Image à la une : Cour et entrée de la salle de prière de la médersa Sahrij ( médersa du Bassin). Cliché de 1929. (Résidence générale)

Les médersas sont des collèges fondés dans une intention à la fois pieuse et charitable. Elles sont destinées à accueillir des étudiants – tolba – sans fortune et qui sont étrangers à la ville où ils sont venus s’instruire. Ces médersas ne furent d’ailleurs que de simples pensions/internats où les tolba trouvèrent à se loger et à se nourrir même si à l’origine des professeurs furent en effet affectés à chacune d’entre elles ; mais cet enseignement donné à la medersa même ne semble pas avoir duré très longtemps.

Dans cette « cité universitaire », chacun d’eux bénéficiait pendant toute la durée de ses études – qui s’étendaient d’ordinaire sur plusieurs années—d’une chambre, et à l’origine, d’une pension prélevée sur les revenus des biens habous de la médersa. Mais au cours des siècles, la plupart des biens habous affectés à l’entretien de l’établissement ayant été détournés de leur destination première, la pension en espèces fut remplacée par des secours en nature, qui consistaient à peu près uniquement dans la fourniture quotidienne d’un pain ou d’une galette par étudiant. Une fente ménagée dans le haut de la porte permettait de glisser à l’occupant cette ronde kesra. Cependant lors de certaines fêtes, le sultan faisait faire des distributions de pain, de fruits et de viande. Traditionnellement les habitants les plus riches de la vile aidaient également les étudiants à subsister.

Si le cadre est prestigieux, le confort est restreint. Dans sa petite chambre, véritable cellule monastique, pourvue d’une simple natte pour dormir, d’une couverture, d’une petite table, l’étudiant doit coucher, s’éclairer, préparer et prendre ses repas, étudier. Souvent, il doit la partager avec un autre. Ces médersas ne comportent ni cuisine, ni réfectoire, ni lavoir, ni douches, ni salle d’étude ; le seul local commun est une salle d’ablutions avec latrines, laquelle n’existe qu’au rez-de-chaussée, même quand l’immeuble a plusieurs étages. On est loin des règles élémentaires de l’hygiène admises de nos jours !

Taleb à la Bu’Inâniya

Toutes ces médersas étaient soumises à un même régime. Chacune était administrée par un préposé ou moqaddem, choisi par les tolba, et qui n’est pas nécessairement taleb lui-même ; il peut l’être si cela lui fait plaisir, mais ce n’est pas une condition requise pour sa nomination. En général il est même préférable qu’il ne le soit pas car s’il devait suivre les cours comme tous les tolba, il n’aurait plus le temps de s’occuper comme il convient des charges de sa fonction. La seule condition nécessaire à sa nomination est qu’il soit célibataire. Le moqaddem ne peut être en effet un homme marié, puisque l’entrée des médersas est interdite aux femmes.
La nomination, comme la destitution du moqaddem dépend uniquement du choix des tolba ; ils se réunissent pour le nommer ou le renvoyer, selon leur volonté. Quand il est malade, c’est le meilleur taleb qui le remplace. Le moqaddem des tolba est en quelque sorte et tout à la fois le portier, le domestique et l’intendant de la médersa. Il est payé par les habous el-medersya et il se fait, en outre de petits bénéfices sur le pain et sur l’huile.
Il est logé dans la médersa et sa chambre se trouve près de la porte d’entrée. Il connaît le nombre des tolba et leur répartition dans les différentes chambres. C’est lui qui est chargé de balayer la médersa, qui allume les lampes et va chercher le pain. Il reçoit aussi les offrandes faites par des bienfaiteurs à la médersa, soit en argent, soit en nature, offrandes sur lesquelles il prélève d’ailleurs sa part.
Il ne fait pas les chambres, mais il doit nettoyer les lieux d’ablution et les latrines. Enfin, c’est lui qui fait l’appel, pour les tolba, pour les cinq prières de la journée, du haut de la terrasse de la médersa. La prière est dite dans la qoubba de la médersa par un imam, qui est soit un taleb, soit quelquefois un véritable imam payé par les habous.

L’institution des médersas n’est pas particulière au Maroc, puisqu’il y en eut bien avant en Syrie et en Égypte et que l’orientaliste suisse Max Van Berchem, spécialiste de l’épigraphie arabe et de l’archéologie musulmane, a pu retracer son origine lointaine jusqu’en Perse. Au Maroc, elle n’est pas davantage le monopole de la dynastie mérinide : avant eux, l’Almohade Ya’qûb al-Mansûr en créa dans toutes les parties de son vaste empire, aussi bien au Maghreb qu’en Afrique et en Espagne. Après les Mérinides, d’autres souverains édifieront des médersas, notamment Moulay ar-Rashid, fondateur de la dynastie alaouite. Toutefois, dans ce cortège de fondations pieuses, les médersas mérinides occupent une place à part, car ces créations mérinides sont de loin les plus nombreuses, les mieux conservées et incomparablement les plus belles. Fès, en particulier, a avec ses sept médersas mérinides les plus beaux joyaux de son patrimoine architectural.

Avant de retracer l’historique de ces médersas de Fès, à peu près toutes construites dans la première moitié du XIVème siècle, examinons les caractères communs aux médersas.

