Image à la une : la fontaine et le fondouk Nejjarine avec, entre les deux, l’auvent du « bureau postal » et un rekkas (?) debout devant la devanture.
Pendant des siècles, les Marocains se sont envoyé des messages (écrits ou oraux) en les confiant simplement à des voyageurs ou à des passeurs (zettat). Pour écrire à l’étranger, on pouvait remettre son courrier à un navire de passage, en priant pour qu’il arrive à bon port !
Vers 1834, il existait déjà un service postal embryonnaire, celui des « rekkas » – courriers à pied – ; un service mensuel privé par rekkas fut crée entre Mogador et Tanger, deux fois par mois à partir de 1836, mais il ne put subsister.
Vers 1870, à Fès place Nejjarine, entre la porte du fondouk et la fontaine, un auvent signale l’emplacement du premier bureau de poste – privé – de Fès. On peut voir, à cette époque, autour de la boutique les rekkas étendus ou assis qui attendent le courrier à porter ; ce sont en général des sahariens grands et élancés capables de tenir, en terrain difficile, des vitesses de 5 à 6 km/h pendant plus de dix heures. Le « Temps » et le « Matin » deux journaux parisiens ont même rapporté l’exploit d’un rekkas parti de Fès à 16h00 pour arriver à Tanger le surlendemain à 15h00, soit environ 250 kms … pour finalement le mettre en doute !

Rekkas
Ces coureurs à pied sont rétribués à la course, selon la distance et l’urgence. On amène son courrier dans un lieu déterminé – à Nejjarine pour Fès – où les départs ont lieu, en principe, à des jours fixes, les plis urgents font l’objet d’un acheminement particulier. Un ramassage du courrier chez les expéditeurs réguliers est même organisé. Le courrier est transporté dans des sacs ou des besaces en palmier nain (el carab).
Les plis sont portés dans tout le Maroc mais principalement vers le Nord et Tanger. Ce sont les commerçants et les négociants marocains qui ont organisé ce service ; les commerçants européens ne l’utilisent guère le jugeant peu fiable.
De Fès à Tanger les rekkas mettent environ 4 jours pour faire le trajet en se relayant à Elksar. Ils sont payés 40 pesetas Hassani soit 25 francs environ. Si le rekkas doit faire le trajet plus rapidement, le prix monte à 120 pesetas Hassani avec retour payé au tarif ordinaire ! Il s’en va d’un pas ample et rapide, les bras en croix sur son bâton passé derrière le cou, et muni d’une besace contenant les plis et la Kesra.
Le trajet est rarement de « tout repos » si l’on peut dire : outre la distance, il y a parfois les rivières en crue à traverser à la nage ou sur des radeaux de fortune, les tribus en révolte ou simplement des voleurs rencontrés sur la route, la météo défavorable – pluie persistante ou chaleur insupportable -, les nuits sans lune qui ne facilitent pas la course sur des chemins étroits et chaotiques, et enfin les nuits sans sommeil.

Traversée d’un oued sur un radeau. On voit sur les épaules du rekkas le bâton de marche ou de défense, et sur le dos « el carab » pour le courrier.

Rekkas se préparant à traverser un oued en radeau … chacun à son tour !
Des postes privées, à l’initiative des européens, peu confiants dans le système « indigène » des rekkas, s’organisent et qui ne transportent d’ailleurs que le courrier de leurs organisateurs, chacun se méfiant des services organisés par les autres et voulant contrôler l’acheminement des plis de bout en bout. À partir de 1890, devant les résultats positifs acquis par ces postes privées, le Maghzen et les administrations françaises et étrangères décident d’organiser des services postaux réguliers ; les entreprises privées finissent par disparaître devant les organisations officielles, même si parfois rekkas privés, officiels ou étrangers font route commune.
Par dahir chérifien, le Sultan Moulay Hassan crée, le 22 novembre 1892, des services de rekkas entre les villes du littoral et les villes de l’intérieur avec quatre lignes principales et cinq secondaires employant une trentaine de rekkas permanents.
Les principales villes du Maroc sont alors régulièrement desservies par des rekkas à pied, parfois voyageant à cheval. Des agents des postes chérifiennes appelés oumana el moustafadat sont à demeure dans ces villes et constatent la perception des droits postaux au moyen d’un cachet qu’ils apposent sur les lettres à transporter. Ils décrivent ensuite les lettres sur un registre, rétribuent directement eux-mêmes les rekkas avec le produit des taxes et versent semestriellement l’excédent dans les caisses du Maghzen !

Rekkas des Postes Chérifiennes
À l’intérieur du Maroc, le transport des dépêches se fera peu à peu par fourgon postal, puis automobile, automotrice, ou par les chemins de fer militaires après 1912. Les rekkas à cheval ou à pied auront encore pour quelque temps une place, dans les régions éloignées.

Fourgon postal traversant un oued sur la route de Fès
Le souvenir de ces rekkas qui parfois payèrent de leur vie, en traversant les douars en révolte ou les rivières en crue, l’accomplissement consciencieux de leur mission a pratiquement disparu. Rares sont les fasi, même parmi les guides, qui connaissent l’histoire de cette première poste privée de Fès. J’ai suggéré, il y a quelques années, au conservateur du musée Nejjarine de rajouter, à côté de la notice officielle évoquant l’histoire du fondouk Nejjarine et de sa restauration, un panneau rappelant l’histoire de ces rekkas et les débuts de la poste au Maroc. Il y sera peut-être un jour, … inch’allah.
Une restauration du local de cette première poste privée fasi est en cours depuis 2 ou 3 ans … pour y installer la billetterie du musée !

La fontaine Nejjarine rénovée : juste derrière à gauche, le volet en bois, vertical, qui remplace l’ancien auvent.
Voir aussi La première poste française à Fès
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