La Commission municipale française du 31 janvier 1935 a insisté sur la nécessité de rouvrir l’avenue Paul Doumer coupée par la voie ferrée, à hauteur du Stade municipal, depuis le début des années 1930 avec les travaux de création du réseau de chemin de fer à écartement normal entre Fès et Oujda (début des travaux en 1928 et ouverture de la ligne en janvier 1934).
L’avenue Paul Doumer (parfois appelée boulevard Paul Doumer) est un des axes principaux de Fez Ville-Nouvelle : elle prolonge, en ligne droite, le boulevard général Poeymirau – boulevard Mohammed V – à partir de la place Lyautey – place de Forence – qu’elle traverse en direction du Stade municipal et au-delà vers la route principale de Port-Lyautey (Kénitra) à Fès qui aboutit à Bab Segma. On a ainsi un axe qui traverse la ville-nouvelle depuis l’avenue de Sefrou, origine du boulevard Poeymirau.

Détail d’un plan de Fès de 1932, avec surligné en rouge le tracé du boulevard Poeymirau. La place Lyautey est traversée par le boulevard qui s’appelle encore boulevard Poeymirau sur toute sa longueur, de son début avenue de Sefrou au Stade municipal. La x à droite au-dessus du tracé rouge marque l’emplacement du futur passage à niveau. On remarquera que la voie ferrée en 1932 ne traverse pas encore le boulevard.
En juillet 1933 la Commission municipale s’était déjà prononcée pour le rétablissement urgent de la circulation sur toute l’avenue Paul Doumer.
Il a été question à l’époque de l’étude d’un passage souterrain, repoussant toute idée de passages à niveau réputés être la cause d’accidents très graves et gênant considérablement la circulation, surtout lorsqu’ils sont situés à proximité des gares.
Après la prise en compte des avis techniques, il apparaît que la solution qui s’impose est celle de la réalisation d’un passage inférieur, d’accès facile et qui ne nuira pas à l’esthétique de la ville. Ces travaux avaient déjà été étudiés lors de la construction de la ligne de chemin de fer, mais abandonnés pour des raisons techniques : le niveau d’eau de l’Oued Fès se trouvait être plus haut que le point bas du passage et, de ce fait, on craignait que par infiltration, celui-ci soit toujours plein d’eau ou alors entraîne une dépense exagérée pour l’écoulement de celle-ci. En 1935, plus de craintes car le niveau d’eau de l’Oued Fès a été abaissé ; d’autre part le collecteur qui dessert le nouveau secteur industriel passe à environ 200 mètres de ce point, et se trouve beaucoup plus bas ; par conséquent, une simple évacuation d’eau du passage à l’égout suffit. Enfin dans un avenir assez rapproché (?), l’Oued Fès devrait être canalisé et permettre l’assainissement de tous les marécages voisins, vecteurs de la propagation du paludisme.
La solution d’un passage aérien pour franchir la ligne de chemin de fer, un temps envisagée, a été abandonnée pour différentes raisons : coût trop élevé, passage supérieur impossible car dominant les jardins du Sultan, inopportun aussi quant au site et nécessitant un volume de terre trop important pour réaliser un remblai. (La ville était déjà à la recherche d’un important volume de terre pour achever le fameux remblai, dans le prolongement de l’avenue Maurial – avenue Slaoui – qui devait assurer une meilleure liaison entre la ville européenne, les camps militaires et le nouvel hôpital Auvert). Au contraire le creusement d’un passage souterrain permettrait de récupérer un volume de terre qui serait utilisé pour combler et assécher les marécages situés à proximité, en bordure de l’Agdal.
Le franchissement de la voie ferrée au niveau du Stade municipal réduirait la distance entre Fez Ville-Nouvelle et la Médina d’un bon kilomètre : en effet, les charrois de marchandises se rendant en Médina empruntent l’avenue des Sports (qui passe devant le Lycée Mixte !), le boulevard Moulay Youssef jusqu’à l’Hôtel de ville puis l’avenue du général Ducla pour retrouver le prolongement de l’avenue Doumer (qui deviendra le boulevard des Saadiens après les travaux). En outre, la circulation sur les avenues citées sera ainsi réduite et les travaux nécessaires à leur réfection et à leur entretien moins fréquents, d’où une économie pour le budget municipal.
La Municipalité envisage d’ailleurs de faire payer l’essentiel des travaux de création du passage souterrain par l’administration du Tanger-Fès : « Les Chemins de fer nous ayant coupé une avenue par le passage de la voie ferrée doivent rétablir la circulation normale … la ville ne doit en supporter qu’une très petite partie. Toutes les demandes seront faites dans ce sens auprès de la direction du Tanger-Fès comme auprès de la direction des Travaux publics. Et l’on peut envisager le commencement des travaux dans un avenir prochain. Ce serait d’ailleurs souhaitable pour fournir du travail aux chômeurs dont le nombre augmente pendant cette période de crise économique» a déclaré M. Paul Heyberger devant la Commission municipale. (M. Heyberger était transporteur en dehors de ses fonctions de conseiller municipal ; passionné d’aviation il était aussi élu au comité du Club aérien de Fès)
La réalisation de ce passage souterrain pour éviter le long détour pour aller vers la Médina ou accéder à la Ville-Nouvelle est d’autant plus urgente que la gare du Tanger-Fès devient la gare de marchandises, que son trafic va s’accroître et que les Chemins de fer vont transférer leurs magasins de la gare de la voie de 0,60 vers la nouvelle gare.

