Image à la une : Arrivée de l’oued Fez dans le répartiteur de Bab Boujeloud. Cliché 2016
Le 18 février 1951, Henry Godbarge prononce devant les « Amis de Fès » une conférence intitulée « L’eau à Fès » (voir Georges MICHEL Les conférences des Amis de Fès (1932-1956) tome 1 p : 159-197. Iggybook 2016).
Dans cette conférence Godbarge examine successivement :
1- Le système hydrographique de la ville de Fès
2- Les diverses utilisations de l’eau
3- Les croyances et rites de l’eau
Dans un précédent article du blog j’ai traité des Croyances et rites de l’eau à Fès (Croyances et rites de l’eau à Fès) ; aujourd’hui je reprends les deux premiers chapitres.
C’est évidemment un lieu commun que de dire que l’eau est indispensable à la vie de l’homme. Elle lui permet d’étancher sa soif, de cuire ses aliments, et lui assure l’hygiène corporelle, domestique et sociale. Elle est non moins indispensable à la vie des animaux et des plantes, dont l’homme tire sa nourriture, qu’il asservit pour l’exercice de ses activités ou qui servent à son agrément.
L’eau est aussi utilisée largement dans certaines industries, soit directement, soit en tant que force motrice.
Au Maroc, et en particulier dans les régions de l’intérieur, au climat plus sec, la déshydratation est synonyme de mort. Aussi les problèmes de l’eau y revêtent-ils une importance capitale.
LE SYSTÈME HYDROGRAPHIQUE DE LA VILLE DE FÈS
Fès est une ville particulièrement privilégiée, puisqu’elle doit sa naissance à l’heureuse abondance de ses eaux.
À la fin du 8ème siècle, Idriss Ben Abdallah, descendant d’Ali gendre du prophète, qui avait participé à un complot manqué des Alides contre les Abbasides, avait dû émigrer et s’était fixé au Mogreb el Aqça, où il avait été accueilli par les berbères à demi convertis des Awraba, dans leur chef-lieu d’Awalili, l’ancienne Volubilis romaine.
Cet Idriss, Idriss Ier, laissait à sa mort un fils posthume qui, à 11 ans, était reconnu comme chef chez les Awraba. Ce fils, Idriss II, continuait l’œuvre de son père, qui était de créer un empire d’Occident, ce qui lui amena une foule d’émigrés d’Andalousie et d’Ifriqya, hostiles aux Abbasides. La ville d’Awalili s’avéra trop petite pour contenir cette population sans cesse grandissante, et Idriss II résolut de bâtir une capitale digne de la dynastie naissante.
Un premier essai avorta, un orage ayant emporté les constructions édifiées en un lieu situé au pied du Zalagh. Un deuxième projet ne vit pas non plus le jour, l’endroit choisi – la source d’Hammet Holan, notre Sidi Harazem – ayant paru trop exposé aux crues périodiques du Sebou.
Idriss II chargea alors son ministre Omeir Lazdi d’explorer la région. Celui-ci arriva à Ras El Ma, où jaillissent les sources de l’Oued Fès, « eau douce et légère, dit-il après l’avoir goutée, climat tempéré, immenses avantages. Ce lieu est magnifique. Ces pâturages sont encore plus beaux et plus vastes que ceux du fleuve Sebou ».
Longeant l’oued, il arriva, à son confluent avec le fleuve, dans un vallon, entouré de collines dominées par le Zalagh, et fut tellement charmé, qu’il décida Idriss à y construire sa capitale.
Telle est la légende de la création de Fès, « édifiée, dit Léon, par un hérétique au temps d’Aron pontife, qui fut en l’an cent octante cinq ».
Cette légende semble infirmée par les récentes observations de certains savants, en particulier M. Levi-Provencal qui estime que Fès aurait été crée par Idriss Ier, puis achevée par Idriss II.
Voir ouedaggai.wordpress.com/2016/12/30/fes-et-sa-creation/

Ras el-Ma, vers 1913
Quoiqu’il en soit, le point important subsiste, à savoir que le choix de l’emplacement de la future capitale a été dicté par l’abondance des sources et des rivières, qui en faisait un véritable éden décrit chaleureusement par de nombreux historiens arabes.
Ibn Abizar, dans le Rawd al-Qirtas, s’exprime ainsi : « L’oued Fès prend naissance aux sources qui se trouvent en amont dans la plaine : environ 60 sources jaillissent du côté Sud, à près de 10 miles de la ville. L’eau de ces sources se réunit pour donner naissance à une grande rivière qui traverse une plaine verdoyante été comme hiver, et coule entre les rives où foisonnent le céleri et le souchet. L’oued Fès partage la ville en deux quartiers et se divise souterrainement en mille ruisselets et canaux qui serpentent à travers les patios, les lavoirs et les hammams, arrosent les rues et les places, irriguent les jardins et les vergers, et actionnent les moulins pour, en sortant, évacuer les cendres, les ordures et les immondices ».
Le pieux et docte Abu Fdel En Nahwy a décrit Fès en quelques vers où il chante ses eaux : « O Fès, tu réunis en toi toutes les beautés de la Terre. De quelle bénédiction, de quels biens ceux qui t’habitent ne sont-ils pas comblés ? Est-ce ta fraîcheur que je respire, ou est-ce la santé de mon âme ? Tes eaux sont-elles de miel blanc ou d’argent ? Qui peindra ces ruisseaux qui s’entrelacent sous-terre et vont porter leurs eaux dans les lieux d’assemblées, sur les places et les chemins ».
Idriss II avait donc fait édifier Fès, constituée en deux quartiers (Quairouanais et Andalous) séparés par l’oued (Oued El Kébir) entourés de remparts, et qui vivaient en état de constante hostilité, formant deux véritables villes distinctes, ayant chacune sa mosquée-cathédrale, son marché central et son atelier pour la frappe des monnaies.
