Image à la une : Collège Moulay Idriss : vue plongeante sur le jardin, les galeries, la vasque et le dôme de la salle des conférences. Cliché Henri Bressolette. Années 1930.

J’ai trouvé, dans un carton de documents sur Fès, que m’ont remis les enfants d’Henri Bressolette, ce texte d’un ancien élève de leur père ; déjà parmi les « meilleurs élèves » désignés en octobre 1932, par le Directeur du Collège, pour suivre les cours de latin, il confirme l’excellence de ses qualités intellectuelles et humaines et sera  « Agrégé de l’Université, Docteur ès Lettres ».

J’ai préféré publier ce texte, sans le recopier, en le scannant, afin de ne pas vous priver de cette belle écriture … rare aujourd’hui.

Je fais suivre ce document, de l’article d’Henri Bressolette, dans la revue Salam « Sous les oliviers des lycées marocains » écrit en juin 1982, article à l’origine de l’évocation du souvenir de cette « première classe de latin » … même si Henri Bressolette parle plutôt des « souvenirs impérissables » des cours de grec dans la cour du lycée mixte de Fès que lui rappelle une de ses anciennes élèves, mais c’était avant que son élève du Collège Moulay Idriss ne lui écrive !

Cette lettre est aussi un magnifique témoignage de la belle qualité des relations maître-élèves

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Collège Moulay Idriss : Entrée. Cliché H. Bressolette. Années 1930

« Sous les oliviers des lycées marocains » par Henri Bressolette Revue Salam juin 1982

Tout avait commencé à l’université d’Indiana, en 1928. Le campus de Bloomington aux hêtres centenaires était si attrayant qu’aux premiers jours du printemps, je ne pouvais plus enseigner entre quatre murs. La classe s’installait sur l’herbe auprès de la gerbe d’or explosé d’un forsythia ; autour du maître, les étudiantes en robes multicolores formaient un arc-en-ciel vivant et jeune. Familier, un écureuil gris traversait parfois le sentier tapissé de sciure, une exclamation plus forte provoquait l’envol d’un cardinal aux ailes de feu. Pouvait-on souhaiter décor mieux approprié pour lire « Le sous-préfet aux champs » d’Alphonse Daudet ?  Étaient absents le bois de chênes verts et les violettes, mais l’air s’imprégnait des senteurs printanières. « Il avait mis son habit bas … et tout en mâchonnant des violettes, M. le sous-préfet faisait des vers ». À la fin de la lecture, un étudiant, quelque peu frotté d’études médicales, vint me montrer une feuille sur laquelle il avait dessiné des vers intestinaux avec leurs noms savants. « Verses, not worms ! » lui dis-je « Oh, c’est terrible ! », fit-il en rougissant.

À Fès, en 1932, même en hiver, le Collège Moulay Idriss offrait, tout ensoleillé, le cloître de son jardin. Sur une des galeries qui l’entouraient, tapissée de zelliges verts, je réunissais ma classe de jeunes latinistes. Tout près, un rosier grimpant parsemait de ses corolles les branches dénudées d’un poirier ; plus loin, des jasmins aériens enroulaient leurs spirales jaunes ou blanches autour du fût sombre des ifs dressés contre le seuil d’azur. Et sans cesse, la vasque monolithe du centre rappelait sa présence par sa fluide chanson, tandis que, dans le « De viris », nous assistions au combat des Horaces et des Curiaces. Dans un cadre aussi choisi, le latin n’offrait plus rien de rébarbatif et enchantait mes petits bonshommes de sixième.

Au lycée mixte, en 1940, la classe de première s’assemblait sur le gazon, sous les oliviers du fond de la cour. Les latinistes y traduisaient les Bucoliques de Virgile, en compagnie de Tityre étendu sous le hêtre, au large feuillage ou de l’émondeur qui lançait à plein gosier sa chanson dans les airs, troublée parfois par le passage inopiné d’un train dans la tranchée voisine. En compagnie de Criton, les hellénistes allaient retrouver, au matin profond, Socrate dans sa geôle. Un autre jour, ils s’enflammaient aux appels de Démosthène qui tentait, mais en vain, de secouer l’apathie d’un peuple jadis héroïque, mais qui refusait le service en campagne et les liturgies. Rançon de cette veulerie, le désastre de Chéronée les ramenait dans l’actualité.

Après 1964, le Lycée Paul Valéry de Meknès, dans l’ancien quartier de la Légion étrangère, offrait aux hellénistes ses banquettes de pierre dans des niches à l’ombre des pins d’Alep. Là, tandis que la brise printanière susurrait dans leurs aiguilles, ils écoutaient Aristophane évoquer le charme des études d’autrefois à l’Académie d’Athènes, « où sous les oliviers sacrés, jouissant de la saison printanière, le platane chuchote avec l’orme ». Un autre jour, c’était le gavroche d’Athènes, Dicéopolis, qui pestait contre le retard des citoyens et maudissait cette ville où il fallait tout acheter. La lecture cursive de l’Iphigénie à Aulis, d’Euripide, ramenait le débat entre les deux frères, Ménélas et Agamemnon, savant manœuvrier pour s’assurer des voix, mais père inexorable qui sacrifiait sa fille à son ambition : passages si actuels et si émouvants du plus humain des tragiques grecs !

L’atmosphère agréable et confiante de ces classes en plein air compensait largement de brèves inattentions parmi les élèves. L’une d’elles a bien voulu m’écrire, plus de quarante ans après, que « ces cours de grec dans l’herbe de la cour du lycée de Fès restent des souvenirs impérissables ».

Pour le maître, la réciproque n’est pas moins vraie.

Henri Bressolette est arrivé à Fès en 1932. Agrégé de grammaire, il a été professeur d’anglais, de français, de latin et de grec et a enseigné au Collège Moulay Idriss, au lycée mixte de Fès, et au lycée Paul Valery à Meknès de 1959 à 1966, année où il quitte le Maroc pour prendre sa retraite à Montpellier. De 1944 à 1959, il exerce dans le privé, Institution Sainte Thérèse à Fès et cours particuliers.

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Classe du Collège Moulay Idriss en 1929. Cliché service photographique de la Résidence générale de Rabat