Image à la une : Le Kiosque à Musique, avenue Maurial (qui à l’époque s’appelait d’ailleurs l’avenue de la gare) vers 1920. Derrière à gauche, l’Hôtel Terminus ; à droite la Brasserie Fez-Palace (avec le Grand Restaurant Toulousain de Jean Lacourt).

Le kiosque à musique est une construction fréquente de l’aménagement des villes et des parcs au 19ème siècle et jusqu’au début du 20ème ; il accueille les spectacles d’artistes et les concerts de musiciens.

C’est un espace récréatif, gratuit en général, où l’on vient s’aérer, se détendre et oublier les soucis quotidiens en se laissant bercer par la musique. On s’y retrouve entre amis et on s’y rend en famille, car le kiosque est le seul espace musical qui accueille les enfants et leur permette de poursuivre leurs jeux. C’est un lieu de convivialité où on écoute le concert assis, mais plus souvent debout, en déambulant lentement dans les allées avoisinantes, en s’installant à l’écart sur un banc ou en se regroupant entre amis, en faisant silence ou en continuant sa conversation. L’attrait du kiosque réside dans cette absence de contrainte.

Fès, dans les années 1920 avait deux kiosques à musique : celui de la ville nouvelle dans le square situé dans le triangle avenue Maurial-rue Tissot-rue du 11 novembre ( voir image à la une) et le kiosque  à musique du jardin de Boujeloud (Jnan Sbil), construit vers 1921.

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Concert au jardin de Boujeloud, dans les années 1920

Le jardin de Boujeloud est à partir de 1917 un lieu de promenade. Au fil des années, la végétation luxuriante, les multiples vasques et jets d’eau, le parfum des roses au printemps, les allées ombragées, en font un lieu de flânerie, particulièrement goûté des Fassis qui peuvent profiter des concerts militaires hebdomadaires donnés dans le kiosque au centre de la large allée axiale, où se trouve actuellement la bassin aux jets d’eau.

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Musique dans les jardins de Boujeloud, avant la construction du kiosque

Ces kiosques à musique donnent accès à la musique aux couches de population qui, jusque-là, en étaient majoritairement exclues. Le kiosque à musique propage et développe parmi la population le goût de la musique.

Tous les dimanches soirs, avant et pendant la guerre 39-45, l’orchestre philharmonique du 3ème Régiment de la Légion étrangère donnait un concert gratuit au kiosque de musique en Ville nouvelle. La Légion étrangère est une formation militaire d’élite composée de volontaires, essentiellement étrangers. La particularité du recrutement de la Légion étrangère fait que certains de ses musiciens ont étudié parfois dans les meilleurs conservatoires du monde ou se sont déjà produits sur de grandes scènes internationales. Nombreux étaient les Fassis (dont mes grands-parents et ma mère) qui assistaient régulièrement à ces concerts, car Fès n’avait pas à cette époque de salle de concert ou de théâtre pour accueillir des musiciens. Plus tard les « Amis de la musique » donneront des concerts, tous les quinze jours, dans les salons du Grand-Hôtel mais ils étaient réservés à un public restreint.

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La musique du 3ème régiment de la Légion étrangère,en concert dans le kiosque

J’ai trouvé dans la Dépêche de Fès du 11 juillet 1942, ce petit « billet d’humeur », non signé, à propos du public des concerts du kiosque à musique de l’avenue Maurial.

Les Fassis ont le bonheur exceptionnel de pouvoir assister régulièrement au concert donné par l’excellente musique du 3ème Étranger, au square de l’avenue Maurial, sous l’habile direction de M. Candillier … Mais à part un petit groupe de connaisseurs et un autre petit groupe de gens bien élevés, les personnes qui viennent là donnent à l’audition un net caractère de « foire ». Hétaïres en rupture de ban, soldats « à moitié pompette », demoiselles à la recherche d’un mari, vieilles dames et vieux messieurs à la langue bien pendue, jeunes « beaux » à l’œillade facile ; tout ça tourne en rond et rigole et blague et crie et se moque des morceaux d’harmonie que scande avec vigueur et conviction le chef de musique.

Or cette manifestation devrait être marquée du sceau de la politesse et du silence. On n’y vient pas pour discuter, pour s’amuser comme des gamins de dix ans, pour admirer cuisses et jambes ou les exhiber. On y vient pour écouter et applaudir de la musique, un point c’est tout.