À cette époque, le cours de la rivière était constitué uniquement par l’Oued Zitoun et le Buhrareb. Il faut arriver à la fin du 10ème siècle, sous les Zenata, pour voir la cité dotée d’un véritable réseau de canalisations, ébauche de celui que l’on rencontre aujourd’hui. Un prince zénéte, l’émir Dunas, pour sceller la paix entre les deux quartiers, fit construire sur l’oued six ponts dont deux subsistent encore : Er Rcif et Bein Lemdun.

Kantra Bin el-Mdoun, pont d’entre-villes. Cliché de 1911
À son tour, au début du 11ème siècle, l’almoravide Yusuf Ibn Tasfin rasa les murailles séparant les deux « adoua », fit construire sur l’oued de nombreux moulins et compléta le double système de canalisation amorcé par ses prédécesseurs.
Au milieu du 12ème siècle se crée la dynastie des Almohades. Le Rawd al-Qirtas nous dit: « En 540, Abd El Mumen s’empara de la ville de Fès après un rude siège. Il barra la rivière qui pénètre dans la ville au moyen de planches, de fagots et de mortier, si bien que l’eau fut retenue dans les campagnes en amont de la ville. Alors, il fit crever le barrage et d’un seul coup l’eau se précipita sur la ville, détruisant les remparts et plus de 2 000 maisons, entraînant la mort d’un grand nombre de gens. Peu s’en fallut que le flot ne submergeât la plus grande partie de la ville ».
Ibn El Ahmar, dans Rawdat al-Nisrin, décrit la fondation de Fès-Jdid en 1276 par le Sultan mérénide Abu Yusuf Yaqub, qui fit alimenter cette ville en eau douce prise à la source nommée Aïn Omeir (du nom d’Omeir Lazdi, ministre d’Idriss II), et amenée par un aqueduc aboutissant à l’ancienne porte de Bab el Heddar, aqueduc qui, précise Léon l’Africain, fut construit par un genevois favori du prince.
Remarquons qu’Abu Yusuf avait soigneusement évité de détourner l’eau de l’Oued Fès au profit de son palais de Fès-Jdid, et ceci pour deux raisons : difficultés techniques dues au peu de différence de niveau entre le lieu de départ possible et celui d’arrivée, mais surtout désir du Souverain de ne pas indisposer les Fassis, toujours très chatouilleux sur la question de leurs droits d’eau.
Pendant trois siècles, les Mérénides, puis les Wattasides, allaient porter Fès à son apogée. Léon l’Africain, entre autres descriptions si savoureuses de la Fès du 16ème siècle, nous donne celle-ci : « Fès est une très grande cité, ceinte de très belles et hautes murailles, n’ayant au dedans quasi autre chose que montagnes et coutaux, fors seulement au milieu qui est une plaine, estant environnée par tous les quatre côtés de montagnes et collines, recevant l’eau par deux endroits, d’autant que le fleuve se divise en deux parties dont l’une passe à côté de Fès la Neuve, devers Midy, et l’autre prend son cours devers le ponant ; puis dans la cité l’eau s’écoule par plusieurs canals qui sont écartés par les maisons des citoyens courtisans du Roy et en d’autres lieux. Semblablement chaque temple et mosquée a quelque petit ruisseau avec les collèges, hôpitaux et hôtelleries. Auprès se voyent des latrines bâties en forme quadrangulaire, et à l’entour y a des cabinets avec leurs petits guichets et en chacun d’iceux se trouve une fontaine dont l’eau qui en sort tombe en terre dans une petite auge de marbre et pour si peu qu’elle sort avec impétuosité elle vient à s’écouler dans les latrines, emmenant l’ordure avec les immondices de la cité dans le fleuve. Au milieu de la maison des latrines y a une fontaine basse et profonde de troys coudées, large de quatre, et longue de douze ; et autour y a trois canals, là où l’eau prend son cours, s’écoulant dans les privez qui sont au nombre de cent cinquante…. On trouve beaucoup de maisons, qui ont quelques citernes d’eau, en diamètre quadrangulaire de cinq et six coudées en largeur, et de dix à douze en longueur, profondes de troys ou quatre pieds, toutes découvertes, et en leur comble, revêtues de maïolique, ayans à chacun angle de la longueur des fontaines basses et belles faites à maïolique, en aucunes d’icelles (comme on est accoutumé de faire aux fontaines d’Europe), on met quelque vase de marbre blanc, d’où l’eau s’écoulant s’en va dans ces citernes, tombant par certains conduits couverts et bien accoutrez tout autour. Et quand les citernes sont combles, l’eau regorge tout autour qui s’en va par certains autres conduits auprès des citernes, et de là prend son cours par des petits canals, si bien qu’elle vient à courir et passer dans ces latrines, puis s’en va tomber dans la rivière. Ces citernes sont tenues bien nettes et bien en ordre ; mais elles ne servent qu’en temps d’esté, car alors les femmes et les enfants se mettent à baigner et nager dans icelle ».
« Dans la cité se trouvent six cents fontaines vives, qui sont ceintes et closes de portes et murailles s’écoulans par canals souz terre dans les temples, collèges, maisons et hôtelleries ; et estime t-on davantage l’eau d’icelles que celle du fleuve, pour ce qu’il tarist souventes foys et mesmement en esté ; joins aussi que quand l’on veut nettoyer les conduits, il faut détourner la rivière hors la cité, au moyen de quoi un chacun prend de l’eau de ces fontaines. Et combien que l’eau du fleuve passe par les maisons des gentiz hommes, néanmoins ils ont coutume en temps d’esté d’en envoyer quérir de celles de fontaines, pour estre plus douces et fraiches ; mais en yver ils font à l’opposite. La plus grande partie de ces fontaines sont du côté de ponant et de midy, à cause que la partie devers tramontane est toute en montagnes…. ».

Fontaine en médina. Cliché anonyme, non daté

Fontaine dans un intérieur privé.
