Image à la une : Bassin central dans la cour principale. 1917.  Plaque de verre. Cliché anonyme. On voit ici l’eau canalisée de l’Oued Fès, qui jaillit d’une vasque basse de marbre onyx au milieu de la grande cour. Derrière cette vasque et au Sud, un portique tout couvert de plâtres sculptés, abrité par un auvent de tuiles vertes, indique aux fidèles la direction de la prière et remplace dans cette mosquée la Mirhab de la nef principale.

Al-Qarawiyine, la plus grande mosquée du Maroc est célèbre dans tous les pays d’Islam par son université qui rivalise avec celles d’El Azhar au Caire, et de Djamaâ Zitouna à Tunis. Simple mosquée au départ, à l’époque idrisside, al-Qarawiyine se transforme plus tard en université, sous les Mérinides, même s’il n’est pas facile de préciser le moment exact où la Mosquée al-Qarawiyine devient l’Université al-Qarawiyine. Les cours ont commencé, avant l’arrivée des Mérinides et réunissaient de nombreux étudiants mais il s’agissait alors d’un enseignement semblable à celui dispensé dans d’autres mosquées de Fès, phénomène général à tout le monde musulman. Avec les Mérinides al-Qarawiyine devient une université au sens propre du terme avec un programme établi, des cours bien définis, donnés par des enseignants reconnus, et des examens organisés.

Dans « Ville et université. Aperçu sur l’histoire de l’École de Fès » paru en 1949, dans la Revue historique du Droit français et étranger Jacques Berque écrit :

Les historiens arabes ne sont pas éloignés de voir en Fès un miracle de l’eau. L’oued capté dévale vers le centre en passant sous chaque maison. En sens inverse, des ruelles qui finissent en impasses, se ramifient à partir de la Grande Mosquée. L’eau, c’est la boisson ; mais c’est aussi l’ablution nécessaire aux rites. La prière rassemble à Qarawiyine, cinq fois par jour, des foules qui refluent ensuite par les ruelles. Et comme la prière touche à l’explication du Texte, à la haute Science, et de proche en proche à toute la vie intellectuelle, on comprend que les auteurs musulmans aient ressenti là une merveilleuse appropriation entre les lieux, l’eau, la pureté rituelle, la configuration urbaine et l’esprit. Ils pourraient considérer Fès comme un vaste poumon où la circulation de l’eau et celle de la prière, venant de sens opposés, se rejoindraient comme l’air et le sang, dans ces alvéoles que sont les demeures murées autour des impasses.

Ce regard préalable sur l’organisme de la cité est nécessaire. À qui le jette, Qarawiyine, la Grande Mosquée, apparaît aujourd’hui comme le centre de la ville, de la prière et de l’étude. Mais ce n’est là que le résultat d’une évolution historique.

La fondation de al-Qarawiyine est postérieure de deux générations à celle de la ville qui remonte au début du neuvième siècle. Son nom rappelle l’existence initiale, en celle-ci, de deux villes ayant chacune son enceinte : celle des Andalous et celle des Kairouanais.

Sa construction, comme celle de la Mosquée des Andalous du quartier El-Keddan, remonte à l’année 245 de l’Hégire (859 de l’ère chrétienne) et donne lieu à une pittoresque légende : « Sous le règne de Yahia ben Mohammed, les émigrants attirés par le prospérité de Fès y affluèrent, venus de toutes les régions d’Afrique du Nord. Parmi eux se trouvait  Mohamed Ben Abdallah El Fihri el Qairouani qui laissa en mourant une grande fortune à ses filles Fatima et Meriem. Très pieuses, elles décidèrent de consacrer leurs biens au service de la religion et édifièrent, Meriem, la mosquée des Andalous et Fatima, celle de Qarawiyine ».

