Image à la une : Portail de la mosquée des Andalous Cliché Belin
Sans revenir sur l’histoire de la création de Fès ( voir Fès et sa création ) on peut dire qu’une cité berbère est fondée par Moulay-Idriss 1er sur la rive droite de l’oued Fès en 172/789. Elle est appelée Médinat Fâs et on y bat monnaie.
Idriss II vient s’établir – selon les documents ou les légendes – en 801 ou 808 dans cette cité, l’agrandit et en 802 ou 809 en établit une autre sur la rive gauche de l’oued où il fait venir les gens de Kairouan. Elle s’appelle d’abord El Aliya, puis elle prend de ses habitants le nom de « Rive des Qaraouiyines ».
La première cité, celle de la rive droite, garde le nom de Médinat Fâs, qui ne désignera l’ensemble des deux cités que plus tard, en 1070, quand l’almoravide Youssef ben Tachefine les réunit par une seule enceinte.
Dès le règne d’Idriss II, mille familles andalouses chassées de Cordoue par les Omeyyades viennent, rive droite de l’oued Fès, se mettre sous la protection d’Ali, gendre du Prophète dont Idriss est le descendant. De ses familles, le quartier a gardé le nom de Quartier des Andalous.
Fès comprend alors deux villes bien distinctes, l’adoua de Kairouan et celle des Andalous qui ne reçut d’enceinte fortifiée qu’après la première, vers 935, et à en croire Ibn Khaldoun, chacune constituant une forteresse derrière laquelle se groupent fondouks et jardins ; elles sont séparées par des vergers, des terrains vagues et par la rivière où tournent de nombreux moulins et sur les berges de laquelle se battent souvent les habitants des deux villes ; l’une et l’autre auront pendant trois siècles chacune leurs gouverneurs et leurs cadis différents, leurs mosquées cathédrales et leurs universités, centre de science et de théologie, l’une et l’autre rivales et assez souvent en guerre. Le cadi devient unique seulement en 995.
Sous le règne de Yahya Ben Mohamed, petit-fils et successeur d’Idriss II, vint s’établir à Fès vers 850 (245 Hégire) un notable originaire de Kairouan, Mohamed Ben Abdallah el Fihri, qui mourut bientôt en laissant deux filles fort pieuses, Fatima et Meryem. Elles décidèrent de consacrer leur héritage à l’édification d’une grande mosquée dans chacune des deux adoua. Fatima éleva la Qaraouiyine et Meryem la Mosquée des Andalous.
En fait, la tradition propose deux versions : selon la première, Fatima, fille de Mohammed el Fihri, perd coup sur coup son mari et sa sœur et se retrouve avec une fortune considérable qu’elle décide de consacrer à des œuvres pies. Elle achète alors un terrain boisé, libre de constructions pour y faire édifier la mosquée qui s’appellera la Mosquée Qaraouiyine. Rien n’est dit sur la Mosquée des Andalous.
Selon d’autres auteurs, Mohammed el Fihri laisse en mourant une grande fortune à ses deux filles, Fatima et Meryem. Prises d’une sainte émulation, les deux sœurs font bâtir chacune une mosquée, Fatima celle des Kairouanais (la Qaraouiyine) et Meryem la mosquée des Andalous pour la construction de laquelle elle a été aidée par les Andalous établis dans le quartier.
La seconde hypothèse avec son parallélisme parfait entre les deux mosquées et les deux sœurs, paraît trop belle pour être vraie … mais je n’ai pas d’autres hypothèses à vous proposer pour donner une origine à l’édification de la Mosquée des Andalous si ce n’est peut-être une initiative des Andalous du quartier. On peut retenir cependant que la construction des deux sanctuaires semble due à l’initiative privée, ce qui permet de penser que la foi est suffisamment forte à Fès pour que le souverain ne soit plus obligé d’être l’initiateur de la construction de monuments religieux. C’est également le signe que s’il y a besoin de mosquées c’est que la population musulmane s’accroît.

Porte de la Mosquée des Andalous en 1912
Maurice Neny, le 27 juin 1951, dans un article intitulé « Les richesses de Fès : la Mosquée des Andalous » publié dans le Courrier du Maroc, quotidien de Fès et du nord Marocain, relate l’histoire de la mosquée :
La construction de la Mosquée des Andalous a commencé en 860. Al Bekri rapporte qu’elle comprenait alors six travées et un petit atrium planté de noyers et qu’elle était pourvue d’une eau abondante prélevée sur l’Oued Masmouda.
