Image à la une : Cimetière de Bab Ftouh, le mausolée de « Sab’atou-Rijal » ou mausolée des « Sept hommes ».
Le 7 mai 1950 Maurice NENY et le Dr Edmond SECRET proposent aux « Amis de Fès » une conférence-promenade au cimetière de Bab Ftouh. Le Dr Secret fera un exposé sur le tombeau de Sidi Hrazem qui repose à l’écart sur une éminence qui lui semble réservée, Maurice Neny présentera ensuite, depuis le terre-plein de la Msalla (oratoire de plein air) la biographie des anciens prophètes ou saints personnages qui reposent dans ce cimetière.
Je n’ai pas retrouvé le texte du Dr Secret mais Frédérique Neny m’a remis le texte de l’exposé de son père, ainsi qu’une copie du courrier qu’il a adressé à Si Lakhdar, le 14 novembre 1949, au sujet de la préparation de cette conférence : « Bien cher Si Lakdhar, je vous adresse le schéma sur quoi a pris naissance le projet d’une conférence sur El Guebeb. Puisque vous acceptez d’être mis encore à contribution, je suis beaucoup moins inquiet sur l’avenir du projet ! Je pense qu’il est possible de recouper la trace de quelques noms au moins de ces saints personnages que je n’ai, personnellement, appris à connaître que par la tradition orale, tellement imprécise. Ne pourrait-on rien découvrir sur les Sab’atou-Rijal (sept hommes) ? Je n’ai sur eux aucun renseignement …. »
Maurice Neny invite les promeneurs-auditeurs à endosser la djellaba du montagnard, à nouer à leurs chevilles ses sandales et dans sa peau, leur faim mal trompée par une poignée de figues sèches, assoiffés, à atteindre enfin après de pénibles étapes sous un cuisant soleil, le but d’un long voyage.
Écoutons Maurice Neny :
Alors, tel qu’il est, coiffé du sinople des oliviers, ravineux, coupé de pentes et d’éboulis, ocre, doré, crayeux, bosselé par dix mille sépultures sans marque d’humbles dont le souvenir est à jamais perdu, jonché d’un prodigieux désordre de stèles et de tombeaux, spiritualisé par vingt qoubba aux proportions nobles, aux dômes patinés, aux toits de jade qui abritent les reliques de saints miraculeux, d’oulémas doctes, de grands illuminés et dont l’éparpillement semble tracer la voie de la perfection, le Guebeb apparaîtra à notre esprit transporté – la faim et la fatigue préparent à l’ascèse – comme la Cité mystique, à la fois immatérielle et tangible, traversée par le vol des anges, à laquelle nous avons rêvé, vers quoi nous nous sommes tendus pendant que, désespérément vides, aux horizons succédaient les horizons et que nos pieds douloureux s’écorchaient aux cailloux du chemin.
Oui, ce tableau presque virtuel et qui n’est pourtant point un mirage, ineffablement beau, bien que sans ordonnance et sans doute parce qu’aucune ordonnance n’a présidé à sa composition, procure à l’âme le sentiment de détachement, de plénitude et d’attirance vers l’infini qu’en d’autres lieux lui a fait ressentir la contemplation de certaines mosaïques pieuses – je pense à l’une de celles de Fourvière -, de naïves et précieuses enluminures, de primitifs saisissants et aussi la récitation, dans la ferveur de l’enfance des saintes litanies : maison d’or, tour d’ivoire, porte du ciel, arche d’alliance …
On respire devant lui une atmosphère de matin de Pentecôte, vous savez bien, de ces matins de Pentecôte où toujours et partout se lève un vent purifiant, un vent qui n’est plus aveugle de la nature, mais souffle de l’Esprit, un vent qui assainit et transporte.
Pourquoi n’admettrait-on point qu’irradiant de leur soma qui lentement s’incorpore à la terre, flottent autour de ces mausolées, les vertus des saints personnages que nous évoquerons tout à l’heure ?
Certains approfondirent la connaissance, d’autres s’appliquèrent au renoncement, quelques-uns portèrent au loin la chaleur de leur enseignement, il en fut qui préférèrent la vie cénobitique, mais tous pratiquèrent le mysticisme, s’élevèrent dans la spiritualité sans rompre pourtant, et c’est là le grand miracle de l’Islam, toute attache avec le prosaïsme de l’existence. C’est pourquoi, ils n’apparaissent point redoutables, ni tellement d’essence supérieure, mais seulement des prédestinés, des vases d’élection, des guides, des canaux de bénédictions. Et familièrement, sans effroi, chaque vendredi, la foule vient les visiter, leur porter des offrandes, quémander un miracle comme le faisait naturellement la troupe de ceux qui les suivaient pendant leur vie, comme le faisaient les disciples des anciens prophètes

Sidi Hmamouch, poète et meunier
Ses biographes le font naître en 508 de l’Hégire à Malaga et l’appellent Sidi Ali Hmamouch ben Mohamed ben Abdelhaq ben Abdallah tout en prétendant qu’il serait fils de Ya’qoûb El Mansour l’Almohade.
Cette filiation ne concorde pourtant pas avec l’énumération de sa généalogie telle qu’ils l’énoncent. De plus elle infirmerait une naissance en 508 à Malaga car Ya’qoûb El Mansour naquit en 544 environ et les Almohades ne débarquèrent pour la première fois en Andalousie qu’en 540 sous la conduite de Berraz El Messoufi.
