Image à la une : entrée et remparts de la kasbah des Cherarda Cliché 1925

Nous avons vu ( La « légion étrangère » de la dynastie mérinide.) que fin XIVe/début XVe siècle les milices chrétiennes étaient moins nombreuses à Fès, et au Maroc en général. À partir de cette époque la présence chrétienne est essentiellement liée aux captifs victimes de la guerre ou des corsaires œuvrant en Méditerranée et en Atlantique, sans d’ailleurs que l’on puisse chiffrer leur nombre dans les geôles marocaines. Le chiffre de 25 000 captifs chrétiens a été avancé par Ezziani, chiffre qui semble totalement disproportionné ; les religieux qui ont visité, soigné, confessé ces captifs donnent un chiffre de 1200 à 1500 captifs en « temps normal », et qui atteignait de façon exceptionnelle et temporaire 3000, lors de période de conflits : par exemple lors de la prise de Larache en 1689, 1700 esclaves sont venus se joindre aux captifs déjà présents dans les geôles de Meknès, qui regroupaient, du temps de Moulay Ismaël, l’essentiel des captifs chrétiens.

Parmi les captifs se trouvaient des religieux enlevés avec eux par les corsaires et qui constituaient un soutien moral pour leurs coreligionnaires ; des ordres religieux venaient aussi séjourner plus ou moins longtemps au Maghreb pour tenter de racheter les captifs au nom de leur pays d’origine. Les religieux Rédempteurs, Trinitaires ou Mercédaires vinrent à Fès, en 1342, libérer 150 captifs et 258 en l’an 1402. Marrakech avait aussi ses prisons peuplées de captifs puisque l’Ordre de la Merci en racheta 854, en 1450.

L’installation au pouvoir des Chorfa saadiens au milieu du XVIe siècle, va déplacer le pouvoir de Fès à Marrakech et les captifs seront plus nombreux dans la nouvelle capitale. Les captifs du Sud vont alors bénéficier d’une assistance spirituelle  plus importante, non par une institution religieuse officielle, mais par la présence ininterrompue de prêtres eux aussi captifs ou réduits en esclavage.

Cependant selon les souverains au pouvoir, des missionnaires religieux officiels étaient plus ou moins tolérés « Les religieux pourront être et demeurer en quelque part que soient établis les dits consuls, exerçant leur dite religion avec les dits Français et non avec d’autres » peut-on lire dans un traité signé en 1630 entre le Sultan Abd al-Malik et Louis XIII. En 1635, l’autorisation sera élargie et la restriction supprimée.

Mais « le vent pouvait tourner » et les missionnaires pouvaient se retrouver captifs.

La dynastie saadienne allait disparaître et Moulay er-Rachid entre à Marrakech en 1668 ;  la mission franciscaine obtient du nouveau sultan, après quelques difficultés, le renouvellement du sauf-conduit impérial pour poursuivre son action auprès des captifs chrétiens, célébrer la messe et continuer leurs exercices religieux.

Moulay Ismaël, succède à son frère Moulay er-Rachid, victime d’un accident, et entre à Marrakech en juin 1672. Sur son ordre les captifs doivent quitter la capitale « découronnée » et prennent le chemin du Nord. La raison d’être des religieux au service des esclaves n’existe donc plus et le Sultan les recevant en audience leur donne un sauf-conduit pour Fès et les engage à s’établir dans la nouvelle capitale.

Le R.P. Henry Koehler écrit dans « En feuilletant les pages ignorées de l’histoire de Fès » :

Ce fut le 2 juillet 1672 que les franciscains arrivèrent au terme de leur voyage. Ils étaient porteurs d’une lettre de recommandation du beau-frère de Moulay Ismaël pour le gouverneur de Fès. Celui -ci n’eut garde d’ignorer la recommandation, il confia les religieux au Majordome des captifs. Il est probable que la crise des logements sévissait déjà en ces années reculées, puisque le brave homme, quoique chrétien, ne trouva pour loger les religieux que quelques cabanes destinées aux captifs dans les écuries du gouverneur. C’était à Fès el-Bali,  le chroniqueur nous le spécifie. Ce pouvait être dans l’endroit dit « La Rocca » où s’étaient installés les gouverneurs, et devait se situer du côté de Bab Guissa, au-dessous des tombeaux mérinides.