Ce ne fut qu’en 933 et par ordre d’Hamed El Hamadani, gouverneur de Fès pour le compte des hérétiques fatimides, c’est à dire 73 ans après sa fondation, qu’on y fit la « Khotba« , le prône du vendredi, qui était resté, jusque-là, le privilège de la Mosquée Achiakh*. L’un des gouverneurs, Abderrahman Ben Mohamed, khalifa de Cordoue la dota de son minaret en 956.
* La Mosquée Achiakh (Mosquée des Chefs), aussi appelée Mosquée An Nouar (Mosquée de la Fleur), est réputée avoir été bâtie sur le lieu où fut dressé le premier camp d’Idriss II, avant qu’il ne se transporte vers la Ville haute à l’endroit où s’élève aujourd’hui une construction que l’on appelle Dar al Gaïtoun (la Maison de la Tente). Par déférence pour le souvenir du grand souverain on laissa la Mosquée Achiakh … sans restauration jusqu’en 1208. À cette époque le sanctuaire tombait en ruines et fut restauré, sur l’intervention du fils de Sidi Bou Médian, par l’almohade Mohamed En Nasir Li Din Allah qui venait de parfaire l’agrandissement et l’ornementation de la Mosquée des Andalous. La construction actuelle a été réalisée par les sultans alaouites. Dans son enceinte ne sont enterrés que des Chorfas Idrissites.
La grande porte du nord de la Mosquée des Andalous fut construite sur l’ordre de l’almohade Mohamed En Nasir Li Din Allah, en l’an 1204. Haute de vingt-sept coudées et large de vingt, elle était précédée de 14 degrés. Une cloison grillagée en bois, percée de trois ouvertures, la fermait. L’ouverture du milieu donne accès à un bassin de pierre rouge dans lequel arrivait l’eau de l’Oued Masmouda.
Un auvent de plâtre sculpté vers l’intérieur et de cèdre vers l’extérieur surmonte cette porte. Jusqu’en 1320, cet auvent recélait un talisman qui interdisait aux hirondelles d’y nicher et de pénétrer dans la mosquée.

Grande porte Nord de la Mosquée des Andalous. Cliché anonyme et non daté. Cette porte est une des rares entrées de mosquées de Fès que l’on puisse admirer avec un recul suffisant et sa haute silhouette domine tout le quartier. On l’aperçoit également depuis le bordj nord, les Mérinides ou le Palais Jamaï. Elle est la reproduction d’une porte intérieure de l’Alcazar de Séville et fut exécutée en 1204, par des ouvriers maures venus de Séville
En Nasir fit également construire une fontaine et une entrée pour la salle de prières des femmes ; au-dessus de celle-ci, une « Msria » pour les imams de la mosquée et un Dar El Odou, pavillon des ablutions sur le modèle de celui de Qaraouiyine. La vasque de ce Dar El Odou fut donnée par Abou Zakaria Yahya, l’un des fils d’En Nasir, prétendant évincé, qui régna temporairement à Marrakech.
Depuis son agrandissement, la mosquée des Andalous comporte quinze travées d’Est en Ouest et treize du Nord au Sud. Sa longueur et sa largeur sont de deux cents coudées, elle peut contenir quatre mille fidèles.
Son minaret mesure, sur chacune de ses faces, seize coudées, sa hauteur est de soixante-dix coudées et son escalier compte soixante-quatorze degrés.
En Nasir dota la mosquée de l’eau d’une source située près de Bab El Hadid, mais, dans une année de famine, le canal d’amené fut détruit, vraisemblablement par les propriétaires d’Al Oyoun et de Ras Jnane au profit de leurs plantations assoiffées. Les fréquents « vols d’eau » que sanctionnent nos tribunaux, chaque été, sont donc de tradition fort ancienne. On dut avoir à nouveau, recours à une prise sur l’Oued Masmouda, jusqu’en l’an 1308, où le mérinide Abou Tabit fit reconstruire ce canal.
Parmi les docteurs célèbres qui enseignèrent à la mosquée des Andalous, on trouve Djabar Allah El Qasim El Andalusi qui fut, sans doute, l’un des quatre piliers de la Foi qui troublèrent les rêves de Johar, général fatimide lorsqu’il assiégea Fès, trois autres de ces quatre piliers ayant été Abou Jida Ben Ahmed, Deress Ben Smail et Sidi Harazem.