Quoi qu’il en soit, Sidi Hmamouch passa trois ans à la cour de Marrakech où, poète de talent, il fut comblé d’honneurs puis il tomba en disgrâce pour avoir dressé une généalogie des Mouwahhidine (almohades) qui les faisait remonter au Prophète. Cet écrit fit scandale. On voulut bien admettre que les ancêtres d’Abd El Moumen soient de race arabe, mais nullement qu’ils fussent chorfas.
Sidi Ali se retira alors à Fès et vécut pauvre dans une maison de Talaâ proche de l’emplacement futur de la medersa Moutawakkiliya que nous appelons actuellement la Bouananiya.
Élève de Sidi Abdallah El Rezouani, il commandait aux Génies et leur apprenait le Coran.
La légende rapporte que Sidi Hmamouch possédait un moulin qui broyait à façon l’orge du voisinage. Il fut accusé un jour d’avoir frauduleusement soustrait une partie du grain qu’on lui avait confié. Ne pouvant fournir d’autre preuve de son honnêteté, il invoqua le témoignage de sa meule et de sa trémie qui clamèrent aussitôt son innocence devant le plaignant confondu et la foule rassemblée par le bruit de la dispute.
Il serait mort à Marrakech (?) et enterré le 26ème jour de Sha’ban 581
Un aspect de la politique Almohade entrevu à travers la disgrâce de Sidi Hmamouch
Abd El Moumen, le fondateur de la dynastie almohade, avait été le premier disciple d’Ibn Toumert qu’il rencontra à Bougie. C’était un berbère de la tribu des Kumya, de la région de Nédroma.
Ibn Toumert fut un misogyne intégral qui précipitait les mariées au bas de leur monture, brisait les flûtes et crevait les tambours. Il fut intransigeant comme seuls le sont les chastes. Il décéda sans héritier, laissant son maghzen dans un grand embarras pour assurer sa succession et sa mort fut pour cette raison tenue secrète pendant trois ans.
Ce n’est qu’au bout de ce temps et au retour d’une campagne victorieuse contre les Guezzoula, qu’Abd El Moumen fut proclamé et prit le pouvoir.
En dépit de sa puissance, son petit-fils Abou Ya’qoûb El Mansour pouvait encore faire figure de spoliateur au détriment de la « maison » d’Ibn Toumert, le « Mehdi », l’ « Imam impeccable », l’instigateur et pour consolider davantage son pouvoir, il chercha, sans doute à se parer, à la façon chiite, du cachet de légitimité que concède une noble ascendance.
Cette époque est d’ailleurs celle de la transportation dans les plaines atlantiques de tribus bédouines fixées en Ifrikya après l’invasion hilalienne et l’opinion dût alors porter un renouveau d’intérêt aux questions orientales. La protection accordée aux dahiristes et aux chaféistes et la défaveur momentanée du malékisme en sont des indices.
Mais le Maroc était encore profondément berbère et toute propagande pro-arabe n’y pouvait réussir qu’à la condition de rester très nuancée. C’est sans doute pourquoi la maladresse du trop zélé Sidi Hmamouch fut sanctionnée par une disgrâce.

Amina bent El Cadi dite Lalla Kattia
Histoire attachante et de tradition magdalénienne que celle de cette Fassia (originaire ou habitante de Fès) qui brava les convenances par amour mystique pour le cheikh Abou Lahssen Ali Senhaji.
Répudiant la modestie qui convient à une fille de notable magistrat, elle ne craignait pas de le suivre partout où il prêchait et à chacune de leurs rencontres oignait sa tête d’une huile qu’elle tirait de son sein. Abou Lahssen lui portait aussi une grande affection et déclara souvent qu’il n’était venu de Meknès à Fès que pour elle. Il ne l’appelait autrement que « ma sœur » et la surnomma « l’amante particulière de Dieu ».
Le père d’Amina, le cadi Abou L’ Abbâs Ahmed ben Ali ben Abdeslam ben Abou Lafia El Meknassi ne supportait point sans déplaisir la persistance d’un tel comportement qui bravait, bien sûr, la morale courante et dût faire jaser toutes les bonnes âmes de la ville. Mais remontrances et châtiments n’eurent point d’effet. Amina, chaque jour, s’enfuyait de la maison pour rejoindre son cheikh et, dans l’extase, entendre sa parole.
Alors on la séquestra dans une chambre bien close et pour, plus de sûreté, on l’enchaina. Mais répondant à sa plainte passionnée Abou Lahssen surgit au milieu du patio sans que l’on ait jamais pu concevoir comment il y était parvenu et joua sur sa téorbe un air familier. Quand il eut terminé, la fille était devant lui libre de toute entrave et bien que le verrou de sa prison n’ait point cédé.
Ce prodige plongea les assistants dans l’étonnement et la crainte, mais le cadi était un esprit fort qui ne s’en laissait point facilement conter. Il multiplia les fers et doubla les serrures, puis, tranquille, s’en fut se plonger dans une fosse pavée de mosaïque qui servait habituellement à ses purifications. Horreur, son pied n’en rencontra pas le fond solide, mais un sol boueux où il s’enlisa inexorablement. Le malheureux se sentit alors en grand danger et comprit qu’il ne pourrait venir de salut que du Senhaji. Clamant vers lui sa détresse, il jura de ne plus le séparer d’Amina. Abou Lahssen apparut alors de nouveau miraculeusement et, lui tendant une main secourable, le tira de sa périlleuse situation.