D’autre part la majeure partie des captifs était installée dans la « sagène » – prison des esclaves chrétiens – de Fès-Jdid, à presque une lieue de distance. Il fallait que les religieux fissent le trajet en passant par les rues de la médina pour pouvoir assurer le service des esclaves. Or cette traversée n’avait rien du pittoresque dont se gargarisent nos touristes modernes. Voici ce qu’écrit le P. Alonso qui vécut cette fondation : « Comme notre saint habit paraît étrange aux indigènes, ils ne se gênent pas pour nous maudire, nous moquer, nous lancer des pierres ou cracher sur nous. Allant une fois à un chrétien gravement malade, mon compagnon restant pour le confesser, j’allai chercher les saintes huiles : passant par la place on me lança de je ne sais où, une pierre d’au moins trois livres, qui me tomba sur le coup de pied ; je restai un bon moment sans pouvoir bouger ».

Devant ces difficultés et ces risques, les religieux tentèrent d’acheter une maison au mellah. Cela déchaîna un si beau tapage que pour tout simplifier les pauvres Pères firent ce qu’ils avaient fait à Marrakech et demandèrent à s’installer dans la prison, au milieu des captifs. C’était tout simplement héroïque.

Mais où était donc cette Sagène ? Il y eut, nous le savons, un peu partout des demeures pour les captifs chrétiens. On nous a parlé des matamores – cachots – et chez le gouverneur, il y avait une prison à « La Rocca ». Lorsqu’au 25 Août 1675 Fès el-Bali se révolta contre Moulay Ismael, des esclaves chrétiens se trouvaient dans les deux partis, tâchant d’ailleurs de se faire le moindre mal. Marmol nous a prévenus qu’au quartier d’Al Blyda, près de Bab Ftouh : « il y a de grandes places où les esclaves chrétiens vont scier le bois tous les jours de la semaine, hors le vendredi, depuis midi jusqu’au soir ». Tout ceci ne nous situe pas la véritable Sagène. Je me permettrai d’être en désaccord avec l’hypothèse proposée par un érudit très estimé, dans le compte rendu du 4ème Congrès de la Fédération des Sociétés Savantes de l’Afrique du Nord*. « La tradition locale, y est-il dit, semble attribuer à Moulay Ismaël la transformation du Heri de Zebbala en prison, et spécialement en prison pour les chrétiens ». Nous allons dire pourquoi, documents de l’époque en main, nous ne pouvons souscrire à l’hypothèse, mais je fais ici un rapprochement avec l’erreur énorme que j’ai déjà signalée au sujet des prisons de Meknès. On s’acharne, là-bas, à montrer aux touristes les caveaux de la Koubba Khiatin en les dénommant « prisons des chrétiens ». Or, nous avons les récits de témoins oculaires prouvant que jamais les captifs n’y ont été et les graffiti que j’y ai relevés dès 1920 montrent que ces caves n’ont servi de prison qu’au début du XIXe siècle. Il faut donc chercher ailleurs.

* Il s’agit de la communication « Habs Zebbala à Fès-Jdid » faite, en avril 1938, par Jean Delarozière, architecte, pensionnaire à l’époque de la Casa Velasquez.

