Image à la une : Le Lycée Mixte* vers 1950.
* Le lycée est qualifié de « Mixte » car il accueille, dès sa création, à la fois filles et garçons, sans référence à la mixité socio-culturelle, ou à celle des élèves européens et marocains, de religions différentes qui fréquentent le Lycée.
En 1952 la Direction de l’Instruction Publique publie, à l’initiative de son directeur Roger Thabault, un numéro spécial (n° 217) du Bulletin de l’Enseignement public du Maroc consacré à l’Enseignement des Fillettes Musulmanes. Un chapitre est consacré aux élèves musulmanes du Lycée Mixte de Fès.
En 1945, s’ instituait – timidement – au Lycée Mixte de Fès, une expérience audacieuse. Elle consistait à admettre pour la première fois – et sur leur demande – des jeunes filles musulmanes marocaines en compagnie des jeunes gens européens et marocains, des jeunes européennes et des jeunes israélites marocaines. Nous comptions déjà parmi nos élèves des jeunes filles musulmanes algériennes qui s’étaient parfaitement adaptées à la vie du Lycée Mixte de Fès. Mais comment nos nouvelles recrues marocaines allaient-elles se comporter ? Seraient-elle bien accueillies ? Ne trouveraient-elles pas dans ce milieu scolaire européen l’occasion de froissements et de déceptions ? Comment leur présence dans un établissement qui compte une majorité de jeunes garçons serait-elle accueillie par l’opinion musulmane ? La nouveauté absolue de l’expérience nous faisait, avouons-le, redouter de l’entreprendre. Mais nous avions tort, car dans les six années de « pratique » dont nous rendons compte ici – très sommairement – nous n’avons jamais eu à regretter cette initiative.
Laissons d’abord les chiffres parler leur langage : si nous pouvions inscrire 2 jeunes musulmanes en 1945, nous en comptions 5 en 1946, 8 en 1947, 12 en 1948, 18 en 1949 (dont 3 dans la Section Technique Féminine), 22 en 1950 (dont 4 dans la Section Technique Féminine), 30 enfin à la rentrée d’octobre 1951 (dont 7 dans la Section Technique Féminine).
Notons que l’essor pris par ce recrutement féminin musulman au Lycée ne semble pas avoir été influencé par l’ouverture à Fès, en 1947, d’un Collège de jeunes filles musulmanes à Bab El Hadid, pas plus que le développement de cet établissement ne semble avoir souffert, de son côté, de l’admission des musulmanes au Lycée. Bab El Hadid comptait, en effet, 10 élèves en 1947, 26 en 1948, 46 en 1949, 64 en 1950 et 96 en 1951.
En vérité, si le choix est offert aux jeunes filles musulmanes de Fès entre deux formules, ces formules ne font pas double emploi :
– l’une, celle du Collège Féminin, offre aux familles un enseignement secondaire qui prolonge sans heurts le cycle des écoles de fillettes, s’efforce de les faire évoluer dans le cadre de leurs traditions familiales
– l’autre, celle du Lycée Mixte, offre aux jeunes filles marocaines qui le désirent de partager avec nos jeunes lycéens et lycéennes, le même enseignement secondaire. (Une Section Technique purement féminine, accueille celles qui recherchent soit une formation professionnelle, soit un enseignement des Arts Ménagers). Dans tous les cas, la liberté du choix est laissée aux familles, non sans avis, ni conseils, mais, en tous cas, avec pleine indépendance de décision lorsque les conditions d’âge et d’aptitudes sont remplies. Ajoutons que les deux établissements sont distants l’un de l’autre, de plus de quatre kilomètres, que l’un (le Collège de Bab El Hadid) est situé dans la ville marocaine, l’autre (le Lycée Mixte) est situé dans la ville nouvelle.
L’âge moyen des jeunes musulmanes à l’entrée en sixième du Lycée est légèrement inférieur à 12 ans dans la Section Secondaire. C’est, à peu de chose près, l’âge moyen d’entrée en sixième de toutes leurs condisciples, constatation favorable qui est toute à l’honneur de l’enseignement primaire qu’elles ont reçu. Notons encore que, si à l’origine, nos deux premières élèves musulmanes s’étaient bravement engagées dans la Section classique (où l’une devait briller), toutes, à une exception près, optent pour le secondaire Moderne (sans latin). Si nous sommes assurés que plusieurs d’entre elles pourraient aborder l’étude des langues anciennes, nous ne pouvons méconnaître l’avantage que l’enseignement Moderne représente pour elles avec ses sept heures hebdomadaires de français. Or le français est au Lycée la langue véhiculaire de l’enseignement.
Une bonne possession de la langue française et surtout orale n’est pas nécessairement chose facile pour les petites filles européennes, et, à plus forte raison pour les petites marocaines. La connaissance qu’elles ont du français, à l’arrivée en sixième, est le plus souvent livresque et un peu artificielle. Mais la vie scolaire en milieu européen, le jeu d’une mémoire toujours bien exercée, le don des langues – essentiellement féminin – joints à un amour-propre et à une volonté opiniâtres permettent aux meilleures d’entre elles de niveler toutes les différences dans l’espace de deux années. Certaines, les plus douées, ont réussi parfois, dès la classe de quatrième à surmonter le handicap au point de surclasser, en français, leurs compagnes européennes.