Sur l’emplacement actuel de la mosquée, et certains disent même à l’endroit exact où est le grand lustre, une première petite mosquée est construite aux frais de Fatima bent Mohamed El Fihri aussi appelée Fatima Oum el Banine el Fihria. Elle achète le terrain d’un kairounais arrivé avant leur famille et construit une mosquée de 30 mètres sur 30, comportant quatre petites nefs, qui est de plus en plus fréquentée et finit par remplacer celle des Chorfa comme mosquée-cathédrale, pour le prône du vendredi, en 918.

L’histoire rapporte que Fatima El Fihri pratiqua le jeûne durant tout le temps de la construction et que tous les matériaux de maçonnerie, terre ou autre, nécessaires à la construction provenaient du terrain qu’elle avait acheté.

En 956, l’émir Zénète Ahmed ben Sa’id al Zanati demande à son allié, le calife de al-Andalous de lui fournir les moyens d’agrandir al-Qarawiyine. Il lui fait parvenir le cinquième du butin obtenu sur les chrétiens en Andalousie. L’émir fait alors agrandir la mosquée vers l’est, l’ouest et le nord et bâtir le minaret, que l’on voit encore, en pierres polies et dures se terminant par une coupole. Il était décoré d’inscriptions et l’émir fit placer au sommet, au-dessus d’une boule en métal doré, la propre épée d’Idriss II. Ce minaret fut réparé en 1289 parce qu’il menaçait ruines.

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La cour principale de la mosquée al-Qarawiyine et le minaret avec sa coupole. Derrière, en partie masquée, la Tour des Astronomes. Cliché personnel. Octobre 2019.

On prétend qu’Ahmed ben Sa’id al Zanati, pris comme arbitre dans un procès engagé pour la possession de cette relique entre les descendants du Saint fondateur de Fès leur dit : « Renoncez à vos prétentions, remettez-moi le sabre. Mis par mes soins au sommet du minaret d’al-Qarawiyine que je viens de faire construire, il attirera sur vous la bénédiction divine ». Sa proposition fut acceptée et cette précieuse relique est encore aujourd’hui l’objet de la vénération de tous les Marocains. Les poètes et les lettrés se sont beaucoup occupés de ce sabre. Plusieurs l’ont glorifié, quelques-uns, plus sceptiques, ont nié son existence réelle.

Ce premier agrandissement fut d’ailleurs insuffisant à la suite de l’extension de la ville sous les Almoravides et les Almohades. La Mosquée fut encore agrandie par le Sultan Yousef ben Tachefin et ses successeurs almoravides et reçut à cette époque ses dimensions à peu près définitives ; elle fut embellie sous les Almohades et les Beni-Merin.

En 1133, sous les Almoravides, le cadi Mohammed ben Daoud fit agrandir la mosquée et construire la porte monumentale Fakharine, devenue aujourd’hui la porte Chemaïne. Lorsque l’on creusa les fondations, on découvrit une citerne voûtée où vivait une énorme tortue. Cette porte fut plus tard détruite par un incendie des souks et le sultan almohade Abou Youssef Yacoub El Mansour la fit reconstruire en 1203. Les Almohades firent également élever le minaret à tour carrée (ou plus exactement la tour-observatoire) et agrandir la mosquée, par le cadi Abdallah ben Daoud qui pava la cour et fit construire un bassin à jet d’eau par l’architecte Abu Musa.

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La tour-observatoire ou Tour du feu ou Tour des astronomes d’où l’on repère les incendies dans la cité  et d’où l’on observe les phases de la lune. Cliché de 1930 environ.

« La mosquée a été dotée de cadrans solaires verticaux et horizontaux ainsi que d’astrolabes portatifs. Le ciel couvert, les jours nuageux ou très pluvieux posaient le problème de la détermination des heures de prière, d’où les différentes tentatives de mise en place d’horloges. Historiquement al-Qarawiyine a disposé de quatre instruments de mesure du temps autres que les astrolabes et les cadrans,  il s’agit de deux clepsydres – construites en 1286 et 1317 -, le troisième (1347) est une clepsydre couplée à une grille (Chabaka : tympan) et le quatrième (1361) est une clepsydre couplée à un astrolabe avec son araignée ». Ces informations sur les clepsydres et l’horloge astrolabique d’al-Qarawiyine m’ont été fournies par mon ami Fouad Morri El Jaï qui mène une recherche historique du fonctionnement des horloges médiévales du Maroc et plus particulièrement de l’horloge monumentale de la Bû Inania de Fès.