Médersa Sahrij : Entrée, cour et bassin en 1915

I – Les médersas en général

L’architecture de la médersa répond à deux exigences :

  • le logement des étudiants.
  • en même temps un local pour l’enseignement (lorsqu’il existait) et la prière en commun.

Par suite, le plan général de toute médersa est relativement simple et se répartit en trois parties :

– une cour centrale formant patio, agrémentée d’une vasque ou d’un bassin, parfois des deux (comme à Sahrij) ; ce bassin sert aux ablutions rituelles.
– une salle de prière, située sur le côté de la cour qui indique le mieux le sud-est ; cette salle est pourvue d’un mihrab orienté vers la Mecque. (Le mihrab est une niche devant laquelle se place l’imam pour réciter la prière). Très souvent la salle de prière est directement en face de l’entrée (Sahrij, Attarine, Seffarine, Misbâhiya, Bû’Inâniya) et elle est en général fort peu éclairée, quelques fenêtres de petites dimensions suffisent à donner la lumière nécessaire.
– tout autour sont réparties les chambres pour les étudiants. Les bâtiments d’habitation comprennent généralement deux étages, qui sont divisés en cellules, desservies par de longs couloirs. Ces cellules prennent le jour, tantôt sur la cour centrale, tantôt sur des courettes intérieures, et le plus rarement possible, sur la rue.

Ouverture d’une chambre de tolba. Vue depuis la cour centrale de la médersa Bû’Inâniya. Vers 1920, Cliché anonyme

D’une médersa à l’autre l’importance de ces éléments peut varier :

  • La partie réservée aux étudiants a tantôt un simple rez-de-chaussée (comme à Fès-Jdid), tantôt s’augmente d’un étage (comme à Sahrij), ou de deux (Misbâhiya), ou d’importantes annexes : à Sahrij en plus des logements, on trouve une médersa annexe, Sba’iyin, et une maison d’hôtes, le Dar Habi Habasa, qui était destiné, paraît-il, aux parents des étudiants.
  • Comme édifice religieux, la médersa se réduit le plus souvent à un simple oratoire avec son mihrab, mais elle est parfois pourvue d’un minaret (comme à Fès-Jdid et à la Bû’Inâniya) ; certaines, par l’importance de leur construction et aussi par l’attribution d’un minbar (chaire à prêcher) pour le prône du vendredi, prennent, comme la Bû’Inâniya, rang parmi les mosquées-cathédrales.
  • Pour ce qui est du local destiné à l’enseignement, toutes les médersas marocaines se différencient des médersas orientales d’Égypte et de Syrie en ce sens qu’elles ne prévoient que l’enseignement d’un seul des quatre rites orthodoxes de l’Islam. Ceci explique que l’enseignement se fasse dans la salle de prière qui suffit à l’enseignement de la seule jurisprudence malékite. Seul le plan de la Bû’Inâniya pourrait répondre, comme dans les médersas d’Égypte, à l’enseignement simultané des quatre rites, mais cette imitation des dispositions du plan égyptien répond moins dans la Bû’Inâniya aux nécessités du programme qu’au désir de faire grand et majestueux : à ce titre, la Bû’Inâniya répond à l’ambition de son créateur qui osa se parer du titre prestigieux d’Amir al-Mu’minin. (Amir al-Mu’minin : Commandeur des Croyants).

La Bû’Inâniya mise à part, le plan de toutes les autres médersas mérinides est invariable : un patio ouvrant sur une salle de prière, avec des logements autour. Vraisemblablement, ce plan est d’importation orientale, car, écrit Georges Marçais (Manuel d’Art musulman. 2 vol. Paris. Picard 1926), « dans le fait signalé par Alfred Bel que la première médersa mérinide fut construite sous la surveillance et apparemment sur les indications d’un cadi de Fès ayant fait ses études en Orient, il est permis de voir autre chose qu’une pure coïncidence. Toutefois, ajoute G. Marçais, la Berbérie pouvait d’autant mieux adopter ces éléments orientaux qu’ils ne lui étaient pas complètement étrangers. Plusieurs types d’édifices anciennement connus dans le pays semblaient préparer l’élaboration de la médersa. Le premier est le ribat. Le ribat de Sousse, le mieux conservé, comporte en effet une cour rectangulaire entourée de galeries, sur lesquelles donnent deux étages de cellules, ces cellules étant remplacées à l’est par une salle de prière peu profonde. Au reste, le thème de la cour centrale, des galeries et des chambres n’était-il pas plus familier aux constructeurs de l’Afrique du Nord et de l’Espagne ? C’était celui du fondouk, le caravansérail d’Occident. C’était dans une certaine mesure celui de la maison. La médersa, logis des étudiants, semble avoir notamment emprunté à la maison privée cette entrée coudée qui isole la vie studieuse des hôtes de Seffarine, de Sba’iyin, de l’Attarine et de la Misbâhiya, du tumulte de la rue ».

Intérieur de la médersa Cherratin, avec à l’étage les chambres des tolbas Cliché 1914/15

II – Les médersas mérinides

Parmi les onze médersas qui subsistent encore au Maroc, Fès en possède sept à elle seule.

