Image à la une : La médina de Fès. Cliché du 11 janvier 1926 à 200 m. Pilote Sgt Pouillié. Observateur Adj Delaby.

Les médecins de « L’ équipe des Cherarda » décident de rendre hommage au Docteur Léon Cristiani, fondateur de l’Hôpital Cocard, décédé à Fès le 29 janvier 1956, en lui dédiant le numéro d’octobre 1956 de la revue « Le Maroc Médical. »

À cette occasion, la rédaction de la revue demande au Docteur Edmond Secret « qui a longtemps habité Fès de rédiger une présentation succincte de la Médina de Moulay Idriss qui fut le cadre de vie du Dr Cristiani pendant un demi-siècle ». En octobre 1956, le Dr Secret, fondateur de la Société médicale des Cherarda – en référence au nom de la Casba des Cherarda où est installé l’Hôpital Cocard – membre du comité de rédaction du Maroc Médical et ancien médecin-chef de l’Hôpital Cocard a quitté Fès depuis quelques mois.

Il intitule son article Fès, ville sainte.

(J’ai ajouté les photos au texte du Dr Secret)

Écrire sur Fès, c’est accomplir un pèlerinage à travers le passé mystique de cette Ville Sainte, haut lieu où souffle l’esprit de l’Islam.

Au temps où le Calife Haroun Al Rachid régnait sur Bagdad et l’Empereur Charlemagne à Aix-la-Chapelle, alors capitale de l’Occident, en l’an 193 de l’Hégire, année 809 de l’ère chrétienne, un descendant du Prophète, adolescent de 16 ans, le prince Moulay Idriss II fondait la ville de Fès.

La date traditionnelle de cette naissance est chez les Fassi l’objet d’un culte à ne pas discuter. Cependant des textes andalous et des monnaies arabes,  frappées à Fès en 801, indiquent une précédente existence urbaine, comme le soutiennent Massignon et Lévi-Provençal. Cette cité primitive était peuplée par des Berbères, partagés en Juifs et Chrétiens, Kharedjites et pyrolatres, sectateurs de Zoroastre. L’œuvre d’Idriss sera une œuvre religieuse et politique d’unification de Fès et des tribus.

Selon la légende, Fès doit son nom à la pioche d’or « fes » qui servit à Moulay Idriss pour tracer l’enceinte de sa capitale. Pour les berbérisants, l’étymologie de Fès (qui peut se prononcer « Fas ») dérive du vocable berbère « nfas » le déversoir des eaux. Dans ce pays où beaucoup de lieux portent des noms d’origine berbère, la vallée de Fès mérite bien cette épithète avec les nombreuses sources qui ruissellent sur les pentes et son oued pérenne issu d’une émergence vauclusienne située à 10 kilomètres à l’ouest, « Ras el Ma ». Cette tête de l’eau est protégée par une casba et les tombeaux jumelés d’un saint et d’une sainte, qui peut-être furent à l’époque libyque les divinités de la source, maintenant islamisées.

La Médina de Moulay Idriss a d’abord été constituée par deux quartiers disposés de chaque côté de l’Oued Fès : Adouat-el-Andalous sur la rive droite, Adouat-el-Karaouiyine sur la rive gauche. L’un et l’autre de ces quartiers formaient une ville bien distincte avec ses propres remparts qui abritaient mosquées, thermes, souks et maisons particulières. C’est seulement vers 1069 que le souverain almoravide Youssef Ben Tachfine réunira les deux villes en abattant les murailles qui les séparaient.

L’Adouat-el-Andalous reçut son appellation des huit cents familles chassées en 818 de Cordoue, l’antique Secunda, à la suite d’une révolte contre l’émir omeyade El Hakam ben Hicham. L’Adouat-el-Karaouiyine a été ainsi dénommé à cause des deux cents familles arabes réfugiées de Kairouan en 825 après une émeute. Réminiscence de ces deux villes autrefois différentes, une certaine rivalité subsiste encore aujourd’hui d’un quartier à l’autre, ainsi qu’en témoignent parmi d’autres faits les jeux de « petite guerre » pratiqués entre les enfants de chaque rive.

