Image à la une : « Le potier » d’après un tableau de J.-F. Bouchor, dans « Fès ville sainte » de Camille Mauclair et Joseph-Félix Bouchor. 1930. Éditions Henri Laurens.
À l’invitation de Marcel Vicaire qui dirige le service des Arts indigènes, Léandre Vaillat visite Dar Adiyel qui abrite les collections et les ateliers du service des Arts indigènes. Il remarque plus particulièrement les poteries de Fès. Ce sont essentiellement des faïences couvertes d’un émail stannifère blanc et décorées sur émail de dessins bleus ou polychromes avec du bleu, du vert, du jaune et du brun de manganèse.
La forme s’adapte à tous les usages, depuis des plats où l’on roule le couscous et où l’on présente les crêpes au miel jusqu’aux pots dans lesquels on conserve le beurre et on sert le potage.
Mais, en 1930, à Fès, les arts indigènes ne sont pas seulement dans les musées (Dar Adiyel et Batha) et Léandre Vaillat va, à travers rues et quartiers, à la rencontre des artisans. Il relate sa visite aux potiers du quartier des Andalous, dans un chapitre consacré aux artisans du Maroc, de son livre « Le visage français du Maroc ». Éditions Horizons de France. 1931

Poteries de Fès. Cliché avril 2010
« Comment donc me priverais-je du spectacle des potiers travaillant à ces poteries que je tenais tout à l’heure dans mes mains à Dar Adiyel ? Leur métier n’est-t-il pas un des plus anciens ? Asservi à des usages vieux comme le monde et cependant encore, par miracle, actuels ? Cet art, et je prends le mot dans son acceptation latine de métier, n’est-il pas un de ceux où la main de l’artisan, en faisant subir à la forme le contrecoup d’une de ces faiblesses ou de ces exaltations humaines qui peuvent être prises pour de la sensibilité, lui infligent une déformation savoureuse que la machine ne connaîtra jamais.
Les potiers habitent presque tous au quartier des Andalous ainsi appelé du nom de la mosquée andalouse. Il faut pour y aller descendre jusqu’à l’Oued Fès, franchir des ponts couverts, remonter la pente roide qui mène à la mosquée. À mesure qu’on s’élève, qu’on approche, il semble que la ville se dilue peu à peu dans la campagne, prenne ses aises, se sépare des bruits assourdissant de l’eau pour atteindre aux régions du silence. Les oliviers émergent de partout : leur feuillage gris est la seule note brillante, argentée de la gamme des grisailles et des tons d’argile. Les maisons s’espacent, s’abaissent. Sur les terrasses sèchent les noyaux d’olives concassés. On en a extrait l’huile. Ils serviront à chauffer les fours. Des tas de palmiers nains, disposés en coupole, sécheront et modéreront le tirage, tout à la fois. À même les cours, la terre grise que l’on a cherchée dans le bled et étalée en larges galettes dans des trous, achève de pourrir jusqu’à ce qu’elle soit prête au modelage et au tournage. Voilà le décor du travail, sa matière. Voici l’artisan au labeur.
Je pénètre dans un de ces antres qui reçoivent l’air et la lumière par l’unique ouverture de la porte. En contrebas, accroupi sur ses jambes, dans la position familière à l’Africain du Nord, arabe ou berbère et qui semble être une mise au point définitive de l’être humain soumis à ce climat, l’ouvrier, l’artiste, le décorateur tient d’une main le plat qu’il a tourné au tour primitif et non au tour mécanique. C’est-à-dire que le galbe de ce plat conserve l’imperfection qui rend le trait si vivant. Comme pour renforcer en moi, s’il était besoin, ce sentiment que j’ai d’un objet qui respire comme un être, une ombre passe contre le mur ; elle a jeté une phrase à l’intérieur. Et qu’a dit l’ombre du passant ? « Que Dieu vous aide de son regard dans votre travail. »
Faïences stannifères de Fès. In La décoration marocaine. Joseph de la Nezière 1923
Il n’aura que quelques pas à faire pour les porter au four. Il les entassera sur trois étages : l’un pour les pièces qui viennent d’être tournées et revêtues d’une couche d’émail, et celles-là sont grises ; l’autre pour les pièces sèches, et celles-là sont d’un gris blanc ; la troisième pour les pièces dégourdies, et celles-là sont d’un jaune pâle. Au reste il sait bien que telle couleur, le vert de l’oxyde de cuivre, par exemple, cuit à basse température mais au-delà d’un certain degré, fond et passe au blanc ; que le bleu ne vient pas au-dessous de 800 degrés. Il en tient compte dans la manière dont il dispose les pièces au four et les expose à la chaleur. Au brasier il jettera pêle-mêle des branches de palmier nain. Des femmes en apportent de lourdes charges, avec la noblesse d’un cortège de Panathénées. Ainsi fleurit pour l’enchantement des yeux l’œuvre du potier. La sensibilité s’y mêle au métier ; l’esprit de finesse, à celui de la géométrie ; la rusticité des moyens, à une science traditionnelle ; l’intuition de l’ornement, à la mémoire des usages qui remplissent l’emploi du temps de sa vie quotidienne. Car il sait bien, parbleu ! que cette floraison il la verra lui-même réapparaître au fond du plat de couscous, après qu’il en aura mangé la dernière miette. »

Groupe de femmes indigènes apportant du bois pour les fours. Cliché 1918
Voir aussi L’industrie de la poterie à Fès et Les potiers de Fès
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