Fès, dit Obeid Allah el Bekry el Qorthouby, se compose de deux villes situées l’une à côté de l’autre et entourées chacune d’une muraille. Elles sont séparées par une rivière très rapide qui fait tourner des moulins, et que l’on traverse au moyen de ponts. L’une de ces villes, appelée Adouat el Carawins est située à l’ouest de l’autre, laquelle se nomme Adouat el Andalosiia. Dans le premier de ces quartiers, chaque habitant a devant sa porte un moulin à lui et un jardin rempli d’arbres fruitiers et coupé par des rigoles. Sa maison est aussi traversée par un courant d’eau. Les villes renferment plus de trois cents moulins et environ une vingtaine de bains »
Yacut el Hammawy écrit :….ce cours d’eau atteint la ville dans sa partie plane et se partage en huit bras qui la traversent. Sur ces huit bras dans l’intérieur de la ville, sont environ 600 moulins qui tournent sans cesse, ne s’arrêtant ni de jour ni de nuit. De ces canaux sont dérivés des conduits qui pénètrent dans toutes les maisons grandes et petites. Chacune a devant la porte de sa demeure son moulin et son jardin planté d’arbres fruitiers de toutes sortes. Des rigoles d’eau courante traversent la maison. Il n’est pas dans tout l’Occident d’autre ville où l’eau entre ainsi partout, à l’exception de Grenade en Andalousie »
Le géographe El Idrissi décrit ainsi Fès : la ville de Fès renferme beaucoup de maisons, de palais, de métiers ; ses habitants sont industrieux et leur architecture, ainsi que leur industrie, a un air de noblesse ; il y règne une grande abondance de toutes sortes de vivres. Le blé y est à meilleur marché qu’en aucun autre pays voisin. La production des fruits est considérable. On y voit de toutes parts des fontaines surmontées de coupoles et de réservoirs d’eau, voûtées et ornées de sculptures ou d’autres belles choses. Les alentours sont bien arrosés, l’eau y jaillit abondamment de plusieurs sources, tout y a un air vert et frais ; les jardins et les vergers sont bien cultivés ; les habitants sont fiers et indépendants…. Cette ville est la grande capitale de l’Empire. Les habitants sont riches et jouissent de toutes les recherches du luxe et de toutes les commodités de la vie.
Plus près de nous, Gaillard dit : Tous les auteurs arabes qui ont décrit la capitale du Mogreb admirent l’abondance de son irrigation. Il est peu de maisons à Fès, même parmi les plus pauvres, qui n’aient de l’eau à profusion ; et on peut s’en étonner quand on connaît l’indifférence des gouvernements musulmans et surtout des sultans marocains pour toutes les œuvres d’utilité publique qui n’ont pas un caractère religieux. C’est que le problème de l’adduction des eaux étant résolu par la nature elle même, il ne restait qu’à perfectionner. L’Oued Fès se divise en deux branches dans l’intérieur de l’Aguedal. L’une d’elle traverse le vieux Méchouar, alimente les turbines de la fabrique d’armes et se dirige vers la ville à travers les jardins du palais de Boujeloud. Dans le haut de la cité, cette branche se divise elle-même en deux autres qui se répandent, l’une à travers El Andalous, l’autre à travers El Lemtiyine, en formant des ruisseaux de plus en plus nombreux à mesure qu’ils se rapprochent du bas de la ville, et qui prennent successivement les noms des quartiers qu’ils traversent. La deuxième branche sort en cascade de l’Aguedal, près du Bordj El Mehres, et rentre en ville grossie de l’Oued El Adam et de différents petits ruisseaux à Bab Jdid, où elle prend le nom de l’Oued El Kébir. Une partie de cette dernière branche, détournée au moyen d’un château d’eau, forme l’Oued Zitoun, appelé ainsi en souvenir de l’olivette où campa, à son arrivée à Fès, le premier émir zenati, Ziri Ben Atya. Ce barrage qui domine Bab Jdid dans une petite vallée boisée nommée Ouislen, a été construit par un des derniers princes mérénides, Abou El Abbas El Ouatasi. L’oued Zitoun prend ensuite le nom d’Oued Masmouda, et arrose la partie habitée de l’Adoua. Au dessus du pont et des rochers de Bin El Mdoun, toutes les branches se rejoignent et leurs eaux souillées par les égouts arrosent de superbes vergers qui s’étendent de Fès au Sebou. La distribution des eaux potables est assurée par des conduits spéciaux ; il en est de même pour l’écoulement des eaux d’égout qui sont entrainées dans chaque quartier, par un canal spécial, le Bou Hrareb. Ce système d’irrigation ne date pas d’hier et fait honneur aux premières dynasties berbères qui régnèrent sur le Maghreb El Aqça, les Zenatas, et après eux les Almoravides et les Almohades ; il existait déjà sous les premiers Mérénides aussi perfectionné que maintenant ».