Al-Qarawiyine atteignait au début du XIVème siècle ses dimensions définitives. Elle hérita encore sous les Saadiens, en 1588 de la grande fresque de marbre, puis enfin des deux kiosques à colonnades entourant les fontaines et qui rappellent la Fontaine des Lions de l’Alhambra, à Grenade.

La mosquée compte depuis l’époque mérinide, 16 nefs de 21 arcs, reposant sur 270 piliers. Ces chiffres sont mentionnés dès 1326 par le Roudh El Qirtas, lequel ajoute que l’édifice avait 16 portes et pouvait abriter 22 700 fidèles. On y entendait au prône du vendredi de grands théologiens, car la renommée de l’université s’était étendue dans le monde musulman et l’on y vit venir des savants comme le géographe explorateur Ibn Batouta, mais bien auparavant déjà elle avait été fréquentée par Sidi Ali Bou Ghaleb, Abou El Hassan ben Harazem, Sdi Ahmed El Bernoussi, Sidi Boujida, Abou El Hassan Chaoui Slaoui, Abou Abdallah Deqqaq et bien d’autres théologiens et juristes.

La modeste mosquée de Fatima avait grandi. Son développement avait suivi celui de la ville. Il s’était fait progressivement, sous les Zénètes, les Almoravides et les Almohades comme on vient de le voir. La petite mosquée était devenue al-Qarawiyine.

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Al-Qarawiyine vue de la terrasse de la médersa Attarine. Plaque de verre 1925. Cliché Eugène Villard.

Nous emprunterons à Nehlil, directeur de l’École supérieure de Rabat, quelques éléments de son  article « L’université Qarouiyin » dans la revue France-Maroc de juin 1920.

La cour de la Qaraouiyin est une des plus jolies que l’on puisse voir et le poète El Mesnaoui la chante dans ces vers imagés :

« Par Dieu, c’est une cour dont la beauté atteint le paroxysme et qui revêt une originalité dans la grâce »

« Elle vivifie les cœurs par sa brise parfumée du matin et atténue l’angoisse du cœur de celui qui aime »

« Tu vois le sentimental s’y rendre chaque soir pendant la saison d’été avec son cœur palpitant »

« Alors que les ruisseaux d’argent y coulent en flots luisants ainsi que des serpents bigarrés de noir et de blanc ».

Elle doit son magnifique pavage de mosaïques à la générosité d’une femme du Sultan Moulay Rachid, originaire de la tribu des Oulad Aâradh, qui consacra sa dote à cet embellissement. Les chroniqueurs rapportent que ce geste magnifique de l’épouse du sultan offusqua le puritanisme d’un savant de l’époque, le pieux docteur Abu H’amed al Arabi Ahmed Al Fichtali qui, affectant de douter de l’origine licite de l’argent dépensé, évita toujours en signe de protestation, de marcher sur cet artistique carrelage. Ce don provient, lui faisait-on remarquer, de la dote licite d’une femme. L’argent d’une dote licite n’empêche pas, répondait-il, son origine d’être douteuse. La source de la fortune des Oulad Aâradh provient du pillage et c’est ce qui explique la libéralité de l’épouse du Sultan. Un scrupule religieux l’a déterminée à ne pas conserver ce bien.

D’après les chroniqueurs le grand lustre de la mosquée pèse sept quintaux,  et cinq cent neuf piliers supportent ses lampes. Sa fabrication coûta sept cents dinars d’argent. Son éclairage, très coûteux, donna lieu à de nombreuses réglementations.