À la place de M. Candillier, je sais ce que je ferais en l’occurrence. Si je n’obtenais pas une discipline polie de la part des auditeurs, j’arrêterais immédiatement le concert et je donnerais l’ordre aux musiciens de se rendre au quartier. Car, plus vous gâtez certaines personnes, plus elles se moquent de vous.

166 Square de la musique

Square et kiosque à musique. Années 1920

Dans le chapitre « Piano, Plaisirs et Métier » (p.35) de son livre « Rebecca, française du Maroc » édité en 1995 par l’Université des femmes Bruxelles, Rebecca Arrouas évoque les concerts du dimanche au kiosque à musique de la Ville nouvelle :

Avant et pendant la guerre, il y avait quand même une activité musicale à Fès : il y avait quelques concerts. En premier lieu ceux de la Légion étrangère, magnifiques. Pour la musique, ce régiment venait immédiatement après celui de Sidi Bel Abbès qui était très connu dans toute l’Afrique du Nord, en France et même à l’étranger, pour son orchestre philharmonique. La Légion de Fès donnait tous les dimanches soirs, au kiosque de musique en ville nouvelle, un concert gratuit à la population qui écoutait en se promenant dans le jardin. On attendait la fin du concert pour assister au défilé : l’orchestre faisait des exercices de roulement avant de prendre la marche. J’en perdais le souffle ! Nous attendions avec impatience la fête de Camerone, fête de la Légion. Il y avait alors des soirées splendides.

Mon neveu Charles apprenait le violon avec un professeur italien, Monsieur C. Si j’ai pu assister aux concerts de la Légion, c’est grâce à Charles qui m’accompagnait. … Nous avons fait ensemble notre éducation musicale, sur le tas si j’ose dire. Nous lisions les programmes, où certains morceaux revenaient souvent ; puis nous retenions les airs, nous les répétions. Le premier violon de la Légion est un jour retourné à la vie civile, il a donné des leçons de violon. Plus tard, nous avons fait connaissance et donné des concerts ensemble. C’était Monsieur B. Le chef de musique de la Légion, Monsieur W. avait créé une école, l’Étoile musicale, qui n’a pas duré bien longtemps. Nous n’avions alors ni radios, ni phonographes. Si l’on n’était pas très, très riche, on n’avait aucun moyen d’écouter de la musique. Pour moi j’ai tout découvert en déchiffrant, en écoutant mon professeur, en faisant déchiffrer mes élèves. Je travaillais avec acharnement, en autodidacte, avec tout ce qui me tombait dans les mains. J’achetais beaucoup de partitions que je commandais en France. Il y avait quelques concerts privés, de musique de chambre mais c’était après neuf heures du soir, et mes parents ne me permettaient pas d’y aller.
Quand les concerts du kiosque ont disparu, d’autres ont été organisés sur la place Lyautey en plein centre de la ville nouvelle.. Quand mon professeur a dû quitter Fès, c’est le surveillant général du lycée, Monsieur P., notre voisin et ami de la famille qui m’accompagnait.

166-c Kiosque à musique

Le kiosque à musique 1931

Rebecca Arrouas a ouvert à Fès une école de musique qu’elle a tenue de 1942 à 1973 et où elle enseignait le piano et le solfège. Françoise Hecq dans la présentation du livre de Rebecca Arrouas écrit : « Que dire de Rebecca ? … Musicienne, autodidacte, concertiste, elle fut aussi une pépiniériste d’éveil musical pour les enfants pauvres du mellah comme pour ceux des quartiers riches ».

Quant au premier violon de la légion Monsieur B. dont parle Mme Arrouas, il s’agit de Monsieur Bondu qui était notre professeur de musique au Lycée mixte de Fès (Lycée Ibn Hazm) : nous avons tous le souvenir de ses dictées musicales où il nous fallait retranscrire sur portées les notes qu’il jouait au piano !! Le résultat de cette dictée de notes était souvent la « ronde » qui sanctionnait notre travail ! Mais M. Bondu nous a appris à « écouter » la musique.

166-f Square Maurial 1927 T

166-g Sq maurial 1927 T          Un dimanche sous la neige … et sans concert ! 1926 ou 1927