Ces évènements furent bientôt connus et, désormais, l’union mystique du Cheikh et de sa servante devint sujet d’édification et non plus de scandale. Son histoire continua d’ailleurs d’être merveilleuse.
Un jour qu’à la table familiale on servait du poulet, Amina déclara : « Si mon maître avait une chienne, je lui donnerais ma part. » Aussitôt frétillante, le museau tendu, il en apparut une qui se régala du repas si spontanément offert.
La morale bourgeoise triompha pourtant, car on maria cette exceptionnelle fille de Fès à son cousin Abou Zaccaria Yahya Quassem, le 5 Chawwal de l’an 911 de l’Hégire.
Elle décéda en 960.
Ces dates ont d’ailleurs été contestées et certains biographes la font mourir en 1063 à 78 ans, sept années après son père. Elle est enterrée auprès du Cheikh Abou Lahssen et leurs ombres unies pour l’éternité doivent flotter côte à côte entre ces pans de murs, dans la féérie des nuits claires qu’illumine le Croissant.

Sidi Abdelaziz Debbagh bou Tarbouch, l’analphabète.
Ce visionnaire célèbre, fils du grammairien Sidi Mes’oud Cherif Hassani Drissi, de la branche des Debbaghiyyin descendant de Sidi Aïssa ben Driss, naquit le 11 Safar de l’an 1085 de l’Hégire.
Bien qu’élevé dans un milieu lettré, il ne fréquenta jamais aucune école et ne connut parfaitement du Coran que quelques sourates des cinq derniers chapitres.
L’oncle de sa mère Sidi Larbi Fechtali prophétisa à la suite d’un songe la grandeur de sa destinée. Il mourut avant sa naissance en lui léguant un tarbouch (aussi appelé fez, couvre-chef masculin, en feutre, souvent rouge et de forme tronconique) et des blaghi (mules, chaussures) chargées de particulières vertus. Ayant atteint l’âge d’homme, Sidi Abdelaziz s’en coiffa et s’en chaussa. Il s’adonna alors à la vie contemplative et atteignit les hautes sphères de la mysticité.
Il fut notamment réuni au Prophète pendant le mois de Rajab 1125 près du tombeau de Sidi Hrazem. Reprenant les invocations laissées par ce saint au gardien de son mausolée Sidi Omar Mohamed El Ouaghi, après trois ans d’exercices il commença à apercevoir d’aveuglantes lumières. Alors Sidi Abdellâh El Berrouani qui fut un grand ascète lui apparut, le conseillant et l’instruisant jusqu’au troisième jour de la fête de l’Aïd el Kebir où il fut mis en présence du Prophète. Sidi Abdellâh le quitta alors en disant : « Je craignais beaucoup que tu meures d’effroi mais voilà que mon cœur est tranquillisé. »
Après ce ravissement, Sidi Abdelaziz déclara maintes fois : « J’ai vu mon amant par mes propres yeux et mon regard fut guéri grâce à son éclat. Celui qui ne voit point son amant dans sa vie devra être plaint pour tous les biens spirituels qu’il aurait pu amasser. »
Sidi Omar El Ouaghi, Sidi Abdellâh El Berrouani, Sidi Yaya Saheb El Jrid, Sidi Mansour ben Ahmed, Sidi Mohammed Senhaji et Sidi Ali ben Aïssa ne cessèrent de le visiter dans ses extases et l’initièrent à tout ce qu’ils possédaient de la connaissance. Sidi Ahmed ben Abdallah Mesri lui apprit le langage des anges.
« Tant de grâces, aimait-il à dire, ne m’ont été octroyées que par le bonnet et les chaussures de Sidi Larbi mon oncle. »
Il mourut à l’aube du jeudi 20 Dhu Al-Qi’dah 1131, laissant de nombreux émules à Fès et à Taza, notamment le Cheikh Abou l’Abbâs Ahmed ben Embareck Lemti.
Sa biographie fait l’objet d’un livre intitulé « L’or pur »

Abou Mimouna Sidi Derrass Ben Ismail El Fassi, voyageur, exégète, soldat
On l’appela Derras parce qu’il étudia beaucoup.( Derras, du verbe darassa (étudier) : étudiant, savant). Il visita l’Orient, l’Espagne et l’Afrique. Il s’initia à l’exégèse auprès du réputé savant Ali Benou ben Ali Mattar d’Alexandrie et commenta à Kairouan le livre de Beni ben El Mouwwaz. Il combattit puis étudia en Andalousie.
Sa renommée de juriste et de mohadith (savant de l’Islam, spécialiste de la science du hadith) devint très grande. Al Qâdî ‘Iyâd (théologien, juge et fin lettré) conte que le chef d’une troupe d’assaillants apprit en rêve qu’il n’entrerait jamais dans Fès où résidaient quatre grands ascètes dont Sidi Derrass.
Il fut l’un des premiers à introduire au Maroc la doctrine Malékite.
Abou Mimouna mourut pendant le mois de Dhu al Hijjah 357.
La légende rapporte qu’un cordonnier de ses disciples achetait de la boucherie lorsque passa le corps du saint qu’on portait en terre. Apprenant qu’il s’agissait de Sidi Derrass dont il ignorait la mort, il ressentit un grand choc et déposant son emplette dans le capuchon de sa djellaba, l’accompagna au cimetière dans une grande affliction. Rentré chez lui, il tenta d’accommoder sa viande mais elle ne put jamais cuire et pas davantage ne se putréfia.