Selon al- Djazna’i (entre 1365 et 1367), qui admiratif, lui consacre un chapitre complet de son Djana zahrat al-as, ce lustre a été fabriqué en remplacement d’un lustre antérieur, situé au même endroit et détérioré. Il a été réalisé sur ordre du calife almohade Muhammad an-Nasir, fils et successeur d’Abu Yûsuf Yaqûb al-Mansour. Le matériau qui le composait aurait été fondu et le nouveau lustre exécuté sur les fonds des biens waqf – biens donnés à perpétuité par un particulier et inaliénables – de la mosquée pour un total de 717 dinars d’argent. Les travaux ont été conduits par le khatib – prédicateur – de l’époque, Abu Mohammed Abd Allah ben Musa qui exerça cette fonction entre 1202 et 1219. Dans son état initial, le lustre était muni de cinq cent vingt godets à huile et son éclairage complet ne nécessitait pas moins de cinq cruches d’huile. Il était allumé pendant toutes les nuits du mois de Ramadan jusqu’au règne du sultan mérinide Abu Yaqub (1286-1307). Ce dernier fut consulté au sujet du coût occasionné par cet allumage, il ordonna qu’il ne soit finalement entièrement éclairé que pour la 27e nuit du mois saint, situation qui perdura pendant l’époque mérinide.

Le lustre, suspendu sous la grande coupole de la nef axiale de la mosquée, se compose d’une hampe ouvragée et du corps de l’objet lui-même, qui, depuis sa fabrication au début du XIIIème siècle, a été entièrement équipé de lampes et électrifié.

Sur le lustre https://www.qantara-med.org/public/show_document.php?do_id=1022

Dans le cadre de l’exposition « Le Maroc médiéval, un empire de l’Afrique à l’Espagne », au Louvre (Octobre 2014 – Janvier 2015) et en vue de sa présentation ce lustre a été exceptionnellement décroché et restauré par le Musée du Louvre. Il avait déjà été restauré au Maroc en 1957.

Un autre lustre de al-Qarawiyine a fait le voyage du Louvre en 2014. Il s’agit du célèbre lustre-cloche mérinide dont parle aussi Nehlil :

« La cloche suspendue au marbre, faisant face à la grande porte des Koutoubiyin, est un glorieux souvenir du djihad en Espagne, car elle aurait été trouvée sur le djebel Tariq (Gibraltar) lors d’une expédition du sultan mérinide Abd-al-Ouahid Abou-al-Hasan ». Ce trophée pèse, dit-on, plus de dix quintaux.

On y relève cette inscription : « Louange à Dieu seul. Celui qui a ordonné de suspendre cette cloche bénie est notre seigneur l’Émir des Croyants, le défenseur de la Foi, Abou al-Hasan, fils de notre souverain, l’Émir des Croyants qui combat dans la voie de Dieu, Abou Youssef ibn Abd-el-Haqq. C’est cette cloche qui a été trouvée au djebel Tariq dont la conquête a eu lieu le dimanche 5 du mois béni de Choual, année 733 » (19 ou 20 juin 1333 J.-C.).

La transformation de la cloche en lustre aurait coûté 70 dinars d’or au Habous d’al-Qarawiyine. C’est le Sultan Abou-al-Hasan lui-même qui ordonna que soit transformé en lustre (thurayya) ce symbole de victoire sur les chrétiens pour orner l’intérieur de la mosquée al-Qarawiyine.

Le phénomène de la réutilisation des cloches dans les mosquées et leur conversion en lustres n’est pas une nouveauté spécifique à al-Qarawiyine. Lucien Golvin rapporte que ces utilisations étaient courantes dans la période califale en Espagne et la Grande mosquée de Cordoue dut s’enorgueillir de tels trophées gagnés sur les infidèles. Les cloches étaient parfois fondues pour servir à d’autres usages ou bien on les habillait pour les utiliser pour l’éclairage des mosquées.