Les deux villes primitives. Plan de 1904 réalisé par Henri Gaillard pour son livre Une ville de l’Islam : Fès, publié en 1905 par J. André, éditeur. Paris

Fès connut d’abord une période de campement, sinon de bidonville. À la Zaouïa de Moulay Idriss, l’emplacement de la tente royale est toujours occupé par une demeure chérifienne qui conserve ce souvenir dans son nom : Dar Guitoun. Le problème du logement fut enfin résolu et chaque habitant eut sa maison. Alors le jeune prêtre-roi Moulay Idriss prononça une prière restée chère au cœur des Fassi :

« Ô mon Dieu, vous savez certes qu’en bâtissant cette ville, je n’ai point été poussé par la gloire, l’orgueil, le désir de la renommée, la vanité, mais que j’ai seulement voulu que vous y soyez adoré, que votre livre y soit récité, que les règles fixées par vous y subsistent, ainsi que la loi de votre religion et de votre Prophète, qu’Allah lui accorde ses grâces et lui donne le salut, tant que durera le monde. Ô mon Dieu, secondez les habitants de cette ville vers le bien, aidez-les à l’accomplir. Soyez leur secours contre leurs ennemis, gratifiez-les de biens, écartez d’eux les troubles et les dissensions, ô vous qui êtes puissant en toutes choses. »

La vie de Fès gravite autour de sa mosquée cathédrale, où repose Moulay Idriss et ses descendants. Cette année, une escorte pieuse de 30 000 Fassi accompagna jusqu’à la nécropole idrisside le corps du jeune médecin martyr Si Omar Drissi dont la lignée remonte au Saint fondateur de la cité. Le mot de Claudel : « Paris est une grande rue qui descend vers Notre-Dame » s’applique à Fès : toutes les ruelles de la Médina convergent vers Moulay Idriss pour y conduire la foule des pèlerins. Inversement, mais dans le même esprit, comme le remarque Massignon, Léon l’Africain, au début du XVI ème siècle décrit les quartiers de Fès en rayonnant à partir de son cœur mystique, le mausolée de Moulay Idriss. Plus tard, à la fin du XIX ème siècle, Mohammed Ben Jaffar el Kittani écrit son répertoire des Saints de Fès, le Salouat-el-Anfas, en suivant un procédé semblable de progression circulaire autour du sanctuaire idrisside pour atteindre finalement la périphérie. Au pourtour de Fès, quand les caravanes débouchent des cols, les cavaliers dès qu’ils aperçoivent la Médina de Moulay Idriss, se dressent sur leurs étriers et lèvent la main au front en s’écriant : L’Atfa ou Lirhara, A Sidi Ben Sidi Moulay Idriss – Ta bienveillance et ta bonté sur nous, ô Monseigneur fils de Monseigneur Moulay Idriss –

À la fin de chaque été, la Médina fête le Moussem de Moulay Idriss. Pendant un mois, les corporations se succèdent sur le chemin du sanctuaire, lentes progressions avançant au chant des hymnes, entrecoupées par des haltes de danses au son des flûtes et des tambourins. En tête de chaque cortège un taureau, mufle et cornes teints, piétine dans l’attente du sacrifice propitiatoire.

Autour du sanctuaire, un périmètre bénéficie du droit d’asile, c’est le Horm. Malfaiteurs, déserteurs et aussi fugitifs, politiques y trouvent sûr refuge sous la protection du Saint. Malheur aux autorités qui, sous prétexte policier, enfreindraient l’hospitalité sacrée pour procéder à quelque extradition. Récemment un réfugié fractura le tronc aux offrandes. Réuni aussitôt, le conseil des Chorfa confirma que le droit d’asile devait toujours être observé, même à l’égard de celui qui ne l’avait pas respecté. Le voleur ne fut pas inquiété et continua de séjourner dans le Horm.