Cependant, lorsque le cortège arriva en vue de Bab el-Hamrâ (La porte rouge, qui n’existe plus aujourd’hui) qu’il devait franchir pour atteindre le lieu de la sépulture, la dépouille se fit si lourde que les porteurs durent la déposer à terre. Saisis de crainte, ils demandèrent au mort la raison de ce prodige. « C’est que le Prophète est parmi vous et m’accompagne » répondit-il de l’Au-delà. Force fut à la foule qui suivait l’enterrement de franchir d’abord la porte. Alors le cadavre put être à nouveau soulevé.
Ce miracle lui ayant été rapporté, le Sultan d’alors décréta que Bab el-Hamrâ serait murée afin que nul ne puisse mettre désormais le pied sur la trace des pas du Loué.
Le mausolée actuel fut construit en 1786 par le sultan Sidi Mohammed ben Abdallâh. Abou Inân avait déjà rénové en 754 H (1353) la construction primitive.
Sidi Derrass Ben Ismail, missionnaire omeyyade ?
La personnalité de Sidi Derrass Ben Ismail va nous permettre de jeter un regard sur cette période très obscure mais attachante de l’Histoire du Maroc qu’on a appelée l’époque zénète et qui correspond à celle des règnes de nos derniers Carolingiens. 357 de l’Hégire, c’est environ 970 de notre ère.
Les Idrissides se sont retirés au Jbel. De 920 à 973, les Fatimides de Kairouan ont, à neuf reprises différentes, tenté de s’implanter dans le Nord du Maroc, mais les Omeyyades de Cordoue qui craignent leur pénétration en Espagne, font alliance avec les Béni Ifren et les Maghraoua, et ce sont des gouverneurs originaires de ces tribus qui défendent Fès d’ailleurs divisée encore en deux villes distinctes et rivales séparées par l’Oued dont les rives sont fortifiées. C’est Youssef Ibn Tachfine, l’almoravide qui les réunira. El Alyia (la Haute) celle de la rive gauche abrite une élite de souche ifrikyenne, l’autre, Madinat Al Fas, celle de la rive droite, un noyau compact d’andalous.
Il est facile d’imaginer l’ambiance d’intrigues dans laquelle ont pu se poursuivre ces tentatives de conquête dont un caractère religieux masquait d’ailleurs le but politique .
Les Fatimides étaient des hérétiques chiites, tandis que les Andalous se réclamaient de la Sunna. La masse des berbères marocains, elle, professait le kharijisme.
Les Émirs de Cordoue qui n’avaient nullement l’intention d’imposer leur domination au Maghreb, firent néanmoins des efforts pour y implanter leurs conceptions religieuses, excellent ciment d’une entente avec les autochtones contre les Fatimides.
Et on peut admettre que l’action de Derass Ben Ismail s’exerça en leur faveur puisqu’il introduisit au Maroc la doctrine malékite étroitement orthodoxe qui s’avérait alors le meilleur instrument d’arabisation de la conscience berbère.
Kairouan, où il enseigna, bien que devenue capitale des Fatimides, était restée une des citadelles de l’orthodoxie. De plus on le retrouve par la suite combattant et étudiant en Andalousie. Sous quelle bannière y porta-t-il les armes ? On peut difficilement supposer que ce fut avec les Fatimides qui razzièrent Almeria en 955, mais plutôt contre les chrétiens, à la solde des Omeyyades. Et rien ne s’oppose à ce que ceux-ci ne l’aient chargé, par la suite, de gagner à leur cause les Kharijistes de Fès.
On pourrait ainsi expliquer le comportement de l’Émir partisan des Omeyyades, qui consacra de façon éclatante par la fermeture de Bab el-Hamrâ et imposa donc de façon tangible à l’esprit des masses, la véracité du miracle qui se produisit lors de sa mise en terre.
S’il m’est permis de sortir du domaine de l’hagiographie pure, je crois pouvoir affirmer sans risquer d’être taxé de scepticisme que le souvenir des faits merveilleux reste d’autant plus vivace dans la mémoire des hommes qu’ils ont servi une cause. Et quoi pouvait mieux prouver la vérité de l’enseignement de Derrass Ben Ismail, et par corollaire , la légitimité de la politique de ceux qui assuraient la direction des doctrines dont il se réclamait, que la confirmation qu’en donna la présence mystique du Prophète à ses obsèques.
L’Émir Ftouh qui donna son nom à la porte qui dût remplacer Bab El-Hamrâ n’apparait que soixante-dix ou quatre-vingts ans après la mort de Sidi Derrass. C’était un Maghraoui, encore client des Omeyyyades, fils de l’Émir Dounass. Il régnait sur Madinat El-Fas et combattit son frère Ajissa qui gouvernait la ville haute et fut le parrain de Bab Guissa.

Sidi Abou Al Hassan Ali ben Mohamed Saleh El Andalusi
C’était un Grenadin, élève de plusieurs grands ulémas d’Andalousie qui vint à Fès pour parfaire ses études. Il habita l’Adoua (quartier au Sud de la médina, rive des Andalous) et ouvrit d’abord boutique à la Quissaria (ensemble de rues parallèles et se coupant à angle droit, uniquement bordées de boutiques sans la moindre maison d’habitation).