Toutes ces médersas furent construites dans la première moitié du XIVème siècle, à l’exception de la médersa Seffârine (École des chaudronniers, car cette médersa est située au milieu des boutiques des fabricants de chaudrons) qui date de la fin du XIIIème siècle. On ne peut donner de date plus précise pour cette médersa Seffârine : tout ce que l’on peut dire c’est qu’elle fut fondée par le premier sultan mérinide Abû Yûsuf Ya’qûb et antérieurement à 1285, car c’est dans cette médersa que furent déposées les 13 charges de livres du roi Sancho après la rencontre entre les deux souverains qui eut lieu le 21 octobre 1285. (La médersa Seffârine fut donc la première bibliothèque connue de Fès. C’est le Sultan Abû Inân qui vers 1350 – 750 de l’Hégire – créa la bibliothèque de l’Université Qarawiyyin). Un seul auteur, celui du Zahrat el As donne la date de 1271. Quoiqu’il en soit la médersa Seffârine est la première en date des mosquées mérinides.

À la fin du XIIIème siècle il y en eut une autre fondée vraisemblablement par le fils d’Abû Ya’qûb. M. Bel croit avoir retrouvé des fragments de revêtement de plâtre sculpté d’un fort beau travail appartenant à la médersa Lebaddin (École des feutriers, de lebda le feutre) qui se trouvait près de l’actuelle médersa Cherratin (École des cordiers). Cette médersa Lebaddin était sans doute aussi une construction mérinide, mais aujourd’hui il n’en reste plus trace. Selon Roger Le Tourneau, renseigné par son ami Si Abdelwahab Lahlou, cette médersa était située à l’emplacement de l’immeuble de la Banque d’État du Maroc à Fès-Médina (1921), qui après avoir été une succursale de la Sûreté nationale, a été rénové … et fermé, en attendant de devenir un jour le Musée de la Monnaie de Fès.

C’est Moulay ar-Rashid, fondateur de la dynastie alaouite, qui a fait démolir, vers 1670, cette médersa dans des circonstances particulières :
On avait dit à Moulay ar-Rashid que les tolba faisaient venir des femmes et se livraient à la débauche dans cette médersa. Il voulut s’en rendre compte par lui-même et ayant revêtu un costume de mendiant, il s’introduisit dans la médersa à la tombée de la nuit, un mercredi soir, jour de repos des tolba.Il s’installa dans un coin et se mit à dormir. Au cours de la soirée les tolba firent venir des filles et des garçons et se mirent à boire et à danser.. Tout en s’amusant, l’idée leur vint de faire danser aussi le mendiant et ils l’obligèrent à danser malgré lui. Le lendemain, rentré dans son palais, furieux, et très ennuyé de cette aventure Moulay ar-Rashid, décida la destruction de la médersa et la mise à mort de tous les tolba. La nuit suivante il eut un songe favorable à ces derniers, songe à la suite duquel il réunit les uléma pour décider de ce qu’il devait faire. Ceux-ci déclarèrent au Sultan qu’il ne devait pas toucher aux tolba, mais seulement faire détruire la médersa. C’est ce qui fut fait : de cette médersa on fit un fondouk et Moulay ar-Rashid fit construire à proximité une nouvelle médersa plus imposante, celle de Cherratin que l’on peut voir aujourd’hui.

Une partie des portiques d’entrée de la salle de prière sur le patio de la médersa Cherratin. 1917 Cliché du commandant Larribe qui précise qu’à cette époque la médersa hébergeait 100 tolba.

Il est possible que d’autres médersas ait été construites à la fin du XIIIème siècle, mais elles ne sont pas exactement mentionnées ni datées.

Par contre les médersas du début du XIVème siècle sont toutes très exactement datées. On peut les répartir en trois groupes, correspondant chacun au règne des trois grands sultans, Abû Saïd, Abû al-Hassan et Abû Inân.

Le premier groupe voit le jour entre 1320-1325 et comprend les médersas construites sous le règne d’Abû Saïd :
a) La médersa de Fès-Jdid (parfois appelée médersa Dar al-Makhzen)1320 (Abû Saïd)
b) La médersa Sahrij et annexe 1321-1323 (Abû al-Hassan prince héritier)
c) La médersa Sba’iyin et annexe 1321-1323 (Abû al-Hassan prince héritier)
d) La médersa de Taza (un peu antérieure)
e) La médersa Attarine 1323-1325 (Abû Saïd)
soit cinq médersas en cinq ans dont quatre à Fès

Le deuxième groupe est formé par les médersas d’Abû al-Hassan devenu sultan :
a) La médersa de Salé 1341
b) La médersa Misbâhiya Fès 1346
c) La médersa El Eubbâd à Tlemcen 1346
(Médersa Misbâhiya (École de Misbah, de la Lumière) aussi appelée médersa er-Rokham : l’école de Marbre. Le Sultan Abû al-Hassan fit venir d’Alméria une vasque de marbre qui fut transportée par mer jusqu’à l’embouchure de l’Oued Sebou, puis chargée sur un radeau que l’on hala sur le fleuve jusqu’à la hauteur de Fès.)

Le troisième groupe comprend les médersas qu’Abû Inân fit édifier de 1350 à 1355 à Meknès et à Fès.

