Le tout premier bureau de poste français au Maroc date de 1852 (ou 1855 selon les sources), il est hébergé par le consulat de Tanger et son action se limite à l’échange de courrier entre Tanger et la France avec des départs réguliers par bateau vers Marseille et Oran. Cette agence de poste est rattachée, à partir de 1865, à la Direction d’Oran et gérée par le chancelier du Consulat de France, mais sa fonction reste la même.

La France décide en 1887 de renforcer ses services postaux et le 1er mai, l’agence de Tanger, est transformée en recette de distribution, puis en 1893 en recette principale rattachée à la Direction des Bouches-du-Rhône et gérée cette fois par un agent de carrière. Cette extension des attributions théoriques de ce bureau de poste ne modifie guère, au début, son champ d’action : seule la banlieue immédiate de Tanger est desservie, car l’arrière pays reste isolé et difficile à atteindre en particulier les villes de Fès et de Marrakech.

L’initiative privée européenne va devancer l’administration publique en organisant un réseau de communications entre les villes de l’intérieur et de la côte. Les français Isaac Brudo (fils du vice-consul français à Mazagan) et Charles Gautsch créent en 1891 et 1892 des services de coureurs à pied (rekkas), l’un entre Mazagan et Marrakech, pour l’autre entre Tanger et Fès par Larache et El Ksar.

L’ouverture de la ligne de la firme Gautsch entre Tanger et Fès se fait le 1er juillet 1892 en accord avec la Direction des Postes françaises ; c’est le premier embryon de la Poste française à Fès. Le 13 juillet 1892 M. Fabarès, employé du magasin « Le Printemps » de Tanger arrive à Fès pour organiser le service entre Fès et Tanger. Le service commencera à fonctionner le 15 juillet 1892 avec 2 courriers par semaine entre les deux villes et dans les deux sens, avec un trajet d’une durée de 3 jours. Le service est cédé aux Postes françaises le 1er janvier 1893 et les timbres sont oblitérés avec les cachets français en vigueur.

Les Anglais, à l’initiative de Mac Léod, organisent en 1892, eux aussi, un service postal entre Tanger et Fès.

Le succès du service postal Mazagan-Marrakech (service quotidien dans les deux sens) incite le Sultan Moulay Hassan à créer par dahir chérifien,  le 22 novembre 1892 (2 joumada 1310), la première organisation postale purement marocaine (il aurait, semble-t-il, essayé sans succès de racheter à Brudo son service postal). Cette « Poste Maghzen » fonctionne avec des services de rekkas entre les villes du littoral et les villes de l’intérieur : quatre lignes principales et cinq secondaires emploient une trentaine de rekkas permanents.

 

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Fac-similé du timbre du centenaire 1892-1992 de la « Poste Maghzen »

S’il existait depuis l’organisation créée par Moulay Hassan un service postal officiel, les différentes légations et certaines grosses maisons de commerce pour leur courrier, celui de leurs protégés et même des particuliers qui avaient plus confiance en leur service qu’en l’organisation officielle, utilisaient des rekkas qui effectuaient le parcours entre Tanger et Fès entre trois ou quatre jours.

Le premier vice-consul de France installé à Fès est M. de Marcilly. Son installation, en août 1894 (en janvier 1894 selon certaines sources), ne se fait pas sans difficultés : succédant à notre agent consulaire, Si Allal Abdi*, il est le premier européen chargé d’une représentation permanente dans la ville de Moulay Idris.

*Si Allal Abdi, originaire d’Oran, ancien élève du collège arabe d’Alger, a aussi de hautes fonctions administratives dans la franc-maçonnerie, au Grand Orient de France dès 1891. Son fils sera l’interprète des Services municipaux de Fès.

