Image à la une : Fès-Médina le 17 janvier 1930. Photographe Adj.chef Orihuel. Pilote Adj. Ciavaldini 37ème RA 9ème Esc.

Au moment où le Conseil Régional du tourisme de Fès lance une ambitieuse campagne de communication auprès des médias étrangers et des acteurs du tourisme international pour promouvoir la ville de Fès et son patrimoine historique, culturel, matériel et immatériel j’ai retrouvé ce petit article de Jean Martin, directeur du « Journal de Genève » qui faisait partie d’une caravane de journalistes suisses venus découvrir Fès à l’automne 1933.

Voici ce qu’il écrit le 4 décembre 1933 sous le titre « Fès, triple et une » :

Dès le XIème siècle Karaouiyine et la ville des Andalous ne forment plus qu’une Cité : Fès, aujourd’hui Fès el Bali, la vieille Fès. Deux siècles plus tard, un peu plus haut dans le vallon, les Berbères édifient la deuxième Fès : Fès-Djedid, Fès la neuve, avec le quartier Juif du Mellah. Huit cents ans s’écoulent, et plus haut encore, à quelque distance, les Français construisent une troisième Fès, Fès ville nouvelle : Fès ville européenne. Trois villes et cependant une seule cité : Fès, triple et une (El Médina).

« Fès el Bali, la merveille des merveilles, a été décrite cent fois, et sous toutes les plumes – ou presque – les mots « la mystérieuse » se sont irrésistiblement attachés à son nom. Je n’aime pas beaucoup ce « Fès la mystérieuse » : le mystère trop bien étiqueté perd de son mystère. Fès el Bali demeure toujours, il est vrai, un mystère pour l’âme européenne, mais est-elle un mystère pour l’âme arabe ? Fès, c’est plus qu’un mystère : c’est tout un monde ; un monde du passé et un monde d’aujourd’hui, parce que, tandis que tout évolue autour de lui, l’Islam reste semblable à lui-même.

Mzara Moulay Idriss

Rue Tal’aa Kbira au niveau de la mzara* de Moulay-Idriss que l’on voit sur le côté droit de l’image. Photographie anonyme et non datée probablement avant 1920.

*Le culte de Moulay-Idriss n’est pas limité au sanctuaire même : en plusieurs points de la ville, et notamment dans Tal’aa Kbira, en amont de Kantrat Rous (photo) et dans la rue principale du quartier de Keddan, on peut voir de petites niches encastrées dans un mur et protégées par une grille, que l’on nomme « mzara » – lieu de visite – de Moulay Idriss. Ainsi les gens qui n’ont pas le temps de se rendre au sanctuaire peuvent tout de même faire leurs dévotions au grand saint.

Rues et ruelles. Fontaines et portes. Étalages de légumes et souks des commerçants. Taches de soleil dans les ruelles sombres. Ici l’orfèvrerie finement ouvragée. Là, les cuirs aux dessins géométriques. Un ruissellement de couleurs : les teinturiers. L’antre du feu : les forgerons.

007 Marché aux légumes

Marché aux légumes à Bab Jiaf. Cliché anonyme, vers 1920

Forgerons 1924 (2)

Fès Forgeron dans son « antre ». Photographie anonyme 1924

Au milieu de cette frénétique animation, les mosquées : les innombrables mosquées avec leurs minarets, et les écoles où se forment aujourd’hui, comme il y a dix siècles, les jeunes savants de l’Islam. Puis, au détour d’une ruelle, c’est le palais d’un riche marchand arabe dont les esclaves – des esclaves qui ont toujours le droit de reprendre leur liberté – nous servent le savoureux thé parfumé à la menthe.

 

Mosquée Karaouiyine, à gauche, entrée de la mosquée ; à droite, bassin des ablutions. Photographies plaque de verre, 1917, anonyme.

Dar Glaoui T

Dar Glaoui. Fès. Vers 1920

Sitôt que l’on quitte une de ces oasis de repos pour rentrer dans la circulation de Fès, tous les sens à la fois s’imprègnent de cette féerie de bruits, d’odeurs, de couleurs et de formes que la mémoire est incapable d’enregistrer à cause de leur multiplicité, et dont il reste une griserie étrange, la griserie de se sentir vivre dans un monde qui n’est pas le nôtre, dans un monde dont on ne sait s’il est du passé, du présent ou de l’avenir, dans un monde dont la trépidation même marque l’implacable stabilité. Voulez-vous connaître la vie des hommes avant l’instauration des fabriques, voulez-vous voir le royaume des artisans ? Allez à la Médina de Fès.

006 Café Maure

Fès el Bali vue du Café maure des Mérinides. Années 1950

Étourdi, capté par cette Cité, fuyons-la un moment : regardons-la du dehors. À l’horizon, de chaque côté, des montagnes ; plus près, des collines. En bas, le fleuve, le Sebou. Au milieu, un torrent de maisons qui dévalent la pente pêle-mêle avec les oueds et la verdure. Un torrent qui s’est figé là il y a des siècles et qui y est demeuré. Un torrent ? Ne vaudrait-il pas mieux dire un glacier ? Voyez ici ses moraines caillouteuses, là ses replats avec ses crevasses, et sur la pente les séracs, les cent-vingt séracs que forment les cent-vingt minarets de Fès.

«  Et Fès-Djedid ? Intéressant aussi, quoique moins savoureux que Fès el Bali. Parcourez le Mellah, regardez les descendants de Jacob, et vous sentirez, sans bien la comprendre, l’hostilité originelle qui oppose Arabes et Juifs, et que contient la force à la fois prudente et ferme du protectorat français.

076-a Rue Gadia

Rue Gadia dans le mellah de Fès. Cliché Bringau, 1920

Plus haut encore c’est Fès la Neuve, que la sagesse des Français n’a pas construite en style néo-arabe, en ersatz européen d’art africain. De grandes lignes blanches horizontales et verticales d’une parfaite simplicité, sans ornements superflus. Un style moderne qui s’apparente ici parfaitement au paysage, alors qu’il heurte les yeux dans le nord, au milieu des vieilles demeures gothiques ou des maisons de la Renaissance. Grande ville, grands édifices, grands boulevards : tout est large, aéré, tonifié par le grand soleil d’Afrique. Une ville du XX ème siècle à côté d’une ville du VIII ème . Et cependant c’est la même ville.

C’est Fès, la capitale du Maroc du nord, le centre où fermentent les idées et les agitations politiques, le centre où s’affrontent sans se mélanger le génie français, le génie arabe et le génie hébraïque. C’est Fès triple et une.

003 vue aérienne 1926

Fez Ville-nouvelle. 1926. Cliché centré sur la place Clémenceau/Pl. Mohammed V

À vouloir, nous « vendre » Fès « trois en une » notre ami suisse finit par mélanger la Djedid, la neuve et la nouvelle … mais sa référence aux  glaciers est rafraichissante et sympathique tant, qu’avec la chaleur estivale, les séracs ne finissent pas dans le Sebou !

Vue aérienne 2

Fès « triple et une ». Cliché aérien du début des années 1920, anonyme. Au premier plan, Fès el Bali – la vieille Fès – ; sur la gauche, en haut, Fès Djedid – Fès la neuve – et le Mellah ; et plus à gauche, près du coin haut, on distingue quelques constructions de Fès Ville-Nouvelle.