Celui qui a le mieux connu la Sagène, le P. Juan del Puerto, Gardien du royal Couvent de Meknès en 1703, par conséquent 30 ans après la fondation fassie, écrit : « La sagène de Fès est une enceinte de grandes murailles, hautes et solides, formant un carré avec une seule petite porte, où jadis on exécutait les condamnés à mort, c’est pour cette raison qu’on l’appelle « Dar el Mudt » ce qui veut dire la Maison des pleurs, à cause des grands cris avec lesquels on pleurait, selon la coutume, les condamnés ». Or nous lisons ceci dans l’ « Histoire des conquêtes de Moulay Archy » écrite par le captif Mouëtte en 1683 : « Hors la ville, dans un lieu appelé « Commice » (il veut dire El Khemis) est un château que Moulay Archy avait commencé et qui est demeuré imparfait pour le préjudice qu’il apporterait si ceux qui auraient été dedans s’y fussent soulevés à cause qu’il est sur un lieu élevé et commande à la ville qui est dans la plaine. Il y a une longue et haute muraille qui tire droit depuis la porte appelée des Lions jusque près de ce château qui sert de lieu patibulaire où l’on empale et expose les corps de ceux que le roi et sa justice condamnent à mort ».

Cette description, qui précise celle du P. del Puerto, s’applique parfaitement à la Kasbah des Cherardas, au souq El Khemis, bâtie par Moulay Er Rechid vers 1671. C’est donc là que fut la Sagène, là que les franciscains en 1672 vinrent habiter parmi les captifs et édifièrent la première église que nous connaissions de science certaine, l’église – le mot est bien solennel – dédiée à l’Immaculée Conception. »

Comparée à l’ancienne prison de Marrakech, celle de Fès n’offrait aucun espace confortable. Ce n’étaient plus les grosses bâtisses de la porte Bab Agnaou, mais ici le carré de murailles était tapissé de cabanes de bois, de roseaux, où logeaient les captifs.

Les deux franciscains reçurent en partage un espace d’environ 8 m de long sur 3 ou 4 de profondeur. C’est là qu’ils installèrent ce qu’ils appelèrent religieusement « le Couvent ». Aidés par les captifs, ils construisirent un étage à leur cabane : le bas servait de chapelle, au-dessus se trouvaient la cuisine, le réfectoire et trois cellules. On se demande vraiment comment on pouvait s’y tenir. La chapelle offrait cette particularité que l’autel se logeait dans une excavation que l’on avait pratiquée dans l’épaisseur de la muraille. Deux portes le dissimulaient pour éviter tout profanation possible. Le dimanche, on les ouvrait ainsi que celles de la chapelle, et tous les captifs pouvaient de la sorte assister aux offices. Peu après, grâce à des esclaves ingénieux on fit une chapelle de terre et de briques et l’on eut, suivant le mot du religieux qui y assistait, « une bonne chapelle d’ermitage ».

C’est dans ce réduit que l’on intronisa le 8 Décembre 1672 (Fête de l’Immaculée Conception) la Patronne de l’humble église. Pour cette fête les captifs firent merveille. Le sanctuaire fut paré de fleurs du bled : narcisses blancs, iris mauves, et des roseaux verts de l’Oued Fès. On confectionna avec des fleurs de papier ces « floreros » si goûtés en Espagne. On étendit quelques lambeaux de soies multicolores et quand tout fut prêt, une procession se forma au chant de l’Ave Maris Stella, et la petite statue de Notre-Dame, portée par les esclaves, prit possession de son pauvre domaine. Ce fut touchant d’entendre à cette première messe chantée par le P. Alonso, les cantilènes populaires d’Espagne les « Vilancicos » qui rappelaient aux exilés leur patrie lointaine.

 

003 Cherarda entrée Est

Porte orientale de la Kasbah des Cherarda, avec à l’intérieur la Koubba de Sidi Messaoud el Filali. Vers 1920.