Intérieur médersa Attarine : façade latérale. Cliché 1914/15

Ainsi si l’on met à part la médersa Seffârine qui date de la fin du XIIIème siècle, la construction des dix autres édifices s’échelonne sur une période de 35 ans à peine, entre 1320 et 1355 ; mais malgré cet intervalle de temps relativement court, on constate une évolution très nette dans leur architecture et leur décoration due à l’intensité de la vie artistique et intellectuelle de cette époque. Depuis la première en date de cette période, la médersa de Fès-Jdid, on peut voir leur décor s’enrichir en même temps qu’augmenter leurs dimensions : simple annexe de la mosquée-cathédrale au début, puisque les trois médersas s’élevèrent chacune auprès de la principale mosquée des trois grands quartiers de la capitale marocaine : Seffârine près de la Qarawiyyin, Fès-Jdid près de la Jamaâ Kébir, Sahrij près des Andalous, on voit la médersa devenir sous Abû Inân une véritable mosquée-cathédrale, trait d’union pour l’appel à la prière entre Qarawiyyin et la Jamaâ Kébir de Fès-Jdid.

Évolution aussi variée qu’abondante, puisque, comme dit Henri Terrasse, « Dans le cortège des médersas mérinides, il n’est pas deux visages semblables : Seffârine et Sba’iyin, si ruinées qu’elles soient, charment toujours par leur pittoresque discret et leur élégance de bon ton. Misbâhiya, avec son patio à deux étages, serait d’une gravité un peu sévère sans le charmant décor qui, à la porte de son minuscule oratoire, semble jaillir d’une colonnette de marbre pour retomber en nappes de fleurs ; Attarine, la plus secrète et la plus raffinée, se montre audacieuse et follement riche dans son exiguïté ; Sahrij mire sans fin une ornementation d’une pureté toute classique dans l’eau calme d’un vaste bassin. La Bû’Inâniya, la seule de ces médersas qui possède une chaire et un minaret, dégage une majesté toute royale ». (Henri Terrasse. Villes impériales. Paris Arthaud 1937).

Médersa Bû’Inâniya : cour intérieure et minaret. Cliché vers 1915

Dans un prochain article je reviendrai, avec Marcel Vicaire comme guide, sur le décor des médersas : Marcel Vicaire à l’occasion d’une visite-conférence à la médersa Sahrij avec l’association des « Amis de Fès » et Henri Bressolette, le 20 mars 1938, avait proposé une approche artistique du décor de la médersa Sahrij.

III – À quels mobiles ont obéi tous ces princes, Abû Yûsuf Ya’qûb, Abû Said, Abû al-Hassan, et Abû Inân, en fondant des médersas ?

Je reprends, pour expliquer les raisons de la fondation des médersas, l’historique fait par Henri Bressolette, le 20 mars 1938, au cours de la visite-conférence à Sahrij. Cette conférence était la première du cycle « Histoire et archéologie » qui avait entre autres objets, pour l’année 1938, l’étude des médersas et de l’histoire de la dynastie mérinide à Fès.

1 – D’abord le désir de mériter les faveurs d’Allah, de faire œuvre pieuse et agréable à Dieu, œuvre qui leur concilierait la bienveillance divine sur la terre et leur vaudrait des faveurs dans l’autre monde. Toutes les inscriptions proclament cette intention hautement avouée de mériter la grâce divine, et il n’est pas douteux qu’elle fut sincère. D’autant plus sincère que les Mérinides avaient conquis le Maroc par la seule force de leurs armes sans s’appuyer sur une idée religieuse. Ils durent alors redoubler de zèle religieux pour acquérir ce prestige qui leur manquait. Dans leur pensée, le marbre des inscriptions dédicatoires proclamait à tous l’excellence de leur piété.

2 – Cette fondation répondait aussi au désir de restaurer l’enseignement religieux et la science en général : autre moyen de s’attirer la faveur divine.
Quelle œuvre plus méritoire en effet que de faciliter les études en débarrassant de tout souci ceux qui, élèves ou professeurs, s’y consacreraient ! À ce sujet Abû Inân avait, paraît-il, conçu tout le quartier entourant la Bû’Inâniya comme un centre universitaire modèle : des logements étaient réservés aux professeurs, et pour leur permettre de se consacrer entièrement à leur enseignement sans aucune préoccupation matérielle, tous les matins des domestiques appointés passaient dans les maisons pour s’enquérir des besoins des familles des professeurs. Quoi qu’il en soit de cette organisation, il est un fait que l’institution des médersas contribua grandement à ranimer les études. L’acte de fondation de la première médersa proclama la nécessité de faire revivre la science religieuse oubliée. Plus que tous les autres souverains les Mérinides en éprouvèrent le besoin. En rétablissant la jurisprudence malékite proscrite par les Almohades qu’ils venaient de détrôner, les nouveaux souverains renforçaient leur prestige et renouaient par-delà les Almohades avec la tradition des Almoravides. Comme ces derniers, ils s’entourèrent de juristes orthodoxes pour bien proclamer, avec la victoire de l’orthodoxie malékite sur l’hérésie chiite, leur propre victoire sur les Almohades.