Nous leur devons cette justice de souligner que si elles savent répondre aux appels et aux conseils de leurs professeurs, elles ne se bornent pas à remplir leurs obligations proprement scolaires, pain quotidien de la classe. Elles lisent pour leur plaisir et leur profit, certaines vont au théâtre (scène française et marocaine), excellente école ! Les plus âgées et les plus fines assistent ou commencent à assister aux conférences de l’Alliance française et aux concerts des Jeunesses Musicales. Cet effort personnel de culture nous paraît d’autant plus méritoire que la tâche scolaire est aujourd’hui lourde, très lourde ! Pourtant, elles ne négligent rien, pas même l’Éducation physique dont elles ont compris la vertu. L’une d’elles n’a-t-elle pas la coquetterie de venir s’entraîner, le jeudi, à l’Association Sportive Féminine.
Ce tableau de comportement scolaire de nos élèves musulmanes serait incomplet si nous nous limitions à dire combien elles se montrent attentives et studieuses. Courtoises et dociles, elles manifestent une très bonne éducation. C’est dire qu’elles ne soulèvent aucun problème d’ordre disciplinaire. Leurs compagnes européennes leur font bon accueil. On a su d’ailleurs, d’un côté comme de l’autre, faire table rase des différences nées de l’habitude, de l’éducation première ou des préjugés pour vivre en commun sous le signe d’une gentille camaraderie et parfois de l’amitié. On s’est réjoui de voir telles fillettes musulmanes recevoir leurs amies françaises et leurs professeurs, et réciproquement, à l’occasion des fêtes traditionnelles. Aucune ombre n’a jusqu’ici terni ce tableau.
De ce faisceau d’observations, le lecteur a déjà déduit que les résultats scolaires de ces jeunes filles doivent être bons. Qu’on en juge : elles figurent nombreuses au Tableau d’honneur (22 inscrites sur 30, fin décembre 1951, soit 74 %) et moissonnent d’importantes récompenses en fin d’année. En cinq ans leur petit effectif disséminé à travers nos classes a déjà remporté quatre Prix d’Excellence, deux Prix de Félicitations du Conseil Intérieur et maints prix de facultés diverses. En si peu d’années telle élève, arrivée en cours d’études, a obtenu le Baccalauréat Sciences Expérimentales et effectue aujourd’hui un stage de Pharmacie à Casablanca ; telle autre, l’une de nos deux premières inscrites, achève sa Philosophie-Lettres et s’oriente vers la Médecine. Nous n’en comptons point en première cette année (départs) et il est trop tôt pour interroger les élèves de seconde, mais elles sauront, elles aussi se distinguer.
Ainsi l’expérience tentée, non sans appréhension, en 1945, se poursuit-elle aujourd’hui, élargie et dans un climat favorable que n’ont pas peu contribué à créer le dévouement et la valeur de nos collaborateurs, d’une part, l’amitié et la confiance que les familles musulmanes nous ont témoignées, d’autre part.
Les Collèges des jeunes filles musulmanes sont évoqués dans le texte ci-dessus.
C’est en 1945 que la Direction de l’Instruction Publique décide d’ouvrir la voie à l’enseignement secondaire féminin aux jeunes filles musulmanes. Cet essai, presque clandestin, est tenté à Rabat où une dizaine d’élèves sont scolarisées dans le Foyer scolaire ; en 1947 une expérience semblable est tentée à l’École de Bab El Hadid à Fès : dix élèves sont scolarisées et, le succès dépassant les attentes, chaque année une classe supplémentaire est ouverte pour intégrer la vingtaine de nouvelles élèves qui souhaitent entrer au Collège. En 1951, 96 jeunes filles sont scolarisées au Collège de Bab El Hadid dans quatre classes d’enseignement général et une classe d’enseignement pratique.
Les classes ouvertes à Bab El Hadid sont des classes de premier cycle, de la sixième à la troisième Moderne avec des programmes adaptés aux besoins des élèves ; un important enseignement en langue arabe, grammaire, littérature et enseignement religieux a été incorporé. Les élèves de deuxième année du cours moyen des écoles primaires franco-musulmanes subissent un examen d’entrée qui comporte une épreuve d’arabe classique. Une sixième « préparatoire » recueille les élèves munies du Certificat d’Études Primaires Musulmanes – C.E.P.M. – qui échouent à l’examen d’entrée et désirent le préparer à nouveau. À la fin de la troisième, un certificat d’études secondaires – C.E.S.M. – analogue au B.E.P.C. qui se prépare dans les lycées et collèges français et donnant les mêmes droits, sanctionne les études.
Pour répondre aux vœux de certaines familles fassies une section d’enseignement pratique a été organisée : toutes ne veulent pas, pour leurs filles, un cycle complet d’études secondaires sanctionnées par le Brevet ou le Baccalauréat, mais au niveau de la cinquième ou de la quatrième songent aux responsabilités de maitresse de maison qui les attendent et souhaitent une formation plus pratique où les sciences ménagères ont une large part. De la même façon que les sections classiques et modernes des établissements français sont doublées de sections techniques, l’enseignement secondaire des jeunes filles musulmanes s’accompagnent d’un enseignement à orientation pratique. Après Fès, une section d’enseignement pratique a été ouverte à Rabat !

Patio du Collège de jeunes filles musulmanes. Bab El Hadid. Mai 1951. Cliché Mestre et Picaud
Sur l’histoire du Lycée Mixte voir Le Lycée Mixte de Fès, aujourd’hui Lycée Ibn Hazm.