M. de Marcilly après s’être assuré d’une maison où abriter les services de son vice-consulat, dans le quartier d’El-Ayoun, se préoccupe d’un local pour y installer la Poste française et il s’adresse à cet effet, à Si Feddoul Gharnit, ministre des Affaires étrangères du Maghzen. Là aussi des résistances se manifestent : après de vagues promesses Si Gharnit déclare à notre vice-consul, ainsi qu’il l’écrit à M. Baylin de Monbel, ministre plénipotentiaire à Tanger : « m’accorder une maison équivaudrait à me reconnaître et le Maghzen était résolu à ne pas faire une concession aussi grande à une puissance européenne, fut-ce la France ».

Cependant il importe de conserver l’embryon de Service postal déjà existant et de Marcilly  écrit à son ministre le 14 août 1894 : « Je ne perds pas de vue la nécessité de conserver la Poste dans la partie de la ville où l’on est habitué à la voir, mais il me semble beaucoup plus important d’y prendre pied que d’avoir dès le premier jour, une installation parfaite. Je me résignerais donc, à la rigueur, à n’occuper en débutant qu’un local peu confortable, persuadé qu’il sera facile de trouver mieux quand les propriétaires nous voyant déjà établis dans la ville, n’auraient plus à craindre le reproche de nous y avoir introduits ».

M. de Marcilly raisonnait justement et après une période « d’apprivoisement » du Maghzen et de l’opinion fasie, il loue au Fondouk Al-Diouane un local où il installe la Poste française que les « vieux marocains » ont connu en 1912-1913.

Dans son rapport de fin d’année, M. de Marcilly écrit au ministre Monbel à Tanger le 19 janvier 1895 :
« Au moment de mon arrivée, le Service postal de Fès, utilisait pour un tiers du parcours de Tanger à Fès, les courriers de notre protégé Abd-el-Haqq Miliani. Je proposais d’accepter les offres d’Abd-el-Haqq qui se disait en état d’assurer à lui seul la transmission des dépêches de Fès à El Ksar ; et pendant les premiers mois cette organisation donna des résultats satisfaisants. Les troubles du Gharb et les renseignements qui m’ont été fournis sur l’attitude des Mélaïna, dans ces circonstances, m’inspirent des doutes sur les avantages que comporte leur coopération. Il m’est revenu qu’un des courriers attaqués avait été victime d’une vengeance particulière. Ce cas n’est peut-être pas une exception et, sans avoir à examiner les querelles de nos protégés, il suffit de constater qu’elles se règlent au détriment de notre service postal. Mais, de plus, j’ai appris que les Mélaïna avaient pris part à la razzia exécutée par les Beni Hassan et les Cherrarda contre les gens du Gharb. Cette expédition, dont il est douteux que les gens du Gharb soient jamais dédommagés leur a laissé de vifs ressentiments et les Mélaïna, placés à la frontière des deux groupes, courent le risque de subir, le cas échéant, les premières représailles ».

Et M. de Marcilly conclut : « Il me paraît, après cette expérience, que le service gagnerait à être confié à des courriers de profession, habitant Fès ou El Ksar, et sans attache avec le pays qu’ils doivent traverser ».

C’est ce qui est fait et, depuis ce jour, le « Courrier du Consulat de France » à Fès est confié à des rekkas professionnels. Par tous les temps, été comme hiver, le jour ou la nuit, malgré les crues ou la dissidence des tribus traversées, ils transportent courriers et fonds qui leur sont confiés avec régularité et une honnêteté scrupuleuse. Combien sont tombés au cours de leurs missions ? Dieu (ou plutôt Allah) seul le sait ! Et personne n’a pensé à leur élever une statue … comme au coureur de Marathon ou à donner le nom de « Rekkas » à une rue des cités dont ils assuraient la liaison.