3 – Offrande agréable à Dieu, temple de la science pure, les médersas servaient aussi à renforcer la puissance politique des souverains, puisque cette puissance s’affermissait en fonction de leur prestige religieux. Elles aidèrent encore bien plus directement leur politique quand, aux médersas qu’ils avaient pourvues d’abondantes dotations, les souverains demandèrent des fonctionnaires pour leur maghzen. Pépinières de fonctionnaires officiels imbus de la doctrine officielle, tels furent les reproches qu’adressèrent à cette institution certains esprits indépendants, qui n’admettaient pas ce but proposé aux nobles études théologiques et qui condamnaient la servilité à laquelle l’appât des pensions conduisaient les savants. L’un d’eux, El Abboli, n’alla-t-il pas jusqu’à déclarer que « la construction des médersas a consommé la ruine de la science » ! Si l’on ne savait pas qu’il fut l’un des hommes les plus remarquables de son temps, on pourrait voir dans cette attaque l’aigreur d’un candidat évincé à un poste important, mais M.Julien Benda conviendrait, je pense, que la trahison des clercs ne date pas d’aujourd’hui ! (Julien Benda. La trahison des clercs. Grasset 1927)

Gardons-nous toutefois de transporter nos préoccupations terre à terre dans ces siècles d’ardente foi et d’ériger en règle une exception de décadence. Pour ma part, je me refuse à croire que, si les souverains qui édifièrent les médersas ne s’étaient proposé que des fins temporelles, ces édifices n’eussent jamais pu atteindre la perfection d’harmonie et d’équilibre que nous leur voyons. Ils respirent au contraire la spiritualité la plus pure, et je suis sûr que Eupalinos, l’architecte des dialogues socratiques de Paul Valéry, les classerait d’emblée parmi « les édifices qui chantent ».

N’est-ce pas un chant qu’elles murmurent à l’âme éprise d’idéal ? Dès l’entrée, les sculptures délicates des auvents nous avertissent qu’il n’entre point ici d’âme vulgaire ni frivole. Laissons à la porte, avec la boue du dehors, les pensers bas et les soucis vulgaires. Dépouillons-nous par une progression insensible de notre substance matérielle et n’admirons plus avec les yeux du corps mais avec ceux de l’âme.

Oasis de recueillement où la vasque seule murmure à l’âme sa fluide chanson ; « stable trésor », temple de paix sereine en sa rigidité, infinie richesse des mouvements de l’âme, dans cette vision de Paradis, de l’âme dépouillée et nue dans la salle de prière, de l’âme flamboyante dans l’exubérance des vermillons et dorures du décor sur bois, quiétude adoucie des plâtres en grisaille, vertige d’infini par l’échappée dans le ciel bleu…

Comme nous vous évoquons ici dans ces médersas mérinides : extatiques contemplations de saint Louis dans l’irisation ardente des vitraux de la Sainte Chapelle ; élans mystiques d’une sainte Thérèse dans son austère cellule d’Avila ; colloques passionnés d’un Pascal avec l’infini …

Nous pouvons même retrouver dans les trois éléments de votre décor la symbolique des trois grands ordres traditionnels : tout en bas, les mosaïques prises dans la matière figurent l’ordre des corps ; plus haut, à demi détachée, la vie multiple des esprits se révèle dans la variété et la finesse nuancée des plâtres ; enfin, tout en haut, dans la profusion des bois, dans leur générosité luxuriante apparaît l’intense richesse de l’ordre des cœurs, qui s’élève par le rectangle canonique du patio à cette distance infiniment plus infinie dont parle Pascal…

Médersa Misbâhiya : Façade côté cour, Vers 1925/1930

IV – Restauration des médersas

Une série de dahirs du 20 février 1915, signés du Commissaire Résident général Lyautey et publiés au Bulletin officiel n° 123 du 1 mars 1915, porte classement, comme monument historique, des médersas « El-Attarine, Ech-Cherrâtin, Es-Sahridj, El-Misbahia, Bouanania, Es-Saffarine ».

Dahir du 20 février 1915 portant classement comme monument historique de la Médersa « Es-Sahridj » à Fez

C’est le point de départ d’un premier programme de rénovation des médersas. Le Service des Beaux-Arts prévient d’emblée que les travaux de conservation et de rénovation seront longs car « à l’arrivée du général Lyautey dans ce magnifique pays, le vieux Maroc tombait en ruine. Ruine des choses et des êtres, d’une multitude de pauvres êtres… Nous avons vu les médersas de Fès, de toutes parts brisées par l’âge et la pourriture ; c’était le temps où de longs cordons de mendiants horribles bordaient les rues de Fès-Jdid, accroupis au pied des murs du palais ».

Dès 1915 la réfection des coupoles et couvertures, frises et auvents de la Bu’Inâniya et de l’Attarine est entreprise et chaque année de nouvelles médersas sont intégrées au programme de remise en état.

En 1917 début de la restauration de la médersa Sahrij : réfection des zelliges de la cour, des darbouz (balustrade au bord de la galerie pour éviter les chutes) des galeries de la façade nord-ouest, réparation et confection des consoles en plâtre sculpté. Début de la restauration de la médersa Cherratin. À la Bu’inâniya : réfection de la charpente de la coupole, d’une partie de l’auvent, des soubassements en zelliges et des piliers. Poursuite des travaux à l’Attarine.