Branche de l’Oued-Fès au niveau des ruines du Borj El-Mehres

Oued Zitoun et noria au pied du borj Sud
E.F. Gauthier (Le passé de l’Afrique du Nord), écrit : « Fès est la cité orientale rêvée. L’Oued Fès, tel que la nature l’a fait n’a besoin ni d’être aménagé, ni d’être entretenu, ni d’être protégé. Ni l’effort incohérent des tribus berbères, ni même l’effort plus suivi d’une mehalla de Sultan ne peuvent en détourner une goutte d’eau. Fès le reçoit entre ses murailles, intégral, invariable, comme tombé du ciel. Dans sa vaste enceinte, au milieu de ses jardins, à l’abri de ses murs continus contre lesquels une mehalla orientale a toujours été impuissante, solidement assise sur les approvisionnements accumulés par le commerce dans ses magasins, assurée de son eau, Fès peut tout braver ; il lui est indifférent que le pays ennemi commence aux portes mêmes de la ville comme ça a été le cas normal depuis un millénaire…. Fès est un miracle d’adaptation, probablement unique, aux conditions de l’État oriental... »
Toutes ces descriptions, anciennes ou récentes, sont, on le voit, assez peu précises et ne nous donnent pas une idée très exacte de la rivière de Fès. Signalons toutefois la relation faite, en 1899, à la société de géographie, par le docteur Weisgerber sur son voyage au Maroc, dont j’extrais le passage suivant : « La source de l’Oued Fas se trouve à une distance de 12km environ, à l’ouest-sud-ouest de l’endroit où la rivière pénètre dans Fès-ej-jedid, à 25km au sud de la route de Fas à Meknès. Elle est connue sous le nom de Ras El Ma (la tête de l’eau) et consiste en un large bassin calcaire dans lequel se réunissent plusieurs cours d’eau souterrains. Toutes les autres sources tributaires de l’Oued Fas sont de peu d’importance comparées à celle-ci. Ce sont l’Aïn Smin, l’Aïn Chkaf, l’Aïn Bou Amir et l’Aïn Sidi Brahim se trouvant toutes au sud de l’Oued Fas. Les eaux se réunissent à l’Oued Fas avant son entrée dans la ville, de même que celles de l’Aïn Chkaf, après avoir fourni une branche pour l’alimentation de Dar ed-Dbibagh (résidence d’été du Sultan, située à 2km environ, et droit au sud de l’angle sud-ouest de Fas ej-jedid). L’Oued Fas pénétre dans Fas ej-jedid à une petite distance de son angle nord-ouest. La différence d’altitude entre cet endroit et la source est de 15 mètres. L’Oued Fas parcourt ensuite Fas ej-jedid en suivant son côté nord, et sans l’alimenter. Les eaux qui servent à l’alimentation de Fas ej-jedid sont celles de l’Aïn Bou Amir, amenées par un aqueduc de 1 200 m environ qui pénètre en ville par son côté sud. Arrivé près de la manufacture d’armes, l’Oued Fas fournit la force motrice pour ses turbines et se divise en trois branches: El Lemtin, El Andalous et El Adoua. Celles-ci ressortent de Fas ej-jedid, et, après avoir parcouru les jardins au sud de Bou Jeloud, pénètrent dans Fas El Bali : El Lemtin près de Bab El Hadid, El Andalous entre Bab El Hédid et Bab ej-jedid, et El Adoua près de Bab ej-jedid, après s’être réunies à l’Oued Ouagrine, appelé aussi Bou Fekran, ruisseau né de l’Aïn sidi Brahim. Après avoir alimenté les mosquées, les fontaines publiques, les bains maures et les maisons particulières des quartiers dont elles portent les noms, les eaux des trois branches de l’Oued Fas sont réunies par un réseau de canaux indépendants de ceux de la distribution, en une seule rivière qui prend le nom d’Oued Bou Khararb et ressort de la ville par le milieu, à peu près, de son côté est. À 1 km environ en aval au point de sortie, un pont franchit la rivière. La différence de niveau entre cet endroit et le point d’entrée de l’Oued Fas dans Fas ej-jedid est de 150 m pour un parcours de 4 km environ. Entre le pont et l’embouchure de l’Oued Bou Khararb dans le Sebou, 4 km plus loin, la différence d’altitude est de 40 mètres. Il en résulte pour la longueur totale de l’Oued Fas, 20km environ, une chute de 205 mètres, dont 15 mètres pour les 12 premiers kilomètres, 150 mètres pour les 4 km suivants et 40 mètres pour les 4 derniers kilomètres ».

Oued-Fès à l’intérieur de la Makina et actionnant les turbines de l’Arsenal. 1920
Les études faites par des spécialistes contemporains nous permettent d’analyser comme suit le système hydrographique de l’Oued Fés :
Le bassin de l’Oued Fès peut-être limité au nord par la ligne des crêtes Sidi Ayed, Si Bennour, Jbel Tratt, Fort Bourdonneau ; à l’ouest par un seuil peu élevé qui le sépare de l’Oued N’ja et ses affluents ; au sud, par les pentes d’Imouzzer ; à l’est, par une ligne Bahlil-signal El Mikmene-piton Bellot.
La partie montagneuse de ce bassin est formée de masses calcaires jurassiques, le pays plat étant constitué de calcaires datant du pliocène supérieur.
Le régime hydraulique de l’Oued Fès est bon, moins par l’importance de la nappe phréatique qu’à cause de la formation – due à la nature des terrains – d’un réseau compliqué de ruisseaux et veinules aquifères semblable à celui que l’on trouve dans les plateaux calcaires des Cévennes.
En effet, le bassin de l’Oued Fès fait partie du détroit sud rifain, dépression d’origine tectonique qui sépare la chaine du Rif des plateaux du Maroc central, et qui a provoqué une convergence des eaux et le développement de l’admirable système drainé par le Sebou. Cette dépression était occupée à l’origine (vers le milieu de l’ère tertiaire) par un immense lac d’eau douce qui recouvrait en particulier toute la plaine du Saïs comme l’atteste la présence de nombreux coquillages qu’on trouve encore sur les pentes situées dans la région d’El Ouata et qui paraissaient être de la famille des « Strombes » gros gastéropode des mers tropicales.
L’exhaussement de la partie méridionale de cette dépression, consécutive à la formation du Moyen-Atlas, amena l’exondation du lac qui se vida par le nord-ouest, donnant naissance au bassin de l’Oued Mikkés. Les eaux en se retirant, laissèrent des zones marécageuses dont les nombreuses « dayas » actuelles sont encore des témoins, telles celles qui ont donné son nom au lieudit « Douiet ».
Dans la partie centrale, des laves récentes formèrent un léger seuil qui sépara le versant ouest de la plaine du Saïs. Cette plaine est donc formée, dans sa partie superficielle, par les alluvions des oueds à régime torrentiel qui, descendant du Moyen-Atlas, avaient le lac pour niveau de base. Ces alluvions recouvrent des conglomérats plus anciens, probablement sahéliens. Le tout constituant un ensemble perméable qui repose sur un fond d’argiles et marnes vertes helvétiennes, substratum imperméable.
