Image à la une : la place du Commerce, fin des années 1920, avec à droite l’immeuble de la Compagnie algérienne qui deviendra le cinéma Apollo.

Lorsque quittant la ville nouvelle pour découvrir le vieux Fès, le touriste aperçoit la porte pittoresque de Bab Lamer (Bab Lamer ou Bab el-Amr), il peut se croire près du but de sa promenade. Aussi s’attendant à entrer tout de go dans un paysage couleur locale, n’est-il pas peu surpris d’avoir sous les yeux l’ensemble le plus hétéroclite qui se puisse imaginer.

Le poste de garde et le poste de police qui flanquent l’entrée de la place du Commerce passent à peu près inaperçus au premier abord. C’est que le regard est tout de suite attiré par le fond du décor et plus précisément, par le coin animé et changeant que constitue la partie de la place allant du cinéma Apollo au café de la Poste.

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Le cinéma Apollo, fin des années 30

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Le café de la Poste et l’hôtel du Commerce, fin des années 30, avec à droite le local de la CTM (Compagnie de Transport au Maroc).

Comme le boulevard El Alou à Rabat, et la rue du commandant Provost à Casablanca, la place du Commerce est, pour qui connut Fès à l’époque héroïque, un constant rappel du passé.
Ce café, aujourd’hui souvent désert, fut autrefois le rendez-vous des élégances. Dans ce magasin aux volets clos, les plus grandes vedettes défilèrent devant un public bon enfant et exigeant à la fois, prompt à s’enthousiasmer, mais aussi toujours disposé à chahuter l’artiste insuffisant ou simplement antipathique …
Ce temps lointain pour les nouveaux venus, les vieux fasi l’ont fidèlement présent à la mémoire. Et rares sont ceux qui peuvent sans l’évoquer parcourir cette partie de votre ville …

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Grand Café Glacier et Maroc-Hôtel, place du Commerce fin 1920

Les mouvements de foule sont particulièrement intenses autour du bureau et au point de départ des cars Nord-Sud. Malgré l’indiscipline d’une clientèle dont l’éducation est loin d’être faite, en dépit de la variété des colis à hisser sur les toitures des véhicules dont la solidité subit de rudes épreuves, les services sont assurés dans des conditions qu’il serait difficile, semble-t-il, d’améliorer.
La ferme courtoisie d’un personnel stylé entre pour une grande partie dans ce résultat remarquable. Mais les fréquentes visites de Monsieur Laghzaoui contribuent aussi largement à maintenir un ordre rarement troublé. « Rien de tel que l’œil du maître ».

 

À gauche le local des Transports Zakar « Casa-Oujda », fin des années 20 qui deviendra le bureau de la C.T.M. dans les années 30 (photo de droite)

En retrait de la place, derrière l’Apollo, les autobus ont leur hôtel-hôpital-infirmerie ; un personnel diligent s’emploie à maintenir en bon état de marche les mastodontes, orgueil de la ville nouvelle et les modèles plus anciens dont le gabarit se prête mieux aux acrobaties auxquelles les chauffeurs doivent se livrer pour effectuer le trajet de Bab Smarine à Moulay Abdallah.
Quoique spacieux l’abri mis à disposition des usagers est nettement insuffisant. Il est vrai qu’il serait pareillement encombré s’il était dix fois plus vaste car beaucoup de ceux qui le hantent ne sont nullement pressés d’en sortir. C’est le coin idéal pour rêver, discuter, manger et boire, pour tout faire en un mot, sauf attendre l’autobus.

Bus Fès 1

 

Autobus « petit gabarit » dans la Grande rue de Fès-jdid, entre Moulay Abdallah et Bab Smarine, dans les années 20

Il y a cependant des gens désireux de se déplacer. Ils sont même à certaines heures très nombreux et tous veulent aller vite quelle que soit l’urgence de leurs occupations. Comme il n’y a ni chaîne de sûreté ni ticket d’ordre, la force prime souvent le droit et la priorité revient en général à ceux qui savent le mieux jouer des coudes et quelquefois des poings. Pour être pittoresque, le spectacle n’est pas des plus jolis. Mais il paraît que des dispositions vont être prises pour mettre fin aux bagarres stupides et dangereuses qui marquent l’arrivée de chaque véhicule. Acceptons-en l’augure …

La place de l’Atlas n’est pas très fière de son panneau publicitaire qu’elle cache du mieux qu’elle peut. La place du Commerce, elle, exhibe triomphalement deux ensembles de planches couvertes bien entendu d’affiches multicolores et généralement d’un goût douteux. Quand donc, à l’exemple de Casablanca, la ville de Fès se décidera-t-elle à se débarrasser de ces verrues dont le maintien constitue en même temps qu’un défi au bon sens, une faute de goût impardonnable.

Ce bref recueil d’impressions serait vraiment trop incomplet s’il ne faisait pas mention du monument le plus en vue du quartier. Orgueilleusement dressée sur le passage principal, s’offrant avec ostentation à tous les regards, l’horloge de la place du Commerce est certainement persuadée d’être une œuvre d’utilité publique. Ce serait incontestablement vrai si elle n’avait pas depuis longtemps perdu ses aiguilles. Mais sans doute ne s’en est-elle pas rendu compte. Et comme elle ne lit pas la Dépêche, il est peu probable qu’elle songe de si tôt à les remplacer.

Lu dans la Dépêche de Fès du 13 septembre 1941, sous la signature du « Promeneur solitaire ».

Mellah (2)

Photographie aérienne de février 1930 avec au centre la place du Commerce.

Je partage avec vous cet article qui m’a paru intéressant à la fois pour ce qu’il dit ou montre mais aussi pour ce qu’il ne dit pas : pour tous les fasi (et en particulier pour les vieux fasi dont parle l’auteur) la place du Commerce était l’entrée du Mellah et à aucun moment le « promeneur solitaire » ne parle des juifs ou du Mellah !!

C’est vrai que l’on est en septembre 1941, que l’avenue de France s’appelle maintenant l’avenue Pétain … que les juifs ne sont pas personæ gratæ  …