Image à la une : L’esplanade de Boujeloud . Photographie aérienne du 16 mars 1936. Cliché pris  à une altitude de 250 m (Pilote Sgt C. Gaudry ; Obs. Cne Breyton de la 5ème section de photographie aérienne). Au centre de la place, le Heri. Sur la partie droite de la photo, le Collège Moulay-Idriss, la Résidence, le Palais du Batha. En bas à gauche, l’entrée de la Casbah An Nouar.

Le nom de « Bou Djeloud » ou « Bou Jloud » ou  « Boujeloud » est  la déformation populaire de l’expression  « Bou Jenoud » : « la place d’armes » ou « la garnison ».

Depuis plus d’une vingtaine d’années différents projets de réhabilitation de la place de Boujeloud ont été proposés. Les programmes réalisés de restauration/réaménagement ont permis de valoriser le patrimoine architectural de cet espace qui assure la liaison entre Fès-Jdid et la Médina.

L’autre ambition était de faire de l’esplanade de Boujeloud la sœur jumelle de « Jamaâ el Fna », en l’ouvrant au tourisme culturel et culinaire : artistes de rue, conteurs, musiciens etc. et repas traditionnels de qualité et à des prix abordables. Il me semble que si la place offre un espace accueillant pour des spectacles « off » lors de festivals culturels à Fès,  l’animation habituelle est encore plûtot restreinte et les restaurants de rue sont toujours à rechercher dans le haut du Talaâ … mais on a l’avantage de pouvoir garer sans problème sa voiture sur la vaste esplanade de Boujeloud !

On souhaite que les efforts actuels pour faire de Fès une destination touristique recherchée permettront à la ville de donner naissance, plus qu’à la sœur jumelle de « Jamaâ el Fna », à une petite sœur qui n’aura pas les défauts de son aînée !

J’ai retrouvé quelques documents du siècle dernier : à quoi ressemblait cette place il y a une centaine d’années ?

Lorsque l’on vient de Fès-Jdid, – sur le plan ci-dessous à partir du Vieux Méchouar de Bab Dekakène – avant d’entrer à Fès el-Bali par Bab Boujeloud, on traverse, après l’étranglement de Bab Chems  – au bout des jardins de Bou jeloud – une vaste esplanade, légèrement en pente « l’esplanade de Boujeloud » au centre de laquelle s’élevait une construction aujourd’hui disparue, (j’ignore la date de sa disparition) : le « herri » ou écurie. C’était une construction mérinite, massive, rectangulaire. (voir la photo de Une)..

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Extrait du plan de Fès (échelle 10 000ème) levé par le lieutenant Orthlieb du 4ème Régiment de Tirailleurs en 1912-1913. Le herri est figuré, au centre de l’Esplanade par un rectangle tracé en rouge. Le n° 10 correspond à la mosquée de Bou Jeloud, le 11 à la médersa Bou Inaniya, le n° 9 (en haut à droite) à la mosquée An Nouar.

Plan Fès 1933

Plan de 1933. Extrait d’un plan de l’Armée américaine de 1941 mais copié sur un plan français de 1933 : « Army map Service 1941, Copied from a french map dated 1933 ». Peu de changements en dehors des voies de circulation et le collège musulman. (N°40)

Plan Fès 1933 (2)

Zoom sur l’esplanade de Boujeloud bordée de murailles crénelées (même plan que précédemment : 1933). Le n° 40 est le collège Moulay-Idriss (qui n’existait pas encore à cet emplacement en 1913). Le n°39 correspond à une « wharehouse » ou gare de marchandises, probablement un dépôt de marchandises, qui pourrait correspondre aux bâtiments du herri Le n° 37 à droite est le théâtre Gagnardot, futur cinéma de Boujeloud, le n°36 est la Mosquée Sidi Lazzaz.

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Les Allemands se sont aussi intéressés à Fès : plan allemand de 1941 qui reprend le plan du service géographique du Maroc de 1933, comme les américains … mais ils ont pointé les endroits sensibles ! 274, le pont sur l’Oued-Fez à Bab Dekakene, À côté, la petite maison est le Collège professionnel de Bab Dekakene. On retrouve le même logo pour le collège Moulay-Idriss sur l’esplanade de Boujeloud. Les rectangles en rouge symbolisent les administrations. Un casque pour la caserne des Cherarda (245), une croix rouge pour l’Hôpital Cocard. N° 152, la prison civile de Bab Riafa et 153, les bassins, réservoirs d’eau.

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Plan de 1953. Dressé, dessiné et publié par l’Institut Géographique National, annexe du Maroc. Le « bloc » du herri est nettement figuré. Le Collège Musulman est au 35. Le 33 (bloc rouge, en haut à droite), est le cinéma de Boujeloud qui a remplacé le théâtre Gagnardot. À côté, à gauche, l’oued-Fez qui arrive au répartiteur et la porte de Boujeloud.