Les contreforts du Moyen-Atlas, formés de terrains calcaires et de soulevées volcaniques (roches basaltoïdes d’âge miocène supérieur) constituent un remarquable château d’eau pour cette plaine du Saïs, grâce à la bonne conservation de son manteau forestier, et surtout à l’abondance et à la durée de la masse neigeuse jouant le rôle de réservoir régulateur. C’est ainsi que, venant du plateau des Béni M’Tir, du causse de Bahlil ou de la haute cuvette d’Imouzer, descendent vers la plaine des eaux nées de l’absorption des pluies par les terrains jurassiques de ces pays élevés, de leur accumulation sur les plans argileux séparant les assises calcaires, ou de leur cheminement dans des canaux souterrains qui forment des ruisseaux ou des rivières et donnent des sources à type vauclusien.
M. Savornin, professeur à la Faculté des sciences d’Alger a pu dire que: « Le mécanisme hydrologique de l’oued Fès est merveilleusement établi par la nature, et qu’il paraît impossible de l’améliorer par des travaux artificiels. Il réalise un état d’équilibre multiséculaire entre la pluviométrie et les débits totalisés des sources. Cet équilibre existe depuis l’aurore des temps quaternaires, ainsi que le démontre l’état de la géographique physique du plateau ».
Rappelons donc seulement que l’Oued Fès, affluent du Sebou, prend sa source à Ras El Ma, dans la plaine du Saïs, à 16 km de Fès. Ses eaux sont grossies de celles de l’Aïn Latrous, l’Aïn Bergama Sghira, l’Aïn Kodra, l’Aïn Bergama Kbira, l’Oued Ghara, l’Oued Kous, l’Aïn Smet, l’Aïn Guelta Raïs puis de l’Oued Smen, ainsi que diverses petites sources non dénommées.
Il arrive au pont de Kantra Touila où il pénètre dans les jardins du Palais du Sultan. À l’intérieur de l’Aguedal, il se divise en deux branches : l’Oued Fès proprement dit et l’Oued Zitoun qui, grossi de l’Oued El Adam prend le nom d’Oued El Kébir, puis Oued Masmouda et arrose les jardins extérieurs de la ville, se terminant dans une zone d’épandage. Entre sa sortie du Méchouar et le répartiteur de Boujeloud, l’Oued alimente la pompe à moteur de l’Hôpital Cocard (100 m3 environ par jour), les roues élévatrices de Moulay Abdallah et Fès-Jdid (15 litres/seconde), la séguia de Sidi Mejbar qui dessert la Qasba Nouar (50 litres/seconde)et la roue élévatrice de Btatha (10 litres/seconde).

Grande roue à l’entrée de Moulay Abdallah

Noria à Fès-Jdid
À Boujeloud, l’Oued se divise en trois branches qui sont par ordre d’importance : l’oued Hamia, au centre (18/44 du débit total), l’Oued Fejjaline au nord (15/44) et l’Oued Cheracher au sud (11/44). En outre entre El Hamia et le Cheracher, part la séguia Abbassa (50 litres/seconde le jeudi seulement). Les débits de ces quatre branches sont réglés par le répartiteur de Boujeloud qui comporte 7 vannes.
Suivons maintenant chacune de ces trois branches :
I- L’oued Fejjaline se divise, à son passage à la Résidence, en 2 parties :
a- L’oued Fejjaline proprement dit (1/3 du débit) qui passe au Baladya, à Dar Tazi, Aqbet Sbâa, Guerniz, Sidi Fredj et Sagha où elle rejoint sa branche jumelle après pollution.
b- L’Oued Talaa (2/3), qui à Bab Boujeloud, se divise lui-même en deux ramifications primaires :
– le Derb Bensalem (1/3 du débit) qui devient tout de suite un collecteur d’égouts
– le Bou Anania (2/3) qui, au répartiteur d’El Khnisa, se divise en deux ramifications secondaires: le Talâa Kbira (2/3), le Hel Tadla (1/3), elle-même se ramifiant en deux tronçons tertiaires: El Menia et derb El Horra, qui se regroupent après pollution à Zqaq Rouah et ressortent à Nejjarine où elles se jettent dans l’égout.
II- L’Oued Hamia passe devant les Beaux-Arts, aux Mehallas chérifiennes et à Jenan Halfaoui, où il se divise en deux branches :
a- Le Ras Jenan (1/3) qui passe à l’ex-hôtel Bellevue, Oued Chorfa, Sidi Abdelqader Fassi, Zenquet Ben Lakhdar et Bin Lemdoun où il se jette dans l’égout.
b- Le Ziat (2/3) qui, au moulin Cherqaoui, se sépare en deux :
– l’Oued Souafine, qui passe à Zenkat Rtel, El Ayoun, Rahbt Tben, où il se jette dans l’égout.
– l’Oued Moulay-Idriss, ou Oued Chain el Mlih, qui passe à Ahmed Chaoui, Dar Bou Ali, Dar Adiyel, Zqaq el Bghel, Aqbet Zerka, et se jette dans l’égout près de la Medersa Saffarine.
III- L’Oued Cherarcher passe à l’énergie électrique, et dans les quartiers Oued Zitoun, Mokkfiya, Masmouda, Keddan, Guerrouaoua, Bab Sidi Boujida, puis arrose les jardins extérieurs.
Toutes ces ramifications se complètent par un inextricable réseau de canalisations de plus en plus petites, coupées de barrages rudimentaires qui servent à la fois de dispositifs d’accumulation, de répartition et de trop-plein. Inversement, les eaux usées sont à leur tour évacuées par des canalisations qui se réunissent pour former des collecteurs de plus en plus gros qui rejoignent l’Oued en aval, le polluant de plus en plus jusqu’à sa jonction avec le Bou Hrareb. Le tout s’enchevêtrant dans un lacis impénétrable au profane, et qu’on pourrait comparer au double réseau de la grande circulation sanguine, l’eau potable étant figurée par l’arbre aortique, les artérioles et les capillaires, et les égouts par les capillaires veineux, les veinules et les veines caves.