De 1918 au début des années 1930 les travaux se poursuivent dans ces quatre médersas : consolidation des fondations, reprise totale des murs, des toitures, des terrasses, des panneaux en bois sculptés, des darbouz, des zelliges, des inscriptions sur les façades. Restauration de la porte de la Bu’Inâniya donnant sur le Talâa kbira, et reconstruction du mur entre la médersa et l’impasse allant au Talâa (1920). Réfection de la koubba de la salle de prière de la médersa Sahrij (1922). Restauration complète de la cour de la médersa Attarine (1924). La façade Est de la cour de la Bu’Inâniya est complètement refaite et toute la décoration extérieure achevée. (1924) En 1927, le mur dit des horloges, en face de la Bu’Inâniya est consolidé et le toit de la salle des ablutions et des latrines est refait.

En 1928, des travaux importants (toitures, terrasses, boiseries, plâtres sculptés, zelliges, etc.) sont effectués dans les quatre médersas déjà en chantier : Attarine, Cherratin, Sahrij, Bu’Inâniya et la médersa Misbâhiya est ajoutée au programme.

Toutes les mosquées mérinides seront nettoyées en 1929 et le programme de remise en état des médersas est poursuivi pendant les années 1930 par le vizirat des Habous et les autorités du Protectorat sous la direction du Service des Beaux-Arts.

Les médersas Bû’Inâniya, Attarine et de Bab Guissa sont considérées comme entièrement restaurées en 1937-1938 selon le schéma suivant :
1- Démolition des parties de maçonnerie, planchers, terrasses menaçant ruine et reconstruction de ces parties de l’édifice en y incorporant du béton armé, complètement enrobé dans des éléments de construction qui rappellent exactement le style primitif.
2- Les travaux ont surtout porté sur l’assainissement des médersas, les ouvertures anciennes ont été agrandies, les chambres des tolbas aérées et éclairées par de nouvelles fenêtres, les portes refaites avec des petits volets ouvrant dans la partie haute afin de pouvoir établir un courant d’air dans les pièces.
3- Des balustrades « claustra » en moucharabieh ont été refaites dans du bois de cèdre neuf.
4- Dans certains de ces édifices, on a construit, dans le caractère voulu, des abris pouvant servir aux tolbas pour cuisiner et laver leur linge.
5- L’installation électrique a été réalisée en remplaçant les vieux tubes apparents, cloués parfois sur des bois sculptés, par de nouvelles canalisations sous tube acier encastrées dans les murs, l’éclairage comprend des ampoules logées dans des globes en verre, soutenus par des chaînettes comme dans les mosquées.

Médersa Bu’Inâniya : cour intérieure avec vue sur la salle de prière. Dans les années 1930

En principe, l’effort a porté cette fois-ci sur l’amélioration de l’habitat, laissant délibérément de côté toute la partie décorative des bâtiments, Les médersas ainsi restaurées et consolidées sont à l’abri des intempéries pour de nombreuses années. Les dépenses au cours de ces restaurations se sont élevées à 390 000 Fr. soit 200 000 Fr versées par le vizirat des Habous et 190 000 Fr délégués par le Protectorat.
Les travaux ont été exécutés sous la direction de M. Terrasse, inspecteur des Monuments historiques à Rabat, la municipalité de Fès étant régisseur comptable.

Le 2 juillet 1938 le général Noguès, Résident général, dans un discours devant la section marocaine du Conseil de Gouvernement à Rabat déclare que les travaux de remise en état des medersas sont poursuivis. « La réfection d’ensemble de la médersa Seffarine sera incessamment entreprise ; un crédit de 230 000 Fr. est affecté à ce travail. En ce qui concerne les constructions nouvelles j’ai prévu 500 000 Fr. pour l’édification d’une médersa neuve aux Seffarine et 300 000 Fr. pour la construction à Qarawiyyin d’une bibliothèque digne de cette grande université« . (B.O. n°1342 du 15 juillet 1938)

Le 14 septembre 1938 à l’occasion de l’inauguration de la médersa Sba’iyin, mitoyenne de la médersa Sahrij et contiguë de l’autre côté à la mosquée des Andalous, M. Souchon, Inspecteur de l’Urbanisme et des Monuments historiques signale dans son discours qu’elle était en ruine quand sa réfection a été entreprise, les terrasses et les murs de l’étage, étant effondrés en grande partie, il a fallu reconstruire entièrement la partie supérieure du bâtiment. Voici le résumé des travaux :

  • Démolition et reconstruction de l’étage.
  • Au rez-de-chaussée, repiquage de tous les murs, dressages et enduits au mortier de chaux grasse et sable.
  • Reconstruction des planchers de l’étage, dalle en béton armé sur plafond en bois de cèdre neuf, sur la dalle, zelliges blancs et noirs dans les couloirs et de forme m’ziri, dans les chambres.
  • Dans le patio, réfection du dallage en marbre, adduction de l’eau dans la vasque, remplacement des anciens chapiteaux en bois par quatre chapiteaux en pierre de Sefrou.
  • À l’étage, réfection des bois sculptés et reconstruction de la balustrade en bois de cèdre
  • Midah (salle d’ablutions, servant aussi de latrines et annexée à une médersa ou à une mosquée) complètement remise en état, canalisations refaites à neuf, réfection de la porte d’entrée et de l’escalier.
  • Pose et scellement de 24 portes et 33 fenêtres en bois de cèdre neuf.
  • L’électricité a été installée dans les dégagements et dans chaque chambre.
  • 3 228 journées d’ouvriers ont été nécessaires pour restaurer la médersa Sba’iyin et 78 571 Fr. ont été dépensés (Crédit des Habous : 65 421 Fr. et crédit Protectorat 13 150 Fr.).