Vers cette époque, vint de Marrakech s’installer provisoirement à la médersa Attarine, le cheikh des chioukh (pluriel de cheikh) Abou Mohamed Abdelaziz ben Abdellâh Etteba’e qui le remarqua parmi tous ceux qui se pressaient autour de lui pour recevoir ses bénédictions. Il l’entretint à l’écart puis réclama son cheval en déclarant : « J’ai rencontré cet homme et ma mission est accomplie ».
Al Hassan ne retourna point à son commerce et se consacra désormais à l’éducation des faquirs (adeptes d’une confrérie religieuse) dans une zaouïa du quartier ‘Adwat El Andalous sur les bords de l’Oued Zeitoun. Il prit alors le nom de Sidi Mohamed Sghir Essehli et devint le chef de la confrérie Etteba’iya. Il décéda en 903 de l’Hégire.
Plusieurs constructions successives élevées sur sa tombe s’effondrèrent. Seul, le portique actuel construit par Moulay Rachid El Alaoui a résisté.

Sidi Redouan Genoui, le pleureur
Sidi Redouan naquit à Fès, l’an 912 de l’Hégire, (1534 J.-C.) d’un chrétien et d’une juive convertis à l’Islam. Son père vint de Gênes se fixer au Maroc, aux environs de l’an 880. Il fut averti par un rêve qui le fit uriner d’une perle magnifique de la prédestination du fils qu’il engendrerait. Sidi Redouan écrivit avec truculence, parlant de lui-même : « Je suis sorti de l’ordure et du sang, comme un lait blanc et pur, agréable à boire. »
Il n’affichait point ainsi son orgueil, mais sa reconnaissance envers Dieu de l’avoir fait naître au sein de l’Islam. Il était, en effet, par nature fort humble et très sensible, refusant d’accepter les témoignages de vénération de ses disciples et laissant couler ses larmes lorsqu’il commentait les Hadiths du Coran. Pour cette raison, l’un de ses maîtres, Abou Mohamed Abderrahmane Essaqine le surnomma le pleureur.
Il reçut d’abord l’enseignement du cheikh Abou Mohamed El Rezouani qui, avant de se rendre à Marrakech le baigna dans l’eau de ses ablutions, lui transmettant ainsi des grâces particulières. Plus tard Sidi Redouan rejoignit ce maître à qui il portait une grande affection et resta près de lui jusqu’à sa mort. Il demeura encore une année entière à Marrakech se consacrant à l’instruction puis revint à Fès auprès du cheikh Abou Abdallah Sidi Mohamed Taleb qui rassemblaient les faquirs à Bab Qli’a.
Il fut encore le disciple du très savant Abou Mohamed Essaqine qui lui reprocha de continuer à fréquenter les gens de petit savoir. « Tu te profanes toi-même » lui disait-il, mais Sidi Redouan lui répliqua : « Seul le Tout-Puissant, j’en jure par lui, peut différencier le bon du mauvais. »
Il se rendit ensuite aux Beni Zeroual auprès du Hadj Abou Abdellâh ben Ali El Andalusi El Borji connu sous le surnom de Echttebi à qui il ne cessa de demander des conseils et visita le cheikh Abou Abdellâh Mohamed El Kebir ben Cheikh Abou Zaccaria Yahya ben Abdellâh ben Mohamed ben Beker.
Se livrant alors à l’exégèse, il devint un professeur illustre adepte de la confrérie Chadiliya ; dans les assemblées il feignait souvent de dormir mais ne cessait pourtant de porter une diligente attention à tout ce qui se disait et se faisait autour de lui. Il aimait à dire humblement que le sage, ici-bas, est celui qui se conseille avant de conseiller les autres.
Le 13 Rabi al-awwal 991, il mourut à Fès après l’ultime prière du soir dans une maison de Zankat El Anouz, quartier des Andalous.

Moulay Tayeb El Kettani, le miraculeux
Ascète et savant, il eut une grande renommée. Ayant visité le marabout Moulay Larbi ben Ahmed Derqawi en compagnie de nombreux membres de la confrérie de Sidi Abdesselem ben Mchich il fut distingué par le vénérable cheikh qui lui déclara : « Tu es meilleur que moi. Celui qui touchera tes habits sera épargné par le feu. »
Moulay Tayeb retourna à Fès, vendit tous ses biens et coucha pendant deux années sur le seuil d’une maison située à l’Adoua dans une rue appelée Aqbat Zarka. Puis il se vêtit somptueusement et visita le tombeau de Moulay Idriss. Il y reçut le don d’accomplir des prodiges.
Abou Abdallah ben Sidi Mohamed El Fadel ben Fatmi Drissi, pour avoir servi d’instrument à l’un d’eux, en témoigne : pendant une période de grande sécheresse cet alem entendit un inconnu dire à l’occupant du souk El Haïk près de l’Attarine : « Les forfaits commis par les Musulmans sont à ta charge. » Intrigué, Abou Abdallah demanda au marchand : « Qui est-ce ? et que voulait-il dire ? » « C’est Moulay Tayeb Kettani, répondit cet astucieux homme de négoce, et il m’a affirmé que la pluie ne tombera pas si tu ne m’achètes pas un haïk et que les forfaits du monde entier resteront à ta charge tant que tu ne réaliseras pas son vœu« . Alors Abdallah s’exécuta. Le ciel, qui jusque-là était immuablement bleu se couvrit de gros nuages et la pluie abondamment tomba.