Mais tous les jours n’étaient pas de fête : le travail y succédait aussitôt. Les religieux reprirent l’horaire et les œuvres de Marrakech. À 2 h du matin la voix de l’excitateur (il s’agit du moine qui frappait aux portes pour avertir ses compagnons qu’il était l’heure des prières ; les moines avaient un bâton à côté du lit et frappaient sur le sol pour confirmer qu’ils étaient prêts) les appelait pour la récitation des matines, puis un captif chargé de cet office allait avertir les fidèles de l’heure de la messe, et quand les gardiens venaient, à l’aurore, pour ouvrir les portes et mener au travail, la célébration matinale était achevée. Pour les religieux c’était le commencement d’autres occupations : il y avait l’école et l’hôpital.

Les enfants nés en captivité ou pris avec leurs parents recevaient l’instruction que leur départissaient les moines devenus professeurs ; des adultes prenaient part à ces leçons, et des marocains de bonnes familles demandèrent et obtinrent d’y faire participer leurs enfants. Ainsi fut inaugurée, dès ce temps, l’instruction publique qui ne devait pas grever le budget des contribuables de la Sagène.

L’hôpital était fort modeste mais bien nécessaire. Comme celui de Marrakech il était soutenu par la Confrérie de la Miséricorde. Cette pieuse association dirigée par un majordome  recueillait les dons de la pauvreté des captifs pour en faire bénéficier les infirmes et les malades. Dans une baraque on avait organisé quelques lits pourvus, grâce aux dons venus d’Europe, de couvertures et de draps. Le religieux infirmier avait la charge des malades et la pharmacie – une simple caisse avec les remèdes de l’ancien codex – parait aux cas les plus urgents. Le P. del Puerto qui connut la magnifique pharmacie de Meknès, 25 ans plus tard, dit de celle-ci d’une façon humoristique, un peu à la Molière : « Ils avaient un petit placard de médecines, et s’il y manquait certaines de celles qui eussent été nécessaires, dans ces quelques-unes Dieu mit la vertu de plusieurs, car, administrées à telle maladie, ce que n’eussent point permis les aphorismes de nos médecins, elles guérissaient, à l’encontre de toutes leurs métaphysiques ».

Si je me rapporte au manuscrit inédit de Tanger dont j’ai publié jadis quelques extraits, je pense que les flacons de Fès devaient receler les mêmes drogues qu’à Meknès : cynoglogue, palo sancto, terre sigillée, thérique, mercure, emplâtre de grenouilles, de manus dei, de savon camphré, huiles de muscade, de girofle, sirop de roses purgatif, baume du Pérou, de Tolu, de soufre… etc. etc. J’en passe et des meilleures ! Il est bien probable que les richesses médicales des franciscains ne restèrent pas à la disposition des seuls captifs de la Sagène. À Meknès le Sultan et son entourage, les gros bourgeois et le petit peuple, tous venaient quémander des remèdes au pauvre Frère infirmier qui ne savait où donner de la tête, aussi, nous raconte Lamprière, le brave religieux inventa un élixir composé d’ « aqua simplex », de miel et de quelques herbes des champs, et grâce au tonneau qui pouvait renouveler la provision à volonté, il fut à même de satisfaire ses nombreux clients avec ce que l’on appelait pompeusement « la tisane des Chérifs »… Tant il est vrai que c’est la foi qui sauve !

L’assistance médicale au Maroc est ainsi, grâce au dévouement franciscain, vieille de plusieurs siècles et on peut dire que « l’hôpital » des Cherarda, est l’ancêtre de l’Hôpital Cocard du Dr Cristiani !!

Le « couvent » et l’église de la Sagène ne se maintiennent que quatre ans. En 1676 les religieux Trinitaires qui convoitaient, par un saint zèle ( !), l’assistance aux captifs, utilisent l’absence du sultan Moulay Ismaël et l’avarice de certains Caïds de la Cour et les franciscains doivent leur céder la place et se réfugient à Ceuta.

« Tant de fiel entre-t-il dans l’âme des dévôts ! » comme écrivait Boileau à peu près à la même époque. L’entreprise fut d’ailleurs malheureuse et ne dura pas un mois, les Trinitaires sont expulsés : leurs promesses de cadeaux et de dons à certains notables locaux avaient dépassé les possibilités de réalisation immédiate.