Après restauration la médersa Sba’iyin dispose d’un peu plus de 20 chambres de tolba, chacune est éclairée à l’électricité et comporte, nouveauté appréciable, une fenêtre de cèdre ouvragé. Sur le dallage en zelliges un plateau surélevé en cèdre est installé pour y poser le matelas.
Dans le patio rectangulaire la vieille vasque de marbre a été conservée ainsi que les restants de décoration : zelliges, consoles et poutres sculptées de fines ornementations.
L’antique fontaine murale de marbre blanc avec, comme motif ornemental, les palmettes et entrelacs mérinides alliés aux fleurs de lys stylisées des dynasties Béni Mérine, orne désormais le patio.

La fontaine de la médersa Sba’iyin, vers 1925/1930. Cliché anonyme

En janvier 1939, la restauration de la médersa Seffarine est en cours : une grande partie de l’édifice est par terre et ce qui reste, très lézardé, doit être largement consolidé. On y réalise pour plus de 1/2 million francs de travaux en vue de dégager la salle de prière, les arcades et le minaret ; on modernise à proximité un bâtiment de médersa avec cellules confortables et bien éclairées pour les tolbas. Pour cela on a disposé du bâtiment voisin, un fondouk habous qui a été démoli. Cette médersa rénovée, inaugurée par le Sultan Mohammed ben Youssef, reçoit le nom de médersa Mohammediya. Dans le même quartier on aménage la place Seffarine (place des chaudronniers) et la réfection de la bibliothèque de Qarawiyyin est à l’étude ; les travaux pour lesquels une somme de un million de francs a été accordée sont prévus dans le courant de 1939.

La nouvelle médersa Seffarine sera inaugurée le 9 mai 1940 par le Sultan Mohammed ben Youssef et le Résident général Noguès. À cette occasion la première pierre de la bibliothèque de Qarawiyyin sera posée… avec quelque retard.

Vingt-cinq ans ont été nécessaires pour mener à bien la conservation et la restauration des médersas de Fès, mais sauver les monuments historiques est une œuvre de longue haleine qui doit sans cesse être renouvelée comme le montrent les récents travaux de sauvegarde du patrimoine de la médina de Fès sous la direction de l’A.D.E.R. (Agence pour le Développement et la Réhabilitation de la médina de Fès).

Médersa Attarine : Atrium et vasque centrale. 1930 (Cliché Résidence générale)

Je citerai pour terminer un extrait du livre de Maurice Tranchant de Lunel « Au pays du paradoxe – Maroc » publié en 1924, où il évoque son action en tant que Directeur du Service des Antiquités, des Beaux-Arts et des Monuments historiques, dans la sauvegarde des médersas de la médina de Fès.

Ces monuments qui n’avaient pas été touchés depuis trois cents ans, avaient encore assez de parties saines dans le gros œuvre et d’intéressants vestiges dans la décoration minée par la vétusté, pour pouvoir être restaurés. C’était d’autant plus intéressant que tout cela vivait. À Fez, il y avait encore des mahalmins habiles tant pour la reconstruction de ce gros œuvre, que pour la réparation des détails artistiques particulièrement atteints. On pouvait reprendre le travail dans ces lieux, qui n’avaient cessé d’être occupés que dans leurs parties devenues tout à fait inhabitables.

… Il me fallait faire rapidement l’inventaire des travaux les plus urgents, parer aux catastrophes possibles, certaines parties des bâtiments menaçant ruine. Et ces travaux même si j’avais eu les moyens matériels de les mener rapidement à leur fin, étaient de ceux dont l’exécution pût jamais être effectuée rapidement. Il n’était vraiment pas possible de substituer des moulages aux dentelles de plâtre disparues par endroits. Je voulais aller très lentement, éviter l’écueil des reconstructions et des reconstitutions, ne restaurer qu’avec la plus grande discrétion, remplacer les boiseries défaillantes par des boiseries sculptées dans du cèdre ancien, et non avec du sapin. Les plâtres neufs remplaçant les panneaux disparus devaient être fouillés avec la même maîtrise et la même conscience que ceux qui subsistaient encore, et aussi avec la même méthode : un coup de canif, un coup de gouge. Mieux eût valu laisser ces bâtiments dans leur état de délabrement que de les « rafistoler » solidement comme il avait été suggéré par un éminent chef de service, d’esprit hautement pratique qui n’eût trouvé aucun inconvénient, évidemment, à « fourrer du fer » pour étayer des murs chancelants et des carreaux espagnols à bon marché pour remplacer, dans la décoration, les frises de plâtre délicatement fouillées.