Une autre version de ce miracle conte que le mohtasseb Sidi Allal Chami chargea un disciple de Moulay Tayeb d’intercéder auprès de lui pour qu’il supplie Dieu de se montrer secourable. Il ne put être rejoint qu’au coucher du soleil et on était en période de jeûne. « Nous ne mangerons que lorsque la pluie tombera » déclara-t-il. Très inquiet le commissionnaire leva les yeux vers le ciel absolument pur, puis résigné, s’allongea auprès du saint et tous deux s’endormirent. Ils furent réveillés une heure après par une averse copieuse et purent se délecter d’une bienfaisante harira.
Une autre fois, un Soussi (personne originaire de la région du Souss) désolé qui était venu supplier Moulay Tayeb de lui rendre sa mule enlevée par des voleurs s’entendit répondre : « Achète-moi un gigot de bonne qualité et tu la retrouveras. » La recherche fut longue car les bouchers de Fès n’offraient guère au choix de leurs clients ce jour-là que de la viande maigre et coriace. Enfin, dans un fondouk de la Nakhaline, une pièce acceptable fut découverte, mais à la plus grande surprise du volé, pendant qu’il en marchandait l’achat, le hennissement familier de la bête retentit derrière une porte close et ce fut sur le dos de l’animal qu’il rapporta triomphalement l’offrande exigée.
Moulay Tayeb El Kettani mourut à Fès pendant sa prière du matin dans une maison de Zanqat Ajjama près de la Mosquée Karaouiyine, le 3 Jumada al-thani 1253 H. Sa tombe est visitée par de nombreux suppliants qui ne manquent pas de lui offrir de très efficaces libations de thé, cette boisson ayant été fort à son goût de son vivant.
Note sur le thé à l’occasion du goût qu’en avait Moulay Tayeb El Kettani
1253 de l’Hégire correspond à 1840 environ de notre ère. Or l’usage du thé ne se répandit au Maroc qu’à l’époque de la guerre de Crimée, c’est à dire vers 1854.
La coalition franco-anglaise décréta le blocus de la Baltique et les marchands de Londres durent rechercher des débouchés nouveaux pour des stocks de thé vert de Chine, destinés aux pays slaves, qui encombraient leurs entrepôts. Les comptoirs de Tanger et de Mogador en reçurent d’importantes consignations et s’activèrent à les placer.
Auparavant les Marocains s’abreuvaient d’infusions de menthe ou d’absinthe édulcorées de miel ou de la cassonade extraite des cannes qui poussaient dans les vallées de l’Oum Errabiä et de l’Oued Souss.
Mais le thé n’était pourtant pas totalement inconnu au Maroc puisqu’il figure dans l’énumération des denrées précieuses qu’offraient les ambassadeurs chrétiens aux grands personnages et aux Sultans.
Dans la première moitié du XIXème siècle, les Fassis de qualité pouvaient donc user, ne serait-ce qu’exceptionnellement de cette boisson de luxe et Moulay Tayeb El Kettani en être féru.

Sidi Tayeb El Manjra El Hassani Saadi, l’illuminé.
Descendant du Sultan saâdien Abou l’Abbass El Mansour et non point de la souche idrisside des Manjra comme on a pu le croire, Sidi Tayeb vécut dans une chambre de la médersa Attarine où il passa ses nuits à étudier le Coran qu’il récitait par cœur.
On raconte qu’il se coiffait d’un tarbouch sans turban et conserva jusqu’à ce qu’il tombe en loques le même haïk de laine. À sa ceinture pendait, renfermant de particulières vertus, un trousseau d’énormes clefs. C’est pourquoi ses contemporains le surnommèrent « Bou Souwaret ».
Son pouvoir sur les éléments atmosphériques le rendit célèbre. Lorsqu’il balayait devant la Karaouiyine ou près de Bab Ftouh, la pluie ne tardait pas à tomber.
Si Tayeb El Manjra mourut le jeudi 14 Jumada al-Awwal de l’an 1277 de l’Hégire.
Abou l’Abass El Ouzir El Andalusi El Fassi, le notaire.
Abou l’Abass Sidi Ahmed ben El Fqih Abdelouhab El Ouzir El Andalusi El Fassi naquit à Fès le 1er Ramadan 1063.
Élève de Sidi Mohamed ben Abdellâh, il instruisit d’abord les enfants. Devenu notaire, il écrivit des poèmes, des commentaires, des biographies, fréquenta les nombreux chioukh de son époque, notamment Sidi Abdesselem ben Mchich qu’il affectionnait particulièrement.
Il mourut le 2 de Rabi’ al-awwal de l’an 1146.
Sidi Ahmed El Yamani, le juriste.
Sidi Ahmed naquit à Mallak, village situé sur le Nil entre la Haute Égypte et l’Éthiopie où son père l’ascète Abou Abdallah Sidi Mohamed Ben Cheik Abou Lalah Driss Chérif El Hassani El Quadri El Yamani régnait.
Il quitta sa famille vers 1075 de l’Hégire, fit le pèlerinage et visita le Soudan, puis par le désert parvint à Sijilmassa où il séjourna. Son arrivée à Fès daterait du 28 Jumada al-Thani de l’an 1081. Il passa sa première nuit dans la grande mosquée de Karaouiyine ayant laissé son chameau dans celle de Nebbaghin située au quartier de Rhabt El Qayss. Habillé à la mode bédouine, il suscita pendant deux ans la curiosité des Fassis.