En septembre 2019, le grand lustre et le lustre-cloche, exposés au Louvre, n’ont toujours pas retrouvé leur place à la mosquée al-Quarawiyine. Le bruit court sur les réseaux sociaux qu’ils ont été vendus en France ou qu’ils ont été gardés à Rabat dans un lieu indéterminé, après leur exposition à la Fondation Mohammed VI des musées (5 mars – 3 juin 2015). Mohamed Bahaja, délégué du ministère des Affaires islamiques et des Habous à la région Fès-Meknès met fin ( ?) aux rumeurs en affirmant que le grand lustre et le lustre-cloche, tous deux exposés au Louvre ont été rapatriés au Maroc. Medhi Qotbi, président de la Fondation nationale des musées (FNM) a, de son côté  affirmé que les lustres sont à Fès au Musée Al-Batha (qui est fermé pour rénovation … !) mais que, vu leurs poids, il n’a pas été possible de trouver une entreprise capable d’assurer la manutention et de les transporter dans les ruelles étroites de la médina de Fès pour qu’ils retrouvent leur place ! (Le grand lustre a plus de deux mètres de diamètre et son poids avoisine les 1750 kilogrammes).

J’ignore si c’est le buzz fait sur les réseaux sociaux mais les lustres ont été réinstallés à al-Qarawiyine avant la mi-octobre 2019.

Revenons à la description d’al-Qarawiyine de Nehlil :

Le grand bassin d’ablutions, en marbre, surmonté d’une coupole carrée, entouré de huit piliers, de la même pierre, date des sultans saadiens. C’est par ses proportions un vrai bijou d’architecture mauresque.

À côté se trouve une petite plate-forme de marbre, siège du savant qui apprenait aux croyants à faire leurs ablutions et à s’orienter pour accomplir leurs devoirs religieux.

Ce soin méticuleux de suivre les préceptes et règles coraniques qui, actuellement n’a rien de surprenant pour les habitants de Fès, fervents musulmans, attachés scrupuleusement aux pratiques religieuses, était justifié à une époque où la population berbère était imparfaitement islamisée et où l’intervention parfois sévère des rigides oulémas était indispensable pour assurer l’observation stricte de la religion.

Un auteur célèbre El Fassi, dans une de ses biographies sur les Beni Zenback qui ont fourni à la ville de Fès d’illustres docteurs, écrit que, parmi eux, il y avait le très généreux Maudil ben Zenbak qui obligeait les gens à faire la prière aux moments voulus en donnant des coups de bâtons aux récalcitrants et ce sur ordre du sultan Abou Inân.

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Le Pavillon aux ablutions, accolé à la façade orientale et les fidèles viennent y faire leurs ablutions avant la prière. Il constitue un témoin de l’époque de l’art hispano-mauresque et il rappelle la décoration de la Cour des Lions à l’Alhambra de Grenade. Cliché anonyme, plaque de verre 1917.

Au sud de la mosquée se trouve une bibliothèque datant de l’époque du Sultan mérinide Abou Inân. Elle possède un grand nombre de Corans caligraphiés. Près de la fontaine aux ablutions est placée une autre bibliothèque publique, datant comme la précédente des mérinides et enrichie de livres rares et précieux par le sultan saadien Abou-el-Abbas Ahmed El Mansour ad-Dahabi. Malheureusement elle a été fort négligée et beaucoup de ses richesses bibliographiques ont été dilapidées.

Voir La Bibliothèque de Quaraouiyine

La « Khotba« – prêche- ne fut dite à al-Qarawiyine qu’à partir de l’an 307 de l’Hégire, sous les princes zénètes. Le « minbar » – chaire à prêcher – est en bois de santal, d’oranger et de jujubier orné de nacres précieuses. Il est recouvert de deux enveloppes, l’une en peau de chèvre, l’autre en étoffe de lin. Le premier prédicateur qui l’inaugura fut le Cheikh Mahdi ben Aisïa. Très éloquent, doué d’un esprit fin et perspicace, il faisait chaque vendredi une khotba, mais aucune ne ressemblait à la précédente.