Bien qu’étant, en général, ennemi de toute reconstitution de monuments historiques, il fallait sauver le plus possible tous ces vestiges de la plus belle époque de l’architecture marocaine. Si l’on était contraint de construire, décorer, reproduire, il fallait reconstruire, décorer, reproduire fidèlement avec les mêmes matériaux, avec la même main-d’œuvre, selon les mêmes traditions employées par les anciens mahalmins, ces parties de bâtiments que les Marocains laissaient doucement mourir et s’effriter depuis plus de trois cents ans. Et cela devait être possible, puisque la vie de la ville s’était, au long de ces trois siècles, continuée, pareille, simplement indifférente au délabrement d’admirables œuvres d’un art depuis lors en décadence
Je dois avouer que les premiers essais de restauration ne furent pas marqués d’un extraordinaire succès. Les premiers ouvriers que je rencontrai se révélèrent assez inhabiles, les premiers matériaux employés pas très heureusement choisis. Plus exactement il n’y avait plus le choix. Des mosaïques aux tons de tôle émaillée furent placées en bouche-trous sur certains piliers, où ils juraient passablement avec les nuances exactes de ce qui demeurait de l’ancienne décoration. Mais ce n’était là qu’un détail, facilement réparable, et qui fut effacé par la suite.

D’ailleurs, mon but était surtout politique. Je ne voulais pas rentrer dans les médersas et les lieux saints, sans un prétexte plausible, ni paraître animé d’une curiosité indiscrète. Il s’agissait simplement de faire un travail dont l’utilité de pouvait être discutée par un aucun esprit chagrin, et ma présence s’y expliquerait toute seule, par la surveillance des travaux. Mais pendant que je surveillais les premiers ouvriers et paraissais m’intéresser profondément à ces restaurations, purement superficielles, j’étudiais à loisir les fondations, les murs, les toitures dont la plupart étaient dans un état de délabrement effrayant. Cette méthode me permettait d’établir discrètement le genre de restauration que je pouvais entreprendre et de dresser le programme des travaux les plus urgents. Le moyen était bon puisqu’il m’avait donné le temps de réfléchir et que, grâce à lui, je n’eus jamais maille à partir avec les Habous et les tolbas occupants habituels de ces lieux.
Un jour vint où je pus interrompre les décorations les moins urgentes et travailler à la réfection des fondations. À Fez, les travaux souterrains pouvaient se limiter à quelques dizaines de milliers de francs. Mais, après avoir paré aux dégâts causés par les eaux du sous-sol, il fallait aviser à la réparation de ceux des eaux du ciel. Or, presque toutes les toitures des médersas étaient effondrées, les plafonds sculptés en majeure partie attaqués et pourris comme à Sahrij et Misbâhiya . Ceux de la Bu’Anâniya, d’Attarine et de Cherratin tenaient encore par un reste d’habitude.

Ce fut donc là, le second stade de la réfection des médersas. Il fallut enlever les toitures avec mille précautions, remonter les plafonds sculptés, reprendre les murs dévastés par les infiltrations et lézardés, replacer le tout en utilisant tous les matériaux anciens qui n’avaient pas trop souffert et les tuiles vertes anciennes aux tons délicats. Le bord des toitures s’appuyait sur des corniches de bois de cèdre sculpté, reposant sur des consoles de même matière fort ouvragées.
Le gros œuvre ingrat terminé, il fallut refaire de l’art. Et c’est là que j’eus mes premières satisfactions véritables. Les ouvriers que j’avais découverts au début de mes travaux de réparations, deux vieux sculpteurs, avaient fait quelques élèves sans effort, semblait-il, et après quelques tâtonnement inséparables du début, ceux-ci travaillaient suivant les anciennes traditions, en copiant si parfaitement les vieux modèles de corniches et de corbeaux ouvragés que l’œil le plus exercé et l’observateur le plus prévenu eussent difficilement distingué les parties anciennes de l’œuvre, de celles nouvellement replacées. Si bien qu’ayant eu toutes les peines du monde en 1913 à trouver deux sculpteurs dans tout Fez qui sussent convenablement les arcanes de leur métier, j’étais arrivé en 1916 à pouvoir disposer d’une trentaine d’élèves, comprenant plusieurs équipes travaillant chacune sous la direction d’un maalem, et qui pouvaient non seulement reproduire admirablement n’importe quelle partie des boiseries ornementées suivant la tradition ancienne, mais travailler économiquement et ce qui, en matière d’entreprise, est bien la fin du fin, prendre part à ces adjudications instituées, chacun le sait, pour le plus grand bien des deniers de l’État
Non seulement, ces reconstitutions présentaient un incontestable caractère d’urgence, mais elles ont eu cet intérêt primordial de reconstituer assez rapidement une main-d’œuvre perdue, particulièrement précieuse pour la revivance des industries d’art au Maroc. Aujourd’hui, les sculpteurs de boiseries, de plâtres ouvragés, s’inspirent des modèles anciens, pris parmi les meilleurs morceaux décoratifs de la période des Mérinides et surtout des Saâdiens

Médersa Seffarine. Cliché Résidence générale 1929