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Kasbah Cherarda, porte côté Est. Cliché 1929. Service photographique de la Résidence générale.

Mais le retour des Franciscains à Fès n’eut lieu que 8 ans plus tard. Déjà la plupart des captifs avaient été transférés à Meknès où le Sultan Moulay Ismaël commençait ses constructions monumentales. Ce fut donc là que les missionnaires revenant au Maroc se sont d’abord établis. Comme à Fès, il y avait encore beaucoup de captifs – ils étaient 500 les années précédentes -, que la plupart d’entre eux étaient mariés, et avaient des enfants, les religieux décident que l’un d’entre eux s’y établirait de nouveau, surtout que le couvent fondé avant leur départ existait toujours. L’église des Cherarda reprend du service apparemment sous le nom d’église Sainte Anne :

Une note curieuse attire notre attention au Registre manuscrit et inédit des Mariages. En 1690 le religieux qui signe l’acte du 28 mai, indique que la cérémonie eut lieu dans « notre hospice de Ste Anne à Fès ». Cet étonnant changement de dénomination n’est pas une erreur, puisque dans la relation officielle de 1712, on fait mention « à Fès-Jdid, là où depuis de longues années on a eu un hospice au milieu de nombreux captifs » d’une église « dédiée à Ste Anne et plus grande que celle de Tétouan et de Salé ».

Cette église avait semble-t-il été dédiée à l’Immaculée Conception lors de sa consécration en 1672 (voir supra).

En janvier 1711, une cabale de gens désireux de prendre la demeure et l’hôpital élevés dans la Sagène de Fes-jdid, intrigua auprès du Sultan et obtint de lui, on ne sait pourquoi, la cession de l’endroit convoité. Ils arrivèrent en troupe au moment où l’un des religieux célébrait la messe. On eut toutes les peines du monde à les faire attendre en parlementant avec eux. Finalement ils firent irruption dans le logis, pillèrent et saccagèrent, jusqu’au moment où le gouverneur arriva en hâte avec sa garde et mit tout ce monde à la raison. Fort bienfaisant à l’égard des franciscains, mais ignorant les intentions réelles de son souverain, il leur conseilla de chercher temporairement une autre demeure ; les religieux aidés de quelques hommes de peine qu’il leur donna, s’en furent dans la maison d’un des captifs de la poudrerie, en ville ancienne. L’affaire fut tout de même portée devant le Sultan.

Or on sait par les nombreux  firmans de Moulay Ismaël, conservés dans les archives de la Mission franciscaine, combien le souverain témoignait d’égards à ceux qu’il nommait « ses » religieux. Par ces lettres solennelles, le Sultan assurait la sauvegarde et le respect aux Franciscains, mais de plus, il les exemptait de toutes douanes et péages, les mettait sous la protection des caïds qui devaient pourvoir à leur sécurité et à leur nécessaire en voyage. Il ajoutait, en juillet 1714 : « que ceux qui leur feraient quelque mal craignent pour leur tête » et en décembre 1721 : « Si quelqu’un s’avise de les molester ou de les injurier qu’il craigne pour sa tête ». Avec Moulay Ismaël on savait ce que parler veut dire et… on se dépêchait d’obtempérer même à ses désirs !

Il reconnut leur droit et par un crieur public fit proclamer à Fez sa décision et la sauvegarde dans laquelle il tenait les Franciscains. Il donna  des ordres immédiats pour que les Franciscains retournent dans leur demeure. Aussitôt le gouverneur organisa une énorme diffa à laquelle prirent part les religieux, les principaux notables fassis et ceux qui  avaient attaqué leur demeure. Tout se termina pour le mieux autour du méchoui de réconciliation. Bien plus, les religieux y gagnèrent d’ajouter à la précédente habitation,  la maison qu’ils achetèrent, contiguë à celle des captifs de la poudrerie auprès de l’oued ; ils avaient maintenant deux maisons à Fès : l’hospice de Sainte-Anne à Fès-jdid et la chapelle de Fès el-Bali. Ainsi chaque dimanche, se partageant le ministère, tandis que l’un d’eux célébrait en la Sagène, l’autre allait officier dans la chapelle de Fès el-Bali.