Dans la même lettre du 19 janvier 1895 M. de Marcilly adresse à la légation de France à Tanger les renseignements statistiques qui résument le travail de son poste du 1er août au 31 décembre 1894 : « Les lettres reçues sont au nombre de 73 dont 16 provenant de la Légation, 4 du Département, 23 de particuliers. Il a été expédié 98 lettres dont 62 à la Légation, 4 au Département, 16 aux autorités marocaines et 16 à des particuliers soit au total une correspondance de 171 lettres.
Deux actes ont été passés en chancellerie pour lesquels il a été perçu 12 francs de droit.
Le vice-consulat est chargé de la Poste, dont le service comprend l’expédition et la réception de six courriers par semaine ».**

** Informations données par le journaliste Marcel Bouyon dans un article de la Dépêche de Fès du 19 janvier 1941 « Des rekkas du Consul de Marcilly aux avions d’Air France »

 

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Rekkas de A.S. Forrest 1904 dans Mazagan (El Jadida) à travers des timbres anciens par Derif Jilali (https://ame2p.wordpress.com/2017/05/27/mazagan-jdida-a-travers-danciens-timbres-et-cartes-postales/)

Dans le quotidien « Courrier du Maroc » du 24 mars 1935, j’ai trouvé un article, non signé, évoquant «  Un curieux essai de service postal entre Fès et Sefrou. Bien que ce service ne soit pas lié à la Poste française il me semble intéressant de citer cet article qui fait état d’une correspondance entre M. de Marcilly, vice-consul et la Légation en mars 1894 (ce qui valide en même temps sa présence à Fès avant août 1894) : « Par votre lettre du 18 de ce mois, numéro 9, vous avez bien voulu me demander des renseignements sur le service postal de Fès à Sefrou, dont l’annonce a paru dernièrement dans les journaux. Cette poste n’est encore qu’une tentative assez ingénieuse d’un jeune Israélite de Fès, second maître de l’École de l’Alliance. M. Bensimhon, qui a complété ses études en France et connaît le développement du philatélisme, a fait graver quelques milliers de timbres, a engagé un courrier et lui a confié tout d’abord des lettres qu’il s’adressait à lui-même de Fès à Sefrou ou inversement. Je ne crois pas qu’il ait encore beaucoup d’autres clients, mais du moins la publicité donnée à cette création lui a valu de nombreuses demandes de timbres et les lettres que nous recevons de ses mains semblent être pour la plupart adressées par lui à des collectionneurs européens ou américains. La distance de Fès à Sefrou est d’environ quatre heures de marche et la circulation assez active entre les deux villes ; les occasions ne manquent donc pas de faire transporter des lettres de l’une à l’autre et M. Bensimhon qui exige pour ce voyage un affranchissement de dix centimes, a peu de chances d’obtenir jamais un trafic sérieux. On ne peut l’accuser de faire des dupes car il transporte effectivement les lettres que l’on lui remet. Néanmoins, il ne me paraît pas offrir les garanties que nous pourrions exiger pour lui accorder le bénéfice d’échanges réciproques avec notre service. Son courrier n’est guère que le prétexte des profits qu’il a commencé de réaliser et si je n’avais pas informé plus tôt la Légation de cette entreprise, c’est qu’elle ne me paraît intéressante que pour son auteur ».

Raymond-Martin Lemesle, dans son livre « Des rekkas à Radio-Maroc » attribue à un courrier français la liaison entre Fès et Sefrou : elle aurait été créée en septembre 1894 par M. Abou Dahram, avec quatre émissions de timbres lithographiés et imprimés … à Londres. Le service cessa en fin d’année 1901. La création de ce service est postérieure à celui de Bensimhon évoqué par M. de Marcilly dans son courrier de mars 1894 : Bensimhon a-t-il renoncé à son « service » ou Abou Dahram a-t-il trouvé le projet profitable ?

L’organisation rationnelle des postes françaises et étrangères, basées sur des méthodes d’exploitation plus « modernes » recueille les faveurs du public et la poste chérifienne périclite rapidement. Pour éviter d’être complètement dépassé le Maghzen décide de réorganiser son service postal sur des bases modernes ; en janvier 1911, Moulay Hafid qui avait détrôné son frère confie à M. Biarnay, directeur des Télégraphes chérifiens le soin d’organiser les services postaux du Maroc. Biarnay réunit alors les divers services marocains sous la dénomination d’Administration Chérifienne des Postes, des Télégraphes et des Téléphones ; il va adjoindre aux Marocains des postiers de carrière français et remplacer les rekkas à pied par des courriers à cheval quotidiens. Le service  commence à fonctionner en décembre 1911 et transporte lettres ordinaires et recommandées. En 1912, les courriers chérifiens transportent environ 500 lettres par jour.

