et au texte de Michel Kamm :

Grâce au docteur qui la soigna, étant alors mobilisé comme major à l’hôpital militaire, nous savons que l’interprète préférée de Jouvet, l’exquise comédienne Monique Mélinand, avait dû s’aliter à l’hôpital de Fès pour une scarlatine.

Retenu à Fès avec elle, Jouvet, directeur de la troupe, résida au Palais Jamaï et loin de maudire ce séjour qui reculait la date de son embarquement pour la France, le grand artiste goûta pleinement le charme du site de la médina.

Tous les soirs il se faisait conduire par son ami, le Docteur Escalle, à Bab Dekaken, et là, à l’ombre des vieilles tours crénelées des Mérinides, décor médiéval et presque incroyable de mélodrame, il était littéralement envoûté par ce cadre antique que soulignaient les auditoires, assis en rond, des conteurs populaires.

Il ne manquait pas de rappeler à son interlocuteur, que ces conteurs, leur récit imagé, leur mimique, étaient la source même du théâtre, et, comme des aèdes antiques, évoquaient par la parole et le geste, ces tableaux et ces contes transmis d’âge en âge.

Conteur (3)

Conteur au souk el-Khémis. Photographie de mars 1924

Il admirait donc ce retour aux origines, ainsi retrouvé intact à Fès, après des millénaires et déclarait y retrouver une inspiration précieuse et rare.

Autant lui plaisait le décor des Mérinides, au crépuscule, à l’heure du thé, et il trouvait que ce belvédère était la scène la plus magnifique qu’il ait vue, rêvant d’y faire jouer comme sur le proscénium d’un théâtre antique, des personnages avec masques et cothurnes, pour être vus de tout un auditoire, celui de l’immense cité en contrebas, et faisant eux aussi partie de cet extraordinaire décor.

Voilà les souvenirs du séjour fasi de Louis Jouvet, je ne sais s’ils ont apporté beaucoup de choses aux biographes de cet acteur mais ils ont peut-être appris aux gens qui l’ignoraient que cette ville de Fès a des beautés dignes d’éveiller l’enthousiasme d’un artiste de cette qualité et de lui procurer de nouvelles sources d’inspiration.

 

Café Mérinides

 Café maure des Mérinides. Cliché de la fin des années 1940