Le « mihrab » – niche creusée dans un mur de la mosquée et qui indique aux croyants la direction de la Mecque vers laquelle ils doivent se tourner dans leurs prières – est fait en ciment travaillé avec soin et orné de vitraux multicolores. Cette décoration artistique provoque l’admiration et souvent dissipe l’attention des fidèles au moment de la prière. Lorsque les Almohades entrèrent à Fès en l’année 540 de l’Hégire (1145 J.-C.) les oulémas craignirent pour les sculptures et ornements du mihrab. Prévenus que le sultan Abd-al-Moumen devait assister à la prière, ils firent relever sur du papier tous les ornements sculptés et dorures du mihrab qui fut ensuite recouvert d’une couche de ciment puis blanchi à la chaux. Plus tard on le reconstitua dans son état primitif.

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 Mihrab, minbar … et un petit lustre ! Octobre 2019. Cliché personnel

La mosquée al-Qarawiyine est une des mosquées les plus vénérées. Lieu d’enseignement coranique et de sciences religieuses, elle a illustré la renommée des plus savants oulémas du Maghreb. C’est donc le temple par excellence où l’on peut recevoir la « baraka ». L’endroit qui est sous le grand lustre et celui qui avoisine la porte du minaret sont particulièrement recherchés par les dévots et l’eau qui coule dans la vasque de la fontaine a, dit-on, une vertu particulière. La prière rassemble à al-Qarawiyine, cinq fois par jour, des foules qui refluent ensuite par les ruelles … même si certains restent ensuite s’entretenir des potins de la ville.

On devrait aujourd’hui dire « la prière rassemblait à al-Qarawiyine cinq fois par jour … », car le Conseil supérieur des oulémas, institution officielle chargée d’appuyer la politique religieuse musulmane du royaume du Maroc, a émis une fatwa (avis religieux) pour la fermeture des mosquées pour les « cinq prières quotidiennes et celle du vendredi« , à compter du 16 mars, dans le cadre des mesures destinées à lutter contre la propagation du coronavirus.

Voici la traduction du communiqué du Conseil supérieur des Oulémas :

En réponse à la demande de Fatwa, adressée au Conseil supérieur des oulémas par Amir Al Mouminine, que Dieu Le préserve, dont la Oumma Lui reconnaît la sollicitude, et Son attachement envers les maisons de Dieu et Son souci d’augmenter leur nombre et leur ouverture aux fidèles, et eu égard au dommage grave causé par l’épidémie qui sévit dans le monde et compte tenu des orientations émises par les parties compétentes, dont le ministère de la Santé en vue de veiller à la prévention contre le virus par la fermeture des lieux publics et privés.

S’inspirant des textes de la charia qui soulignent la nécessité de protéger les corps et de faire prévaloir l’intérêt sur le préjudice, et sachant que parmi les conditions de la prière, notamment dans les mosquées, figure la quiétude et que la peur de cette épidémie annule cette condition.

Pour toutes ces considérations préventives de la charia et de la raison, l’instance scientifique chargée des fatwas au Conseil supérieur des oulémas recommande :

– De fermer les mosquées pour les cinq prières ou la prière du vendredi et ce à partir du lundi 16 mars 2020 correspondant au 21 Rajab 1441.

– De rassurer les citoyens et citoyennes que cette mesure est temporaire et que les prières reprendront dans les mosquées dès que les autorités compétentes auront décidé que la situation sanitaire est normalisée.

– De continuer à appeler à la prière (al adhan) dans toutes les mosquées.

Puisse Dieu préserver Amir Al-Mouminine et de Le garder Protecteur de la religion de la Oumma, veillant à la protection de ses âmes contre tout malheur».

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Al-Qarawiyin. Octobre 2019. Clichés personnels

À consulter :

– Histoire de la ville de Fès, de la fondation à la fin du vingtième siècle : les constantes et les variables. Ouvrage collectif sous la direction de Mohamed Mezzine. Publication de l’Université Sidi Mohamed Ben Abdallah. 2012.

– Opéra minora. Tome 1. Anthropologie juridique du Maghreb. Jacques Berque. Ed. Bouchène 2001.

L’université Qaraouiyin. Nehlil. Revue France-Maroc juin 1920.

Maroc médiéval, un empire de l’Afrique à l’Espagne. Louvre éditions. 2014