Moulay Idriss, le minaret et vue sur la Médina. Photo Gurtner

Comme l’avait prophétisé son fondateur, la cité est restée sainte et ses habitants croyants. La plupart font leur cinq prières par jour. Drapés dans le selham aux plis pudiques, les bourgeois, le tapis de prière sous le bras, évoquent des moines pleins de dignité. La Médina avec toutes ses mosquées, zaouïas et sanctuaires, ressemble à un très vaste monastère, un immense Mont Saint-Michel.

Un sultan avait détruit les murs de Fès en s’écriant : « Nos remparts à nous sont nos épées ». Les meilleurs remparts de la Médina ne sont ni les murailles de pierre, ni les armes des soldats, mais la garde spirituelle des innombrables saints dont les koubba ceignent la ville d’une blanche couronne. À juste titre, les Fassi sont fiers de leur ville et de ses traditions. Des rites de civilité exquise commandent leurs mœurs très policées. Dans les actes de la vie quotidienne, ils invoquent Dieu et son Prophète. Le commerçant en ouvrant sa boutique, l’artisan en commençant son travail, le portefaix en soulevant un fardeau, tous prononcent la formule :

Ya fettah ! Ya Rezzak ! Par celui qui ouvre ! (Dieu) Par le dispensateur ! (Dieu).

Le dévot qui entre dans un sanctuaire, même s’il ne voit personne, doit prononcer la salutation « essalam ou alikoum » – le salut soit sur vous – car toujours des anges sont présents dans les lieux sacrés.

Le grand mois religieux est le Ramadan, carême strict où tous observent le jeûne et l’abstinence du lever au coucher du soleil. Parmi les admirables nuits de Fès, la 27 ème nuit de Ramadan est si belle que les anges demandent à Dieu de descendre du Ciel pour la passer sur la Terre. Chaque nuit de l’année, aux heures qui précédent l’aube, heures si longues pour ceux qui souffrent, une compagnie de muezzins se succèdent sur le minaret des Andalous et chantent des prières pour tous, ceux qui veillent et ceux qui dorment. Cette œuvre de charité nocturne porte le nom de « moanis al meurda » – les compagnons des malades -.

Prière à la Karaouiyine. D’après plaque de verre de 1920

Une des premières médersa de Fès était située dans la Casba de Ras-el-Kliaa actuellement cimetière de Bab-el-Hamra. Il en subsiste des murs imposants qui sont à classer parmi les plus anciennes ruines de Fès. Le peuple les appelle « Roda de Sidi Bou Mediane » et les hagiographes « Mosquée des Martyrs » ou encore « Médersa des Almoravides ». Construite par le souverain Youssef Ben Tachfine vers 1069 cette médersa était réservée à l’instruction des princes et des fils des grands personnages almoravides, l’enseignement était donné en berbère, à l’indignation des tenants de l’orthodoxie.

L’érudit Si Mohammed Berdallah, à qui nous nous référons, déclare, selon un ancien auteur anonyme, que la Médersa Morhabitine fonctionna pendant tout le règne des Almoravides. « À la chute de cette dynastie, lors de l’occupation de Fès par les troupes almohades en 540 (1145 J.-C.), les élèves de la Médersa refusèrent de se rendre aux nouveaux maîtres, se retranchèrent dans leur établissement en s’y défendant avec courage. La Médersa fut alors soumise à un véritable siège qui dura plusieurs semaines. Finalement l’établissement fut pris d’assaut et les assiégés furent tous passés au fil de l’épée. C’est en souvenir de cette scène atroce que la Médersa fut nommée « Mosquée des Martyrs ».

