Image à la une : Photo d’une des premières messes célébrées dans la chapelle St Michel. Je n’ai pas la date exacte, mais au verso il est inscrit 22 septembre (1912 ?) avec ce commentaire « Je t’envoie la photographie de la messe où j’étais dimanche chez le Père Dominique. Mais ce n’est pas lui qui l’a dite, c’est le Père Théophile ». Il est probable qu’il s’agisse des deux premiers aumôniers Dominique Bouchery et Théophile Malaussena, et donc d’une des premières photos de la chapelle, le 22 septembre 1912 étant par ailleurs un dimanche.

J’ai déjà évoqué la Chapelle Saint Michel dans l’article consacré au Père Michel Fabre (Le Père Michel Fabre), je reviens aujourd’hui sur l’arrivée des premiers aumôniers militaires au Maroc et sur la création de la Chapelle Saint Michel à Fès.

Les premiers aumôniers militaires – cinq franciscains – arrivent au Maroc en janvier 1908 à titre d’aumôniers bénévoles auprès des troupes du corps expéditionnaire. Leur situation est délicate : envoyés par l’Aumônerie militaire coloniale libre sans être accrédités auprès du corps expéditionnaire ils doivent négocier, à chaque mission ou opération, leur présence auprès des autorités militaires locales avant de pouvoir suivre  les colonnes qui vont vers l’intérieur du pays. Peu à peu ils trouvent leur place, et sont acceptés dans les hôpitaux où en dehors de leur ministère religieux ils rendent de petits services aux malades et aux blessés qu’ils ravitaillent en tabac, encre et papier à lettres, journaux etc. Ils écrivent aussi aux familles pour donner des nouvelles.

Le général d’Amade autorise, en mars 1908, deux aumôniers à suivre les colonnes et leur accorde pour leur service une tente marabout, une ordonnance et une araba – charrette tirée par des chevaux -. Ils auront même pour eux une tente « officier ».

La détérioration de la situation politique et militaire dans la région de Fès en 1911, conduit le gouvernement français à envoyer le corps expéditionnaire au secours de Fès sous le commandement du général Moinier. Dans ce contexte et en présence des nouveaux dangers courus par le corps expéditionnaire français, les aumôniers militaires, cette fois-ci, sont intégrés à la colonne ; s’ils ne furent pas sollicités par le gouvernement lui-même ils le furent du moins, d’un commun accord, par les autorités religieuses et militaires.

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À la mi-mai 1911 quatre aumôniers franciscains volontaires sont envoyés au Maroc : les Pères Michel Fabre, Julien Graciette, Laurent Philippe et Dominique Bouchery. Ils débarquent à Casablanca le 8 juin 1911.

Michel Fabre et Julien Graciette sont désignés pour Meknès. Le Père Michel rejoint Fès  le 26 décembre 1911. Après avoir planté sa tente pendant un mois au camp de Dar Debibagh, il trouve en médina une chambre avec un jardinet et une pièce assez vaste qu’il utilisait à l’occasion comme chapelle (il n’existait aucune chapelle à Fès à cette date). En février 1912 il écrit à ses supérieurs du collège séraphique de Fribourg : « j’ai donc 2 pièces, une assez grande pour contenir une centaine de personnes, l’autre, plus petite me servira de chambre. Il y a aussi un petit jardin. Il ajoute que « le loyer est trop cher, 140 francs pour un mois et je n’aurais pu m’engager si une personne charitable ne s’était offerte pour payer le loyer ». Il prend ses repas, avec quelques sous-officiers des tabors et quelques employés civils au restaurant de l’Hôtel de France, situé en médina, près de la médersa Bou Inania, dans une petite rue entre les deux Talaâ.

Le Père Michel a la charge des 5 000 hommes de la garnison, des malades de l’hôpital et d’un petit groupe de civils. Le dimanche des Rameaux, le 31 mars 1912, il a le plaisir de voir une partie des membres de l’Ambassade venue de Tanger (M.Régnault représentant officiel de la France était à Fès depuis le 24 mars pour signer le 30 mars le traité de Protectorat) se joindre aux fidèles habituels, pour assister à la messe. La « petite histoire » révèle que prévenu de cet afflux inhabituel de fidèles, le Père Michel avait emprunté pour eux des chaises à l’Hôtel de France de Mme Imberdis !