Il fréquenta le cheikh Sidi Qassem El Khssassi puis Sidi Ahmed ben Abdallâh Al Andalusi qui négocia en 1090 son mariage avec la fille d’Abou Marwan Abdelmalek Mohamed El Ghomri.
Ce notable subvint à tous ses besoins et l’installa dans une maison du quartier Makhfia (quartier du sud de la Médina, rive des Andalous). Sa notoriété alors s’affirma, il fit de nombreux adeptes et entretint des rapports suivis avec les savants de l’époque et les grands personnages de l’État qui venaient recueillir auprès de lui l’enseignement des théologiens étrangers qu’il avait visités, notamment du Cheikh Abou l’Abbâs Ahmed dit Essadeq, du fils d’Abou Mohamed Ouaiss ben Abdallah Targui de la ville d’Adguez, du cheikh Abou Nedja Fariss Sanassin El Hanafi et du cheikh Sidi Defallah ben Sidi Mohamed Laraki El Aouzani El Melki qui professait à Arbji.
Il mourut dans le mois de Sha’ban 1114 laissant une grande réputation d’homme de science et de juriste. Il guérissait les fièvres et ses descendants héritèrent de ce don.
Sidi Youssef El Fassi, professeur, juriste et grammairien.
Abou Ya’qoûb Abou El Mahasin Sidi Youssef ben Mohamed ben Youssef El Fehri, de souche andalouse connu sous le nom de Sidi Youssef El Fassi naquit à Ksar El Kebir le jeudi 10 Rabi’ al-awwal de l’an 938.
Élève de Abou Hassan Sidi Ali El Arbi, il vint à Fès, y séjourna deux ans puis retourna enseigner la grammaire, le droit et les sciences dans sa ville natale. De nombreux disciples se pressaient pour l’entendre et ses connaissances étaient si parfaites qu’on le compara à l’iman Ghazali de grande renommée.
Au cours de ses voyages, il revint souvent à Fès et fut le principal animateur de la confrérie Chadiliya. Il méprisait la pauvreté et vécut toujours dans une large aisance.

Le mausolée des Sab’atou-Rijal
Le groupe de mausolées que l’on désigne communément sous le nom de « Sept hommes » ou mieux de « Sab’atou-Rijal » comprend plusieurs tombeaux accolés. Outre celui de Sid Youssef El Fassi dont nous venons de parler, il y a ceux de Sidi Ali ben Fqih, Sidi Abdallah El Fassi, Sidi Ahmed ben Abdallah Abou Saïd El Fassi et enfin celui des Sept Hommes.
On a peu de précisions sur l’identité de ceux-ci. Ce seraient sept ou dix combattants qui furent blessés mortellement à la bataille de l’Oued al-Makhazin, dite aussi bataille des Trois Rois* où fut vaincu et périt le 30 Jumada al-Awwal 936, Don Sébastien de Portugal.
Cet événement eut à l’époque un très grand retentissement et il est probable que l’on tint à honorer dans l’esprit qui fit ensevelir le Soldat Inconnu sous l’Arc de Triomphe, ces rescapés d’une guerre sainte qui se trainèrent jusqu’à Fès pour y mourir.
* La bataille des Trois Rois ou de l’oued al-Makhazin a mis fin au projet d’invasion du Maroc par le roi portugais Sébastien 1er. Elle opposa en août 1578 (J.C.) l’armée du sultan marocain nouvellement porté au pouvoir Abou Marwan Abdelmalek et l’armée portugaise du roi Sébastien 1er assisté de son allié le sultan marocain déchu Mihammad al-Mutawakkil. Les trois souverains périrent au cours de la bataille.

Conclusion
Au profond de cette terre que nous foulons reposent bien d’autres saints personnages. Il en est dont on pourrait encore chanter les louanges et de moins chanceux qui ont disparu de la mémoire des hommes parce que leur Qoubba un jour tomba en ruines et ne fut pas relevée, parce qu’aucun pieux biographe ne relata leur histoire.
Il peut paraître étonnant que la plupart de ceux que nous venons d’évoquer aient vécu aux XIème et XIIème siècle de l’Hégire. Mais cette période qui englobe les derniers règnes saâdiens et le début de la dynastie alaouite est l’une de celles où la foi islamique fleurit au Maroc avec le plus d’éclat. Les luttes contre le Portugais envahisseur et l’influence grandissante des confréries contribuèrent, dans une incroyable mesure, à plonger alors le pays et plus particulièrement Fès qui en était le cœur, dans une ferveur religieuse qui ne pouvait que susciter de nombreux mystiques.
C’est, supportés par la foule, que ceux-ci se manifestent. Ils ne pratiquent guère des vertus héroïques, ils ne sont point persécutés, leur renoncement n’est pas axé vers le sacrifice ou la charité telle que l’esprit chrétien la conçoit c’est à dire l’amour du prochain, mais vers l’ascèse, ils ne sont point tentés ni dévorés de scrupules, le doute ne saurait les effleurer et pour la plupart, ils sont prédestinés. Une prophétie, la prédilection d’un maître, l’héritage de quelque objet nanti de baraka les ont désignés pour éclairer les consciences, pour commander aux génies et dès ce monde, commencer avec l’au-delà.