 

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Timbre commémorant, en 1962, le 50ème anniversaire de la création de la Poste Chérifienne, par Biarnay. Hommage aux rekkas … à cheval

En 1913, il existe dans les principales villes du Maroc des bureaux de poste chérifien, français, anglais, espagnol et allemand, ainsi que des bureaux de télégraphe chérifien avec ou sans fil. Le 1er octobre 1913, le gouvernement français cède au gouvernement marocain les établissements postaux qu’il possède au Maroc. La fusion de ces bureaux avec les services chérifiens, créent l’Office des Postes et Télégraphes marocains.

Le 1er août 1914, les bureaux de postes allemands sont fermés ; un an après, à la suite d’une entente avec le gouvernement espagnol, celui-ci supprime les bureaux qu’il exploite en zone française et la France ferme ses bureaux de la zone espagnole. L’ Angleterre supprimera plus tard (en 1938) son service postal.

À l’intérieur du Maroc, le transport des dépêches se fait peu à peu par fourgon postal, puis automobile, automotrice, ou par les chemins de fer militaires. L’office des postes passe aussi des marchés avec des entreprises de transport et dans les régions éloignées les rekkas à cheval ou à pied auront encore longtemps une place.
Les correspondances militaires pour les postes de l’avant sont acheminées à partir du dernier bureau « civil » par les soins du Service de la Trésorerie et des Postes aux armées par les moyens les plus appropriés au terrain !

Une anecdote : pour rendre hommage  à celui qui commença à établir les communications régulières entre le Maroc et l’Europe, on a donné son nom au jardin qui se trouve à la sortie du Mellah de Fès. Ce jardin est dans un triste état depuis des années … mais un projet de rénovation sous la direction d’un architecte fasi est à l’étude !

Une rue de Fez Ville-Nouvelle portait aussi le nom de Samuel Biarnay, (actuellement Mohamed el Jaï, me semble-t-il) en hommage à l’attitude courageuse de Biarnay venu au secours des télégraphistes assiégés dans leur local de la rue du Douh, lors des émeutes d’avril 1912. Il ne put les sauver tous ; cette rue est voisine des rues Décanis, Ricard et Miagat du nom des télégraphistes tués.

 

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 Bandeau en bois, avec sculpté en bas l’inscription « Barid al Maghreb », 1er bureau de poste chérifien de Fès. Cette enseigne est actuellement portée par un magasin, à peu près en face de la porte de la  Medersa Rass Cheratinne. C’était un magasin de vêtements et de petits bijoux. Il a changé de propriétaire et était en réfection il y a environ un an. L’enseigne existait encore et le propriétaire des lieux m’avait promis de la conserver …

Cette histoire de l’installation de la poste française à Fès montre la complexité de la situation postale au Maroc au début du XXème siècle … ce qui a fait et fait certainement encore, le bonheur des philatélistes. J’ai trouvé des renseignements « à droite, à gauche », dans des articles de journaux ou des livres évoquant au hasard d’un récit l’épopée de la poste marocaine. Les dates de création des différents services postaux dans les régions varient un peu selon les sources : elles restent exactes à quelques mois près !

En dehors des deux quotidiens mentionnés plus haut, j’ai lu « Des rekkas à Radio-Maroc » de Raymond-Martin Lemesle aux Éditions de la Lucarne ovale, et « Lettres d’un oncle. Contribution à l’histoire du Maroc 1887-1906″ de Roger-Pierre Raoult publié en 1995 aux éditions « La Porte ». Zoé Deback a publié « La poste et le Maghzen » un très intéressant article en juin 2011 dans la revue Zamane.

Voir … ou revoir aussi Les rekkas de Nejjarine