On note aussi pendant son ministère le baptême le 23 mars 1912 de l’enfant Campini (Amédéo, Paul Marius Félicissimus), fils du Major Campini, officier italien qui supervisa la construction de la Makina et de la Porte de Boujeloud dite porte des Français (Les portes de Boujeloud). Le 19 mars le Père Michel préside, dans les jardins de l’hôpital Auvert, aux funérailles d’un officier (Guillasse Charles, Edouard né à Sezanne (Marne) le 2/02/1880 et tué à Fez le 18/03/1912) assassiné en plein champ de manœuvres et il assure une deuxième inhumation le 12 avril 1912 (Couchenay Henri, Alfred né le 4/01/1889 à Sermevoy le Haut (Yonne) décédé à l’hôpital militaire le 11/04/1912).

On ne reviendra pas sur son assassinat par les émeutiers le 17 avril 1912, à l’Hôtel de France, où à son habitude il avait été prendre son repas du midi. Il fut enseveli provisoirement dans la fosse commune  avec les victimes des émeutes de Fès.

Aumoniers militaires

Les aumôniers militaires, photographie prise dans la Chapelle Saint Michel

C’est le Père Dominique Bouchery qui lui succède. À son arrivée à Fès en avril 1912, il habite une maison située dans l’enceinte de l’Hôpital Auvert. Chaque soir, tant il y a d’insécurité partout, deux tirailleurs viennent coucher, bien armés, dans son logis, pour lui servir de gardes du corps. Il est présent lors du deuxième siège de Fès (25-28 mai 1912), et c’est du haut de la terrasse de l’Hôpital Auvert qu’il assiste aux combats.
Il accompagne les derniers instants du lieutenant Chardonnet (son nom sera donné à un fort construit à côté des tombeaux mérinides) mortellement blessé près de Bab Ghissa et célèbre les services funèbres pour les nombreuses victimes de ces événements.

Le 30 juillet 1912 il accueille le Père Théophile Malaussena qui ne sera pas son remplaçant – comme il l’espérait – mais un auxiliaire nécessaire compte tenu du grand nombre de malades ou blessés à l’hôpital, des troupes nombreuses dans les deux camps de Dar Mahrès et Dar Debibagh et de la « vie de colonne » où le Père Dominique accompagne les militaires en opération.

À l’arrivée du Père Théophile, les deux prêtres logent dans une petite maison de deux pièces mises à disposition à côté de la Résidence générale et célèbrent la messe dominicale dans une salle qu’on leur prête non loin de l’hôpital Auvert.

Ils ont la préoccupation de créer une résidence pour les aumôniers, et plus encore, une chapelle un peu moins provisoire qu’un autel en plein air. « Non loin de l’hôpital Auvert, à peu près au centre des diverses administrations françaises et du quartier habité par la colonie européenne, une maison arabe était disponible » écrit le Père Dominique. « Dans cette maison, le 17 avril, trois télégraphistes avaient été massacrés par les émeutiers ; un quatrième avait été laissé pour mort. L’étroite chambre où ils s’étaient réfugiés est encore rougie de leur sang, les boiseries sont criblées de balles et calcinées par la flamme qui les a asphyxiés … »

Ces souvenirs ne pouvaient qu’encourager le Père Dominique à se fixer là. À partir de septembre ils s’installent à l’étage de la maison « des télégraphistes ». Une salle assez spacieuse du rez-de-chaussée peut devenir une chapelle. Quand l’assistance déborderait ce local, le patio dallé de marbre, couvert, serait utilisé.

Dans les combles de l’édifice, sur une cloison, est fixé un tableau noir avec une croix au-dessus et sur lequel se détache, en lettres blanches, cette inscription :

À la mémoire
des trois télégraphistes tués
dans cette maison
Le 17 avril 1912
Décanis, Miagat, Ricard
R.I.P.

Le 10 septembre 1912, la maison désormais historique, est devenue le centre du culte catholique de Fès, sous le nom de Chapelle Saint Michel, à la demande du général Lyautey,  en souvenir du Père Michel Fabre. La charité française et belge, le concours de l’Aumônerie Militaire Coloniale, le travail des aumôniers, ont pourvu à la décence de la petite chapelle et aux nécessités les plus urgentes de l’œuvre franciscaine à Fès. Le général Gouraud a offert l’autel de la chapelle. Une « pauvre » croix , suspendue au dessus de la porte signalait la petite chapelle aux passants extérieurs, le plus souvent des musulmans étonnés de voir que le Dieu des chrétiens habitait une demeure profane.