Signalons également dans ce paragraphe sur l’eau en Médina, l’existence de quelques puits localisés presque uniquement dans le quartier Fekharine, ainsi que de nombreuses sources, dont certaines ont disparu aujourd’hui : Aïn El Bghel (la source du mulet), Aïn El Khil (la source des chevaux), Aïn Azliten (toponyme berbère d’origine imprécise).
Enfin, pour clore ce chapitre sur l’hydrographie, soulignons la remarquable pureté chimique des eaux. Assez fortement calcaires, – les ménagères le voient bien aux dépôts qu’elles laissent dans les récipients – elles passent de daya en daya après infiltrations et résurgences successives pour arriver complètement filtrées dans la plaine.

Répartiteur de Boujeloud : sorties vers les différents quartiers de la médina. 2016
LES UTILISATIONS DE L’EAU
Les besoins domestiques.
L’utilité primordiale de l’eau est d’assurer les besoins domestiques. C’est assez dire que l’entretien de nombreuses canalisations (amenée d’eau potable ou évacuation des eaux usées), nécessite des soins attentifs et constants, confiés aux gens de la corporation des « kawadsiya ». Ceux-ci sont placés sous les ordres de deux oumana : l’amin el oued, pour l’eau potable et l’amin el bou Khareb pour les égouts, lesquels dirigent 25 « maalemin », commandant chacun 3 ou 4 tacherons, qui attendent la pratique à l’un des deux « Mwqef » de Kettanin et Chrabliyin.
L’amin est chargé de régler les contestations entre clients et maîtres-ouvriers, ou celle des ouvriers entre eux. Il jouit du privilège de diriger lui-même les réparations à l’intérieur du Palais Impérial.
Le métier de kawadsi est quelque peu décrié, aussi n’est-il exercé que par des étrangers, la plupart originaires du Rif.
Les buses de canalisation en terre cuite, sont fabriquées par des potiers locaux spécialisés et portent les noms, selon leur diamètre, de buherz (45 cm), el Mdebded (30), el Ferh (25), el Friyin (15), el Fehti (10), el Fehti el mégzul (7) et enfin ez-znibri (5).
De loin en loin se trouvent des distributeurs (mada) assurant la répartition parfois très subtile de l’eau aux divers usagers. Pendant longtemps, les kawadsiya se sont refusés à communiquer le plan des canalisations ainsi que la carte de répartition, considérant ces renseignements comme un secret appartenant à la corporation.
Les instruments des kawadsiya sont la pioche (fas), la curette (mgerfa), la truelle (mellasa), le marteau (menkasa), la chaine (selsla) et la corde (twal). Les réparations consistent, soit à curer la buse, souvent obstruée presque complètement par des dépôts calcaires, soit à boucher les fissures au moyen d’un mastic spécial (slaqa) fait de chaux éteinte légèrement imbibée d’eau, d’huile et d’étoupe de chanvre (steb). De nos jours, les kawadsiya se bornent à reboucher sommairement la tranchée, ce soin étant laissé aux ouvriers des Travaux Municipaux.
Le prix des travaux de réfection est versé à l’amin par tous ceux qui étaient desservis par la canalisation défectueuse, et au prorata de l’importance respective des droits de l’eau de chacun.
Comme dans tous les pays musulmans, l’eau appartient à Dieu ; elle est donc généralement utilisée et répartie par l’intermédiaire des Habous, qui ont la propriété inaliénable des adductions, canalisations, ponts et souvent même des moulins, bains et fontaines publiques ; les habitants conservent seulement un droit d’usage consacré par la « qaïda », droit dont il est parfois singulièrement compliqué d’administrer la preuve à cause des multiples cessions, ventes, partages ou héritages qui le morcellent.
Aussi ces droits d’usage ont-ils toujours donné lieu à des contestations farouches, aggravées par des litiges qui opposaient les gens des tribus d’amont aux citadins, toujours enclins à se considérer comme frustrés d’une eau dont ils s’estiment les seuls propriétaires de par la grâce de Moulay Idriss.
Ces contestations nécessitaient souvent l’intervention du Sultan qui, après avoir désigné une commission arbitrale composée du Nadir des Habous, de notables et d’experts, tranchait le litige par voie de Dahir.
MM. Le Tourneau et Allouche citent quelques uns de ces décrets. Voici un acte adoulaire datant de 1884 : « Louange à Dieu, Notre Seigneur et Maitre, Prince des Croyants, Moulay el Hassan, a reçu les réclamations relatives au manque d’eau survenu dans les mosquées, maisons, bains maures, moulins et jardins de Fès. Le Sultan a ordonné une enquête. Celle-ci a eu lieu et la cause de cette pénurie d’eau a été nettement établie comme il est expliqué dans l’acte. Le Raïs Sidi Abdallah Ben Ahmed Er Raîs Sidi Ahmed Soussi a été envoyé par le Sultan à l’effet de régler cet incident avec justice et équité, et faire prendre des sanctions envers les fauteurs. Nul ne devra prendre que la part d’eau à laquelle il aura droit. (suivent une dizaine de pages énumérant jusque dans leurs moindres détails les améliorations à apporter ; aménagements, constructions d’ouvrages neufs, destructions de canaux abusivement creusés, limitation du temps d’irrigation, isolement des fosses d’aisance…. etc).
Nettoyage de la voie publique.
L’eau des canalisations servait couramment – et sert parfois de nos jours – au nettoyage de la voie publique, au moyen d’un système de vannes existant dans certaines maisons, grâce auxquelles on libère l’eau qui coule dans les rues en pente, entrainant les immondices.