Si Fès est restée une grande capitale religieuse, elle n’a cessé d’être au cours des âges une capitale intellectuelle avec de fins lettrés et de doctes savants. À Karaouiyine, l’antique université, affluent des milliers d’étudiants venus de toutes les provinces du Moghreb, depuis la rive méditerranéenne jusqu’aux confins sahariens : Rif, Djebel, Gharb, Doukkala, Chaouia, Tafilalet, etc. Tous  ces étudiants ou tolba, logent dans les médersas, établissements qui tiennent à la fois de la mosquée et de l’hôtellerie. Les tolba vivent ascétiquement à deux ou trois par chambre, partageant leur temps entre les études et la prière. Leurs locaux, exigus et nus comme des cellules monastiques, aux murs blanchis à la chaux, contrastent avec la splendeur du décor environnant. À  ces époques de foi, où tout était pour Dieu, et le minimum pour les hommes, l’architecte a déployé tout son art pour la salle de prière et son accès, le patio, que centre la vasque aux ablutions.

Les Médersas édifiées aux XIII ème et XIV ème siècles, sous la dynastie mérinide, comptent parmi les plus beaux monuments de Fès. Nous citerons seulement la Médersa Attarine, pur joyau ciselé, et la Médersa Bou Anania, aux proportions majestueuses, reflet de l’esprit de grandeur de son fondateur, le Sultan Abou Inane, qui régna de Marrakech à Tunis. Un jour, au hasard d’une consultation dans le Palais de Fès, nous avons découvert dans l’aile mérinide un pavillon ancien, dont l’architecture est l’émouvante réplique de la Médersa Attarine, même plan, mêmes dimensions. Mais aucun décor ne l’enjolive comme si le Sultan n’avait pas voulu rivaliser avec la maison de Dieu et des tolba qui apprennent sa loi. C’est une tradition marocaine restée vivante que rien n’est assez beau pour les édifices d’enseignement. Les savants sont vénérés autant que les saints. La passion d’instruction qui anime la jeunesse actuelle obéit à une longue tradition. Il est juste que Fès soit la ville du Moghreb où l’on parle le mieux l’arabe littéraire.

Il semble que dans la pensée des souverains mérinides les médersas étaient des pépinières de fquihs et de hauts fonctionnaires dévoués au régime. Ainsi était contrebalancée l’influence des confréries toujours trop indépendantes, sinon turbulentes à l’égard du pouvoir central.

Médersa Attarine (médersa des épiciers). Atrium et vasque centrale. Cl. 1929

Médersa Attarine. Cliché de 1914. Avant rénovation !

La médecine ne fut pas oubliée. C’est du XIII ème siècle que date le Maristan, fondation pieuse toujours gérée par les Habous de Sidi Frej. Un abondant personnel était affecté au soin des malades, qui plus tard firent place aux aliénés. Léon l’Africain, qui y fut employé, donne un nombreux effectif. Parmi les traitements utilisés à l’égard des fous figurait la musique. La guérison était vérifiée par un test efficace : l’interné était amené à l’oratoire voisin et s’il accomplissait correctement les prosternements de la prière, il était libéré.

Au milieu du XIV ème siècle, Fès vécut une heure privilégiée de son histoire. L’émir des croyants Abou Inane avait réuni à sa cour les plus grands esprits de son temps : le philosophe historien Ibn Khaldoun, le voyageur géographe Ibn Batouta, le poète médecin Ibn Khatib, vizir exilé de Grenade. Acmé de cette brillante civilisation hispano-maghrébine qui choisit Fès pour jeter son dernier éclat !

La cité de Moulay Idris a toujours été une capitale industrielle et commerciale. Au XII ème siècle, la ville occupait déjà la superficie de la Médina actuelle, Fès-el-Bali, avec 125 000 habitants. Sous le règne d’El Mansour l’Almohade, l’auteur du Roudh el Cartas dénombrait : 285 mosquées ou chapelles, 42 chambres d’ablution, 80 fontaines, 93 hamman, 472 moulins hydrauliques, 89 236 maisons, 17 041 mesriya (petites maisons genre garçonnières), 467 hôtelleries, 9 082 boutiques, 2 kissaria (grands bazars ) un sur chaque rive.