Djabar Allah était lui aussi, un tenant du malékisme et l’auteur du Zahrat Al As rapporte l’une de ses controverses avec Deress Ben Smail, divulgateur du livre d’Al Moaïzz, qui aurait eu lieu à l’ombre de ces murs et qui roula sur le sujet suivant : « Est-il permis de rendre à son vendeur, un taureau acheté à l’époque des moissons pour dépiquer et qui s’avère impropre à cet emploi, si ledit vendeur n’a pas stipulé que l’animal avait subi le dressage nécessaire à cette utilisation ? »
Le même auteur rapporte aussi l’histoire du cadi Abou Mohamed Abdallah El Houwari, droit dans ses jugements et plein de la crainte de Dieu, qui mena une existence sans faste et condamna impitoyablement, dans cette enceinte, à la mort, à la crucifixion, et à la mutilation. Ses ennemis, obtinrent, lorsqu’il fut décédé l’ouverture d’une enquête sur ses moyens d’existence. On rechercha ses fournisseurs et on en trouva point. Il recevait de Meknès, son huile et son beurre, ses contribules des Houwara le fournissaient en blé, sa femme tissait ses vêtements. Qu’Allah ait en sa sainte miséricorde ce juge intègre, qui avait su, par un sage comportement, se mettre à l’abri de la corruption.
Il est probable que l’enseignement donné à la mosquée des Andalous était très recherché au XIV ème siècle. La construction de la Médersa Sahrij et de la Sbayine en font foi. Une autre médersa existait d’ailleurs dans le même quartier sur les bords de l’Oued Masmouda. Reconstruite, c’est aujourd’hui la mosquée de l’Oued. La prédominance puis le monopole de la Qaraouiyine se sont affirmés que depuis les Saadiens, c’est à dire le XVI ème siècle. Le sultan des Tolba continue pourtant de visiter la mosquée des Andalous le vendredi qui suit son élection.

La Médersa Sahrij. Photographie du service photographique de la Résidence 1929/1930). La médersa Sahrij a été construite, par le prince héritier Abou el Hassan, à partir de 1321, pendant que son père le Sultan Abou Saïd faisait bâtir la mosquée de Fès-Jdid. À Sahrij, la partie réservée au logement des étudiants s’étend sur le rez de chaussée et un étage. En plus des logements, il y a une médersa annexe : Sbayine et une maison d’hôtes, le Dar Habi Habasa qui était destiné, paraît-il, aux parents des étudiants.
La mosquée bénéficie de l’institution charitable des « moanis al meurda » les « compagnons des malades ». Cette œuvre assure, pendant les dernières heures de la nuit, aux malades qui ne peuvent dormir, le secours de prières psalmodiées par une compagnie de muezzins qui se succèdent dans un ordre invariable, de demi-heure en demi-heure. Enfin il est d’usage que le prédicateur de la mosquée soit toujours un membre de la famille des Ben Souda.
La place du Seffah, est ainsi nommée à cause de la corporation des crieurs de nouvelles les « sahafa« , chargés par le Maghzen de répandre les informations à travers la Ville. Ils n’étaient point rémunérés, mais avaient le privilège de vendre aux enchères, un jour par semaine, sur cet emplacement, les meubles d’occasion.
Avoisinent la Mosquée, la Médersa Sbayine (l’école de ceux qui enseignent les sept psalmodies du Coran), dite « Medrasa Sghora » et la Médersa Sahrij (l’école du Bassin) dite Médrasa El Kobra ; la Médersa Sahrij est une merveille, malheureusement fort délabrée.
L’une et l’autre furent construites à partir de 1320 par Abou Al Hassan, héritier du mérinide Abou Said Othman. On travailla, parait-il, pendant 9 ans à leur édification. La dépense s’éleva à cent mille dinars.

Intérieur de la Médersa Sahrij « fort délabrée ». Ce cliché Niddam et Assouline est des années 1915-1918 avant la restauration de la Médersa. En 1951, lorsque Maurice Neny écrit son article, la Médersa Sahrij a été restaurée, comme le montre le cliché précédent du Service photographique de la Résidence (1929/1930) et elle est moins délabrée qu’il ne l’écrit.
À gauche : cliché Bouhsira de la Médersa Sahrij. À droite : affiche de Robert-Camille Quesnel vers 1935 pour le Syndicat d’initiative de Fès. La Médersa Sahrij a pu, me semble t-il, inspirer l’artiste.
Les médersas Sahrij et Sbayine ont fait partie du dernier programme de rénovation de la médina de Fès où 27 monuments ont été concernés.