C’est ce système radical qui avait pu faire dire à Moulièras visitant Fès au début du siècle: « ...nous voilà zigzaguant dans des couloirs à ciel ouvert entre deux murs sans fenêtre de 10 à 15 mètres de hauteur et tellement rapprochés que je m’imagine cheminer au fond d’un tortueux canal desséché. Desséché ?…pas tout à fait…..propre ?…. pas précisément. Concevez par l’imagination, si vous le pouvez, des flaques d’eau, des ornières de boue dans lesquelles surnagent les animaux les plus divers, principalement des poules et des rats morts depuis longtemps. Franchissons, en nous bouchant le nez, les carcasses de moutons, de chiens, de chameaux crevés qui ont l’agaçant privilège d’effrayer nos montures …. »
Il est vrai qu’avant lui, des poètes arabes avaient eu la même impression, tel Ibrahim Ben Mohamed El Assili : « Je suis entré dans Fès que je désirais tant voir. Mais la puanteur m’a saisi aux yeux et à la gorge. Tant que je vivrai, je ne remettrai plus le pied dans Fès, dut-on me donner la ville avec tous ses habitants ».
Léon l’Africain signalait déjà : « ...et combien, qu’en temps d’yver elle soit si fangeuse qu’il faille porter certaines mules de boys par les rues si est-ce qu’on y met tel ordre, que l’on donne ouverture à quelques canals, telement que l’eau, laquelle provient d’iceux, lave et nettoye toutes les rues, joint aussi que la part où il y a nul canal, l’on fait réduire la fange en monceaux et après l’avoir chargée sur les bêtes, on la jette dans le fleuve ».
Les « guerrabas ».
Malgré la dispersion des canalisations, toutes les maisons – en particulier dans les quartiers de l’Adoua – et surtout les boutiques, n’étaient et ne sont encore pas alimentées en eau, laquelle est alors mise à la portée des habitants déshérités, des commerçants et des passants par les « guerrabas » ou porteurs d’eau.
Voir Les Guerrabas – Porteurs d’eau – à Fès

Marchands d’eau à Fès-Jdid vers 1915
Les « hamainiya »
Sauf dans ceux de la périphérie, il existait dans chaque quartier au moins un bain public. Léon l’Africain en cite une centaine, Aubin en notait vingt et un. Il y en a aujourd’hui une trentaine, tous haboussés (biens habous donnés à une œuvre charitable ou d’utilité publique et dont les revenus sont consacrés à l’aumône ou à une œuvre pieuse) et gérés sur adjudications.
L’agencement comporte généralement quatre salles : salle de repos (gelsa), salle froide (barrani), salle tiède (wstani) et salle chaude (dahli).
Le personnel comprend: le portier (gellas), responsable des effets déposés par les clients ; le ou les masseurs (kiyyas), le balayeur (neddar*), le chauffeur (sehhan), et le « gebbar » chargé d’apporter le combustible (bois, sciure, paille, détritus… etc). C’est une équipe féminine qui assure le service intérieur l’après-midi où les bains sont en principe réservés aux femmes.
*Un ami m’a fait remarquer que les appellations des corporations à Fès des métiers autour de l’eau, avaient été relevées par Colin dans le dictionnaire d’arabe dialectal marocain. Pour le bain maure, Colin avait mis neddaf. Dans l’article, on trouve neddar. Typographiquement, r et f se ressemblent. Pour ma part, je conserverais neddaf (nettoyeur) alors que neddar signifierait alerteur avec un ذ, voyeur avec un ظ et pas de signification à mon sens avec un د. .(Merci pour la correction).
Ceux de la corporation sont choisis parmi les humbles mais de bonne réputation, pour ne pas heurter la pudeur des clients.
Léon l’Africain signale une ancienne coutume, qui consiste en une cérémonie annuelle tombée en désuétude : « je ne veux encore omettre que les compaignons et ministres d’icelles (les étuves) solennisent certaine feste une foys l’an, les célébrans en cette sorte : ils invitent premièrement tous leurs amys, s’en vont hors de la cité avec pfifre, tambourins et trompettes puis arrachent un oignon qu’ils mettent dans un beau vase de cuivre, et l’ayans couvert d’une nappe très blanche, s’en retournent dans la cité, toujours sonnans, jusques à la porte de l’étuve ; puis mettent l’oignon dans un panier qu’ils pendent à la porte disans : cecy fera venir le grain à l’étuve, à cause qu’elle sera fréquentée de plusieurs ».
Les « rhawiya »
Au 16ème siècle, on notait près de 400 moulins disséminés le long de l’oued ; en 1923, on en recensait 320 utilisant 567 paires de meules et traitant 1500 mouds de 21 kilos par jour. Il n’y en avait déjà plus que 154 en 1928. Comme tant d’autres, c’est une corporation qui tend à disparaître, tuée par les modernes minoteries.
Les meuniers, au nombre de 700 environ, ouvriers et apprentis compris, se divisent en deux catégories: « terrahiya », qui achètent eux-mêmes le blé et vendent la farine pour leur propre compte (98 moulins actionnent 150 paires de meules) et « tohhaïniya » (56 moulins, 75 paires de meules) qui travaillent à façon et sont rétribués à 80 fr. le moud, plus les criblures et le son qui leur sont parfois abandonnés.
Certains moulins sont spécialisés dans le broyage des divers produits tannats, ou de ceux destinés à l’émaillage des poteries.
La corporation, qui a pour saint patron Sidi Hamamus, de Bab Ftouh, a encore de nos jours le privilège envié d’être une des premières, dans l’ordre des préséances, à sacrifier le taureau au moussem de Moulay Idriss.

Oued Zhoun Dernier moulin sur l’Oued-Fès
Les « hawata », les fabricants de papier et les lavandiers.
Signalons pour terminer l’esquisse de ces corporations qui vivent de l’eau, les « hawwata » ou pêcheurs. Les eaux de l’Oued Fès ne sont aujourd’hui plus guère fréquentées par les savoureux cyprins citées par Léon l’Africain. Les pêcheurs se rendent au Sebou où ils pratiquent la pêche à la ligne, à l’épervier, et celle si curieuse de l’épuisette qui consiste à se placer, pieds nus et épuisette en mains, sur les rochers d’un barrage, et de happer au passage – jugez de la rapidité de réflexes que cela nécessite – les poissons qui, d’un coup de reins franchissent en les remontant les cascades.