Point n’est d’ailleurs nécessaire pour eux de se réfugier sur quelque Carmel, au désert. C’est parmi les hommes de leur pays, dans leur ville dont ils vivent la vie, protégés et matériellement assistés, soutenus par la prière collective de leurs contemporains, qu’ils atteignent les hauts sommets de la contemplation.
Depuis les temps reculés où les Akkadiens capturaient le dieu Mardouk sur l’étage élevé de leurs « ziggourat » pour le claustrer à leur dévotion en des chapelles basses, la plupart des religions semblent avoir placé la Providence à la portée du fidèle plutôt qu’élevé celui-ci vers l’Incréé. C’est l’Arche d’alliance et c’est le Saint des Saints, trône de la présence réelle parmi le peuple élu, ce sont les complaisances de Jupiter pour tant de mortelles, c’est l’Eucharistie qui emprisonne le divin au tréfonds du charnel, c’est dans un ordre moins métaphysique le « Gott mit uns » des Germains.
L’Islamisme parce que sans culte et peut-être, selon la thèse de Joseph Peyré, parce que surtout pratiqué dans les zones arides d’Afrique et d’Asie où l’aspiration vers l’infini, naturellement, règne, échappe à cette règle. Il conduit moins l’âme pieuse à la sanctification qu’à la sublimation, à la dilution dans l’ineffable. De son sein est sorti le soufisme, hymne à la divinité qui se propose d’identifier l’Homme avec Elle.
Les Sayyid (saints) qui gisent à nos pieds n’ont pas laborieusement travaillé à leur salut qui ne pouvait être compromis. Ils ont ignoré le sens même du mot « pénitence », jeûnes et aumônes étant, pour tous les Croyants, obligations inéluctables et le renoncement n’a été pour eux que préférence accordée aux biens spirituels. Dans la sérénité, ils ont œuvré avec une foi absolue se suffisant à elle-même, sans écarts sur la voie tracée par leurs devanciers pour atteindre, avant la désincarnation, aux jouissances célestes.
Leur mort n’a pas été une rupture mais un affranchissement. Et c’est pourquoi, sans doute, n’est pas répandue sur leur tombe, la tristesse des cimetières.

À propos du conférencier Maurice Neny
Quelques éléments biographiques donnés par sa fille Frédérique
Maurice Neny est né en France, à Commentry en 1901.
Après ses études, il travaille comme comptable-interprète, spécialisé dans les affaires, dans les pays de langues espagnole et anglaise pour les automobiles Berliet. Il s’engage dans la Marine nationale de 1921 à 1924, et servira comme quartier-maître fourrier à bord de l’aviso Verdun. Réserviste de la Marine il sera mobilisé de 1939 à 1944 à Marine-Casa.
Il arrive au Maroc en 1924, à Mogador puis à partir de 1930 il s’installe à Fès qu’il quittera en 1965 pour retourner en France.
Son activité professionnelle se déroule pour l’essentiel (1937-1958) au service de la famille Sebti, dont il est en quelque sorte le fondé de pouvoir : il organise et développe l’huilerie, l’exploitation agricole du domaine de Boughiol, la briqueterie, les ateliers de broderies mécaniques et de menuiserie, les activités forestières avec la scierie de l’Aguelman de Sidi Ali et l’entreprise de travaux publics.
En janvier 1958, un courrier de M. Hadj Omar Sebti, Commissaire général du Maroc près l’Exposition universelle de Bruxelles et qui a fait édifier le pavillon du Maroc, lui demande de bien vouloir se mettre à la disposition du Commissariat de la participation marocaine qui désire lui confier une mission à cette occasion. M. Neny sera chargé de coordonner tous les travaux de finition et de décoration du Pavillon du Maroc en vue de leur achèvement dans les délais les plus rapides ; il veillera aussi à la réception et à la bonne conservation de tous les objets d’art et d’artisanat qui seront présentés durant l’exposition. Son dévouement et la qualité des résultats obtenus dans sa mission à Bruxelles lui vaudront d’être décoré du Wissam Alaouite, ordre honorifique marocain créé en 1913
À son retour à Fès, à l’été 1958, Maurice Neny est nommé directeur de la Société des Tuiles, Briques et Céramiques de Fès, poste qu’il occupe jusqu’à son retour en France.
Personnalité attachante, cultivée, aimant le contact, il parle parfaitement arabe et pour lui la meilleure façon de comprendre le pays où l’on vit est d’en apprendre la langue et d’en connaître l’histoire et la culture.
Membre assidu des « Amis de Fès » dont il fut un des secrétaires adjoints, il est à l’origine, à la fin des années 1940, de la proposition de diffuser à tous les adhérents les textes des conférences. Il contribue régulièrement à faire connaître Fès, son histoire et la culture arabo-musulmane par ses conférences régulières aux « Amis de Fès ». On peut citer : La rive des Andalous avec Mohamed Berdellah ; Pèlerinage au berceau de Fès ; Quartier de Mokhfia ; Des Bédouins aux Andalous, aux Mamelouks et aux Chorfas marocains ; L’évolution de la pensée religieuse chez les méditerranéens ; Genséric, roi des Vandales ; L’olivier, l’olive et l’huile d’olive ; Le bijou marocain ; Byzance la fascinante.
Il était à l’occasion chroniqueur apprécié pour ses contes et ses nouvelles, dans le « Courrier du Maroc », quotidien de Fès et de sa région.