Ensuite, il comptait : 2 ateliers pour la frappe de la monnaie, 309 ateliers de tisserands, 47 fabriques de savon, 86 ateliers de tanneurs, 116 ateliers de teinturerie, 11 verreries, 135 fours à chaux, 1 170 fours à pain, 180 ateliers de céramique, 400 fabriques d’un papier exporté en Espagne et jusque dans la Chrétienté. Depuis cette époque, l’activité de Fès n’a fait que croître et les corporations d’artisans sont restées prospères, jusqu’à la fatale concurrence de notre civilisation industrielle.

Malgré son étendue, la vieille Médina était devenue trop petite et étouffait dans le corset de pierres de ses remparts. Au XIII ème siècle, l’émir mérinide Abou Youssef Yacoub Ben Abdelhak fonda Médina el Beïda, la Ville Blanche, qui fut appelé par la suite Fès-Jdid, Fès Nouvelle. Le jour de la fondation, le 3 chaoual 674 (1276 J.-C.) fut minutieusement choisi par les astronomes sur la conjonction favorable des étoiles. La nouvelle ville comprenait :

1- La cité proprement dite.

2- Le Dar el Maghzen ou Palais du Sultan et du Gouvernement.

3- Un faubourg pour le logement de la Garde chrétienne.

4- Une casba pour les Archers syriens, laquelle devint vers 1310-1325, le quartier des Juifs, le Mellah actuel.

Fès-Jdid et le Mellah. Cliché du 11 janvier 1926 à 100 m. Pilote Sgt Pouillié. Observateur Adj Delaby.

Sur le Djebel Kolla, colline d’où la vue embrasse la Médina offerte toute entière dans sa conque, les rois mérinides édifièrent une nécropole dont les imposantes ruines témoignent de l’ancienne splendeur.

Le souvenir des Mérinides reste vivant au cœur des Fassi qui souvent répètent : « Tu peux déclarer sur la foi du serment qu’après les Mérinides et les Béni Ouatas, il n’y a plus d’hommes qui en vaillent la peine. »

Les Béni Ouatas sont le dernier rameau du royal tronc Mérinide, rameau qui brisa le rude assaut des Saadiens venus du sud au XIV ème siècle. Cependant, Fès, ville de la fidélité, se défendit vaillamment contre le Chérif de l’Oued Draa, Mohammed Ech Cheikh. L’âme de la résistance fut un alem de Karaouiyine, le savant El Wancharisi qui, plutôt que de céder, préféra être tué dans la Karaouiyine à son poste de professeur (en 1547).

Jamais Fès ne se donna vraiment aux Saadiens qui résidèrent surtout à Marrakech. Au bout d’un siècle, ils furent renversés par une autre dynastie chérifienne originaire du Tafilalet, les Alaouites qui occupent toujours le trône marocain. Moulay Rechid Ech Chérif le conquérant régna de 1664 à 1672. Pour loger les tribus guich qui l’aidèrent à maintenir la paix, il construisit la casba du Khémis, dite aussi la casba des Cherarda, qui abrite maintenant l’Hôpital Cocard. À cette fin il fit raser un cimetière mérinide, qui lui-même avait pris la place de Silos almohades. On lui doit aussi un solide pont sur le Sebou et la Médersa Cherratine, la plus spacieuse des médersa de Fès avec 130 chambres. En cette médersa, souvent appelée Médersa Rechidia, en souvenir de son bienfaiteur, la traditionnelle fête des étudiants débute chaque printemps par l’élection d’un éphémère Sultan des Tolba, dont le premier geste est de se rendre au tombeau de Moulay Rechid.

Le premier roi alaouite mourut à cheval – belle mort si l’on se reporte à la réflexion de son lointain petit-fils Moulay Hassan à un ambassadeur français : « Le véritable trône est le cheval ».