Si l’on en croit le notable Abu Lhassan Ali Ben Omar El Yussi qui le tenait du noble El Kwikiri, inspecteur de Fès sous le règne de Nacir l’almohade, il y avait à Fès 400 fabriques de papier ; mais elles furent détruites à l’époque de la famine sous les gouvernements d’El Adil et de ses frères El Mamoun et Rachid de l’an 618 à l’an 638.
Enfin la corporation des lavandiers signalée par Léon l’Africain qui a également complètement disparu.
CONCLUSIONS
On ne saurait mieux – à mon sens – clore cette courte étude sur la question de l’eau à Fès, qu’en mettant une fois de plus l’accent sur les admirables conditions hydrographiques de notre région.
En période normale, l’Oued ayant un débit moyen de près de 2 000 litres-seconde, chaque habitant arrive à disposer de près de 2 000 litres par jour. Or dans les villes particulièrement favorisées, la quantité journalière allouée individuellement est de 1 000 litres à Rome, 880 litres à Philadelphie et 750 litres à Marseille. Elle est de 370 litres seulement à Paris, 150 litres à Lyon et tombe à 27 litres seulement à Brest. En Amérique, la moyenne oscille entre 400 et 800 litres.
Pourtant à certaines périodes de pluviométrie exceptionnellement basse, notamment en 1915, 1919, 1926, 1932 surtout, ainsi qu’en ces trois dernières années, le débit de l’Oued a baissé parfois de façon inquiétante.
Je pense que, parmi les moyens propres à remédier au danger éventuel de nouvelles déficiences, les 2 suivants seraient amplement suffisant :
– Entreprendre une réfection complète du réseau existant, les vieilles buses en poterie étant remplacées par des canalisations en fonte installées selon les données de la technique moderne.
Ce serait, j’en conviens, porter un coup mortel à la corporation de nos sympathiques « kawadsiya » ; mais il ne faut pas, sous prétexte de sauvegarder les caractères traditionnels de la cité, cristalliser le vieux Fès, « ville d’art », et vouloir jalousement le conserver intact à l’instar de Jérusalem.
– Procéder à une révision complète des droits coutumiers d’usage, en leur donnant enfin un fondement légal. Il faut avoir le courage d’aborder ce problème, dont la solution créera une heureuse symbiose entre le droit des usagers d’amont, non négligeables étant donné l’importance économique prise par les cultures et le maraichage dans la banlieue de Fès, et ceux, tout aussi respectables, des citadins qui peuvent à juste titre exciper de « l’usage immémorial ». C’est là une tâche ardue et délicate, mais qui conduirait à une économie certaine, par une répartition plus équitable du précieux liquide.
Enfin, pour conclure, unissons nos souhaits aux prières de nos amis musulmans, pour que le ciel – comme il semble avoir voulu le faire cette année – nous dispense ses bienfaits, et fasse couler à pleins bords notre oued Fès, chacun disant en matière d’Alléluia :
« f-el ma l-aman, u si bas ma kan » : « dans l’eau le pardon, et il n’y a pas de mal ».

Oued-Fès au crépuscule
À propos de l’auteur
Henry Godbarge était commissaire de police à Fès. L’eau à Fès est le texte du mémoire qu’il a déposé en février 1951 au Centre des Hautes Études d’Administration Musulmane (C.H.E.A.M.) et donné en conférence devant les « Amis de Fès » le 18 février 1951. Godbarge avait déjà remis à ce Centre en avril 1947, un mémoire intitulé Deux corporations berbères à Fès : les Izerzaïn et les Igerraben.
Les documents conservés au C.H.E.A.M. sont soit des mémoires déposés par les candidats pour participer au concours d’admission, soit des rapports rédigés par les stagiaires de ce centre à la fin de leur formation, ou bien des recherches de terrain réalisées par certains fonctionnaires. Ils portent sur des sujets d’ordres politique, économique ou social de la société marocaine.
Le C.H.E.A.M. a été fondé en 1936, sous la direction de l’officier de marine et sociologue Robert Montagne sous le nom de : Centre des Hautes Études d’Administration Musulmane. Il a pour mission d’accueillir en stage de formation des administrateurs civils et militaires, des professeurs et des magistrats en poste dans les pays d’Afrique du Nord et du Levant. Le C.H.E.A.M. est transféré en 1940 à Alger où Robert Montagne est mobilisé. Après la guerre le Centre est rapatrié à Paris et Montagne en conserve la direction.
Le C.H.E.A.M. change de dénomination en 1958 en devenant le Centre des Hautes Études Administratives sur l’Afrique et l’Asie Modernes. En 1973, il devient le Centre des Hautes études sur l’Afrique et l’Asie Modernes avec pour mission de contribuer à la formation et à la recherche sur tous les problèmes des civilisations musulmane, africaine et asiatique modernes. Le Centre est placé sous l’autorité du Premier ministre et géré par la Fondation Nationale des Sciences Politiques avant sa disparition en 2000.
À travers plus de 5200 mémoires rédigés par les auditeurs du Centre, le C.H.E.A.M. fournit une source essentielle sur les aspects politiques, administratifs, religieux, intellectuels, sociaux et économiques des civilisations musulmanes, africaines et asiatiques des années trente à nos jours. Une publication, La France méditerranéenne et africaine, voit le jour dans les premiers mois de 1938 : quatre numéros sont publiés en 1938, un en 1939. En 1948, une nouvelle revue trimestrielle, L’Afrique et l’Asie, (sous-titrée Revue politique, sociale et économique et bulletin des anciens du CHEAM) est publiée. Elle devient en 1974 L’Afrique et l’Asie modernes, (revue trimestrielle publiée avec le concours des Anciens du CHEAM).
Voir aussi : Oued-Fez et L’Oued Fès ou la ville au bord de l’eau.