Image à la une : Tour des astronomes, à côté de la mosquée Qaraouiyine. Cliché des années 1930.

Les derniers jours avant le début estimé du Ramadan, sur la Tour des astronomes, les hommes de l’art, munis d’antiques instruments, étaient prêts à témoigner de l’apparition, du mince croissant de lune annonciateur du mois sacré. Dès qu’ils l’avaient constatée, ils avertissaient le cadi qui faisait tirer un coup de canon pour informer la population de l’évènement. Le jeûne du Ramadan commence à l’aube suivante.

Nuits de Ramadan de ma cité enchantée, quoiqu’il advienne je saurai rester fidèle à votre souvenir. Je désire vagabonder par le vaste monde mais pouvoir me rendre chaque année à notre rendez-vous parcouru de fièvre comme un amoureux.

Vous serez parées, mes belles nuits de vos robes de velours si divinement nuancées des noirs les plus chauds des gris les plus caressants. La rue Talaâ bourdonnera de la musique des « Guimbris ».

Je me perds dans les souks en fête. Pendant tout le Ramadan les souks sont en fête toutes les nuits. Les marchands se renvoient les plaisanteries et les bons mots. Les conteurs s’installent là où peuvent se réunir cinquante noctambules. Les tambourins résonnent allègrement sous les doigts. Les lumières sont rares.

Devant moi s’étendent de grandes perspectives d’ombre. À l’horizon se découpe la silhouette d’un minaret. Les murs, les magasins, le passé de la rue paraissent le jour d’une pierre impitoyable, un géant s’y casserait les dents. La nuit, tout me paraît en une matière précieuse et comestible.

J’ai envie de mordre l’angle de cette rue, de boire à longs traits le liquide de l’ombre. Oui, pendant le Ramadan et, pendant le Ramadan seulement, les nuits de Fès ont le goût chaud et aromatisé des fruits exotiques. Une lumière abricot coupe au loin la perspective de la rue. (Je n’ose plus donner de nom aux rues, elles sont si peu les rues de tous les jours).

Une épaule me heurte. Est-ce bien une épaule ou l’aile de quelque immense chauve-souris ? Cela ressemble plutôt à un battement de cœur. Arrivé à la tache lumineuse échappée d’une boutique de fruitier je soupire soulagé : une femme ! mais une femme pressée.

Pourquoi êtes-vous si courtes, nuits de Ramadan ?

À la borne fontaine l’eau écume dans des seaux invisibles ; je tousse, personne ne répond. Ce doit être cela ! Oui la nuit drapée dans sa robe constellée de gemmes, puise dans le silence, l’eau de Fès, l’eau aux mille vertus.

Il n’y a plus de rue maintenant, mais simplement l’ombre, une ombre brune qui étouffe les pas. Elle est moelleuse comme un tapis et tiède comme une femme. L’ombre psalmodie un couplet. J’aperçois un rectangle de ciel tout moiré de reflets de soie. Le « Neffar » lance d’énergiques coups de trompette et le joueur de « Ghaïta » entame sa sérénade.

Ahmed Sefrioui. 24 janvier 1948 dans la « Presse marocaine », grand quotidien illustré du matin, depuis 1913.

« Qui n’a pas vu Fès les nuits de Ramadan, dit ailleurs Ahmed Sefrioui, n’a jamais vu Fès. Les conteurs s’installent à la porte des cafés, les guimbris, les tarijas résonnent à chaque carrefour, les longues trompettes mugissent du haut des minarets et la flûte trace dans l’air limpide de brillantes arabesques. »

Ahmed Sefrioui, authentique fasi, a reçu en 1947 le premier prix littéraire du Maroc pour « Le chapelet d’ambre ». Il était animateur et conférencier apprécié des « Amis de Fès » et de l’Alliance française à Fès

En 1954, il publie son deuxième roman intitulé « La boite à merveilles »,  roman  autobiographique : « La boîte à merveilles » se déroule à Fès vers 1920, et relate les souvenirs d’un enfant de six ans.

C’est en 1973,  que paraît, en Algérie,  « La Maison de servitude » et il publie en 1989, sa quatrième et dernière œuvre de fiction, « Le jardin des sortilèges ou le parfum des légendes », recueil de contes inspiré de la littérature orale populaire.

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