Au XVIIe siècle Marmol donne quelques informations sur la poudrerie : «  Il y a dans le nouveau Fès un grand hostel (Daraçana) où les esclaves chrétiens avaient accoutumé de travailler en ouvrages de fer, et autres choses, sous le commandement de renégats de Grenade, d’Andalousie et d’ailleurs, qui faisaient des armes et des munitions : épées, arbalètes, arquebuses, poudres, canons, etc. … Mais le Chérif qui règne aujourd’hui a donné cette maison aux juifs, qui y tiennent leurs boutiques d’orfèvrerie ».

Bressolette et Delarozière ont identifié cet arsenal, le Daraçana cité par Marmol, avec le Dar Baroud (c’est à dire la Maison de la poudre, la Poudrerie), qui sera détruit vers 1940, pour y construire l’école de filles du Derb Moulay Ali Chérif, mais en conservant une galerie témoin.

Le Père Koehler ne donne pas d’informations sur l’emplacement de la chapelle de Fès el-Bali, ni sur la maison où habitaient les captifs. Il existait entre Bab Ftouh et Bab Sidi Bou Jida une porte nommée Bab el-Knisa (la porte de l’église) qui fait supposer que dans ce quartier il y avait des Chrétiens, voire même une église … mais al-Bakri qui cite cette porte est mort en 1094. Il paraît peu probable que la chapelle de 1711 soit la même. Bab el-Knisa prit ensuite le nom de Bab el Khoukha ; mais les deux portes avaient déjà disparu au temps de Léon l’Africain (avant 1520).

D’ailleurs, vers 1715 le nombre des captifs s’amenuisant, le service religieux se centra davantage sur cette dernière résidence. C’est probablement là que furent célébrés les seuls mariages chrétiens que je relève dans le manuscrit, en 1690, 1697 et 1698.

L’ombre se fait désormais sur l’activité de la mission à Fès. Au dire des historiens le tremblement de terre de 1728 l’éprouva presque autant que celle de Meknès. Que devinrent dans la suite les deux religieux qui y demeuraient, nous l’ignorons, car au moment de l’expulsion xénophobe de 1790, nous voyons mentionner le départ des religieux de Marrakech, Meknès, Tétouan, mais on ne mentionne pas ceux de Fès.

L’histoire du passé des Franciscains à Fès s’arrête là, cependant 8 religieux demeuraient encore au Maroc, à Tanger et à Safi. Et le firman de Moulay Sliman donné le 5 mars 1794 renouvelait les privilèges accordés aux Franciscains par ses prédécesseurs. En 1799 il ajoutait cet éloge : « Les missionnaires franciscains, loin de déplaire aux Marocains leur ont toujours été sympathiques en raison de leur connaissance de la médecine et de leur grande humanité ». Malgré ce bel hommage et l’autorisation que le Sultan donnait aux religieux de reprendre leurs anciens établissements, les Franciscains se cantonnèrent dans les ports de l’Atlantique … avant de réapparaître à Meknès et Fès en 1911. Le Père Michel Fabre arrive à Fès le 29 décembre 1911 et est le premier aumônier catholique de l’époque contemporaine.

Voir aussi (Le Père Michel Fabre) et (Les aumôniers militaires et la Chapelle Saint Michel)

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Tour de Bab Segma, à gauche, et remparts de la Kasbah des Cherarda. Groupe de Femmes. Cliché anonyme de 1923. En bonus la légende manuscrite au dos de la photo : « Groupe de Fatmah, de qualité certainement ; plus elles sont voilées plus elles sont de qualité, les domestiques et les courtisanes n’ont pas de voile ou très peu » !