Cette esplanade de Boujeloud est bordée de murailles crénelées le long desquelles s’alignaient des « bnika » ou petites chambres, où les soldats de passage logeaient pendant la nuit. À l’origine l’esplanade servait à la concentration des troupes comme son nom l’indique.

057 Place de Boujeloud

Esplanade de Boujeloud avec les « bnika », au pied des murailles. La photo est antérieure à 1914/1915 : la porte au fond est la porte dite des Français, car située au bout de l’avenue des Français qui vient de Bab Dekakène. Cette porte construite par les Italiens du Major Campini (également constructeur de la Makina) a un chapiteau qui n’a pas plu à Lyautey. Il fait donc « démonter » le chapiteau, par respect pour le style architectural marocain.

1917 Fes mur d'enceinte de la Casbah 04

Photo issue d’une plaque de verre, datée de 1917. La porte des Français a été décapitée !

Au fil des ans, même si les militaires y campaient encore à l’occasion, l’esplanade était devenue dès le début 1900 un lieu d’habitation pour les pauvres et un endroit de campement pour les caravanes.

Voilà ce qu’écrit André Chevrillon en 1906 dans Un crépuscule d’Islam :

Il est tard, quand nous traversons la longue esplanade de Boujeloud pour descendre dans Fez-Bali. Des lanternes brillent déjà sous les tentes bédouines et les huttes de branchages qui s’adossent au grand mur. Dans tous ces petits cônes sombres des femmes s’affairent aux cuisines du soir ; par les ouvertures basses, les interstices on aperçoit des bébés nus, des mains cerclées d’anneaux qui remuent des chaudrons.

Mais au dehors, sous les étoiles naissantes, le grand terrain de campement fourmille encore ; les moutons bêlent et s’agenouillent par troupeaux dans la poussière ; les ânes et les mulets entravés sont tous au piquet ;  les chameaux par terre tirent l’herbe de leur tas commun de fourrage ; ils mâchent en somnolant, et subitement éclatent en aigres querelles stupides.

… Aux deux bouts de la longue esplanade des conteurs lèvent de grands bras inspirés qui font voler leurs burnous. Leurs histoires de djinns, califes,  chameaux ailés, se poursuivent savamment d’un jour à l’autre comme celle de l’ingénieuse Sharhazade. Ailleurs on fait cercle autour des bateleurs et jongleurs.

C’est le matin, au plein soleil, à l’heure du marché qu’il faut traverser, le plus lentement possible, ces populeux espaces pour se rendre compte de l’incroyable diversité des physionomies et des complexions.

Il n’y a pas que des « sédentaires », dans la journée l’esplanade sert de lieux de rendez-vous pour toutes sortes de conteurs, bateleurs, jongleurs, sorciers, barbiers ambulants et autres apothicaires traditionnels, conteurs qui attirent la population pauvre et désœuvrée des hauts quartiers et en particulier les habitants de la Casbah des Filala ou An-Nouar jugés comme peu recommandables par certains.

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Conteur place Boujeloud

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Campement à Boujeloud

Les « sédentaires »  sont progressivement invités à quitter les lieux et il ne reste plus que quelques habitations de fortune hébergeant quelques pauvres hères. Des bâtiments plus ou moins hétéroclites sont installés, des entrepôts occupent une partie du herri, utilisé encore comme parc à bestiaux et des marchands s’installent plus ou moins durablement, en fonction de l’activité économique.

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Des entrepôts sont installés et les marchands remplacent les soldats, mais le herri existe toujours à peu près dans sa forme initiale.

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Vue générale sur la Casbah An-Nouar. Au premier plan, mur du herri. Des travaux de terrassement semblent en cours.

Esplanade 1939 (2)

Sur ce cliché des années 30, on distingue nettement le herri, identique à celui visible sur la photo aérienne de 1936. L’espace est relativement dégagé  à cette époque et les véhicules peuvent ciculer sur l’esplanade.

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L’esplanade de Boujeloud. Cliché non daté. Le herri semble avoir été restructuré, mais les bâtiments existent encore.

J’ignore la date à laquelle le herri a été supprimé et l’esplanade réorganisée. Elle sera longtemps le lieu d’activité de multiples marchands ambulants.

La CTM installera un bureau de messageries, à l’extrémité de la place, au niveau de la mosquée de Boujeloud.

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Compagnie de Transport au Maroc (CTM), bureau de Boujeloud

À propos de Boujeloud voir Les portes de Boujeloud  et Évocation du passé autour de Bou Djeloud