Porte orientale de la Casba des Cherarda et entrée de l’Hôpital Cocard. Cliché de 1929

Au cimetière de Bab Ftouh, sous la koubba de Sidi Harazem, une simple stèle marque la tombe de Moulay Rechid. C’est là qu’il voulait être inhumé, à côté du tombeau de son ancien adversaire devenu son ami, le Cadi Ben Souda, qui avait mené la lutte contre lui lors de l’investissement de Fès par sa harka. Le mausolée est caractéristique de l’ordre de grandeur pour les Croyants. Le savant professeur, mort en odeur de sainteté, Sidi Harazem, repose sous un imposant tombeau, le juriste Ben Souda a une tombe de moyenne importance, tandis que le grand Sultan Moulay Rechid dort son dernier sommeil sous une humble tombe.

Son frère prit les rênes du pouvoir, c’est le fameux Moulay Ismaïl qui transporta la capitale à Meknès pour en faire un « Versailles marocain ».

Les autres successeurs de Moulay Rechid ont construit de nombreuses mosquées en Médina et surtout à Fès-Jdid. À la fin du XIX ème siècle, Moulay Hassan entreprit la construction de l’arsenal de la Makina et des deux magnifiques palais Dar Beïda et Dar Batha.

Sous le règne actuel de S.M. Sidi Mohammed V, des quartiers neufs ont surgi autour de la Médina : Bou Hajara, Rmila, Bab Ftouh, Sidi Boujida, Salaj, Douh, ainsi que la Ville Nouvelle à l’urbanisme européen. Les derniers nés sont la Casba Ben Debbab et Aïn Kadous. Par le très vif intérêt que Sa Majesté Chérifienne porte à l’instruction de ses sujets, écoles et médersa modernes surgissent de partout. La prestigieuse université Karaouiyine est dotée d’une nouvelle et vaste bibliothèque, tandis que son enseignement traditionnel est réadapté selon une harmonieuse réforme.

Les filles qui, autrefois ne fréquentaient guère les écoles, y affluent en rang serrés. À l’exemple des garçons, elles rejettent le costume traditionnel, symbole d’un passé révolu. L’irrésistible montée du féminisme au pays des lithams et des harems est un grand signe des temps nouveaux.

Ici comme dans d’autres domaines, il ne s’agit pas d’une simple évolution, ni même d’une révolution à la manière occidentale. Ce n’est pas non plus une révolution orientale telle que la définissait Ibn Khaldoun : « Une révolution est la migration d’une tribu dans les gras pâturages du pouvoir. »

Le génial auteur des Prolégomènes et de l’histoire des Berbères, en parlant ainsi au milieu du XIV ème siècle, avait l’exemple successif des dynasties qui depuis 400 ans s’étaient bousculées sur les marches du trône de Moulay Idriss : les Zénètes Meknassa et Maghraoua issus de l’Est, les Almoravides voilés venus à travers le désert depuis l’Adrar mauritanien, les Almohades montagnards puritains descendus du Haut-Atlas, les Béni Mérin accourus à dos de chameau par les steppes du Maroc oriental.

Aujourd’hui nous assistons à un tout autre mouvement. Après des siècles de vie médiévale contemplative, les forces vives de la foi explosent et se transfèrent en mystiques politiques.

Les biologistes, devant la soudaine apparition d’une espèce nouvelle, ont consacré le terme de mutation brusque. Devant l’effervescence de Fès et du monde marocain, nous sommes en présence d’une mutation brusque en train de créer une nation moderne qui cherche son équilibre dans la conciliation de la tradition religieuse avec l’esprit novateur.

Pose de la première pierre de l’internat du Collège Moulay Idriss en présence de S.M. le Sultan Mohammed Ben Youssef, du général Nogues, du prince Moulay Hassan et des membres du Maghzen. Mai 1940