Lyautey favorisa après 1912 l’implantation de l’église franciscaine française  au Maroc pour éviter que les franciscains espagnols (revenus au Maroc vers 1870) n’utilisent leur implantation à des fins politiques … espagnoles et pour empêcher l’installation d’un clergé séculier colonial dont il avait fait l’expérience en Algérie et qu’il n’appréciait pas : « dès qu’un curé a couché avec sa bonne, compromis une religieuse ou mis à mal un enfant de chœur, on l’envoie aux colonies ». !

Parallèlement à leur ministère d’aumôniers militaires, les Pères Dominique et Théophile ont organisé la vie paroissiale à Fès et toutes les familles catholiques, parents, enfants, malades ont apprécié leur activité et leur dévouement.

À vrai dire, le Père Dominique avait une grande partie de son temps consacrée aux activités militaires : en six ans passés à Fès il prit part à trente-six opérations, combats ou colonnes. Le Père Théophile était davantage le curé résidant.

Avec l’expansion de la population catholique, le patio devint trop petit ! et le Père Théophile Lamperti qui succéda au Père Théophile Malaussena dût accepter la division de sa paroisse en deux, et la fondation d’un lieu de culte plus proche de la ville nouvelle qui se développait. C’est le Père Jean-Marie Féron, venu de France le 21 juin 1919 pour remplacer le Père Dominique Bouchery, qui commence à l’édifier en 1920 et l’achève en 1921. Il sera le premier curé de l’église St François d’Assise, première église de la ville nouvelle.

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Entrée de l’église Saint François d’Assise dans les années 1920, avant son agrandissement

La chapelle Saint Michel allait servir à la vie paroissiale jusqu’en 1957. Outre les aumôniers déjà cités, on mentionnera :
– en 1920 le Père Gérard Savary qui prend possession du poste d’aumônier et le garde jusqu’en 1929. Il accompagnait les troupes en colonne et était baptisé « l’homme à la chéchia ».
Pendant ses absences il a été remplacé par les Pères Aurélien Jaouen, Alexandre Digard ou Réginald Maillard.
– le Père Ange Koller, berbérisant distingué (et auteur d’un livre remarquable « Essai sur l’esprit du berbère marocain » 604 p. Éditions franciscaines. Fribourg en Suisse 1945) occupe la place de 1929 à 1933 et créé une sorte d’école du soir « Le Foyer » où de jeunes fasi venait en toute liberté apprendre le français, lire ou simplement parler. Comme Ange Koller n’était pas aumônier militaire on lui adjoint le Père Bonaventure Hermentier.
– en 1933 le Père Pedron remplace le Père Koller et tient la paroisse pendant 9 ans et y installe des mouvements de jeunesse (JOC, scouts).
– se succèdent ensuite les Père Barea, Decroux, Hunot et Colpin qui reste jusqu’en 1957 à la fermeture de la paroisse.
– De 1957 à 1960 ce lieu hébergea le Père Dominique Reboul, aumônier de l’hôpital Cocard.

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Le « Foyer » à Fès du Père Ange Koller

Au 1er Avril 1937 (je n’ai pas les chiffres après cette date) soit pratiquement 25 ans après sa fondation, 212 mariages, 842 baptêmes et 1025 sépultures sont inscrits sur les registres de la Chapelle Saint Michel, sans parler des messes célébrées, des confessions entendues, des communions faites, des confirmations reçues … bref, la vie d’une vraie paroisse – parfois aussi appelée Paroisse de Fès-Médina – même si depuis un peu plus d’une quinzaine d’années l’église St François constitue le foyer principal de la vie catholique fasi.

En 1957, la Chapelle retrouve son caractère profane mais le décor intérieur n’a pas changé. J’ai eu la chance de pouvoir exceptionnellement visiter cette demeure privée mais les actuels occupants ne souhaitent pas recevoir les visites de tous les anciens catholiques de passage à Fès ! Merci de respecter leur demande.

La fontaine de la Chapelle Saint Michel. À gauche, photo d’avril 1937 ainsi commentée : Fès-Médina. Église Saint Michel : la fontaine et l’eau qui n’a jamais cessé de couler. À droite, un siècle après (mai 2012) l’eau coule toujours même si le débit est maintenant régulé par un robinet et une pendule rappelle le temps qui passe. 

Une rue de Fès portait le nom de Dominique Bouchery ; elle était située entre la rue Léon l’Africain et l’avenue Maurial (avenue Slaoui), au niveau du cinéma « Astor ».