Le caractère urgent de l’ouverture de l’avenue Paul Doumer, évoqué début janvier 1935, n’a pas fait évoluer la situation. En effet, en septembre, les usagers de la route continuent à se plaindre de ne pouvoir franchir la voie ferrée toujours coupée par des barricades.
Paul Boué, journaliste au Courrier du Maroc écrit : « Depuis l’ouverture de la ligne Fès-Taza des barricades interceptent cette voie de communication dont l’utilité est indiscutable. Elles obligent les automobilistes et les voitures à faire un très long détour, coûteux, par l’avenue du général Ducla pour gagner la route qui longe les murs du Palais du Sultan. (J’ajoute que les troupeaux conduits au souk, et qui ne peuvent plus contourner la ville, effectuent eux-aussi le même détour !)
Comme les sénateurs romains qui discutaient pour savoir à quelle sauce on préparerait un turbot pendant que sa fraîcheur devenait douteuse, nos organismes élus et fonctionnaires ont palabré sur l’utilité du passage, ou souterrain ou aérien, comme si des centaines de trains devaient circuler entre Fès et Taza. Notre ville n’en est pas encore à ce stade, elle n’y sera pas de sitôt et, tous ces « pêcheurs de lune » prennent hélas leurs désirs pour des réalités.
On ne peut s’empêcher de rire quand on voit des mégalomanes se gargariser en discutant la construction d’un pont ou d’un tunnel pour franchir cette modeste voie ferrée, alors qu’un simple passage à niveau ferait mieux notre affaire, surtout à l’époque de crise que nous traversons. Les contribuables ne comprendraient plus les dépenses somptuaires inutiles alors que de tels crédits trouveraient un emploi plus profitable ailleurs.
On dirait qu’à Fès, on ne veut pas faire les choses comme dans les autres villes. Nous traînons encore le boulet de l’argent trop facile, inconnu à l’époque de la guerre riffaine qui a bouleversé toute l’économie de notre région. Nous avons conservé ici la mentalité des grandes affaires. Quand on ne parle pas de milliers et de milliers de francs, les gens ne se dérangent pas. Il faudrait une fois pour toutes abandonner cette mentalité et redescendre sur la terre.
La question de ce passage à niveau procède de ces exagérations. Comment donc un passage à niveau ! Pourquoi pas un pont métallique, pourquoi pas un tunnel ? Faisons des grands travaux contre toute nécessité, grands travaux qui ne répondent ni au trafic, ni au nombre des trains qui franchissent notre gare.
Un peu de sagesse, Messieurs et donnez-nous tout simplement un modeste garde-barrière qui aura là une place de tout repos et rétablissez rapidement la circulation sur l’avenue Paul Doumer, si vous ne voulez pas continuer à brimer les riverains, comme tous ceux qui ont investi dans les rues et avenues adjacentes des capitaux considérables dans la construction d’immeubles et de villas confortables et modernes.
N’obligez pas aussi les colons venant du Saïs à faire un détour considérable et inconfortable pour se rendre au Souk el Khémis, et seulement, pensez à cette rue de Fès-Jdid dont l’encombrement grandit de jour en jour par suite de l’interruption de la circulation sur l’avenue Paul Doumer.
C’est pourquoi nous persistons à demander la construction d’un simple passage à niveau, avec son garde-barrière tout simplement, car toute autre dépense ne se justifierait pas pour les raisons que nous avons indiquées. L’époque héroïque est passée, laissons les « pêcheurs de lune » dans leurs rêves ».
Les réclamations et les plaintes des utilisateurs de l’avenue Doumer, relayées par la presse locale ont amené les autorités municipales, au début de l’année 1936, à insister auprès des directeurs des Travaux publics et de la Compagnie de Chemin de Fer du Maroc, sur les inconvénients qui résultent de cet état de choses et d’exposer en même temps comment ils conçoivent les moyens d’y pallier : la municipalité serait disposée à payer le gardien du passage à niveau, en attendant la construction du passage souterrain qui faute de crédits est reportée à plus tard.
C’est finalement le 28 juin 1936 qu’est mis en service par les soins de la Compagnie des Chemins de Fer, le passage à niveau de l’avenue Paul Doumer.
C’est la fin du détour que les Fasis étaient forcés d’effectuer pour gagner, par l’Agdal extérieur, Bab Segma, le Souk el Khémis l’hôpital Cocard, les Cherardas, le tour de Fès. C’est la réhabilitation de l’avenue Doumer transformée depuis deux ans et demi en cul-de-sac.
C’est aussi le retour de la circulation dont la place Lyautey (place de Florence) doit être le passage et non l’aboutissement, et c’est par ricochet la revalorisation de l’avenue de France, (avenue Hassan II) axe central de Fez Ville-Nouvelle.
C’est aussi l’allègement partiel de la circulation dans la Grande-rue de Fès-Jdid
On s’étonne qu’il ait fallu deux ans et demi pour rouvrir cette avenue ! Les Fasis étaient-ils dans leur ensemble fatalistes et résignés ? La solution la plus simple, et en même temps la moins coûteuse, était évidemment le passage à niveau ; solution d’autant plus aisée et rationnelle que la circulation des trains était rare sur cette voie : un train le matin et un train le soir dans chaque sens !!! Certes il y avait alors la responsabilité du gardiennage sur cette voie de circulation très active et encore compliquée par les troupeaux de bestiaux à destination du Souk el Khémis ; la difficulté a été facilement aplanie par la désignation d’un garde-barrière, finalement payé par la Cie des Chemins de fer,qui sera là à poste fixe.
Je n’ai pas trouvé la date à laquelle le passage souterrain qui existe aujourd’hui a été réalisé.

Souk el Khemis au pied du rempart des Cherardas. Cliché anonyme vers 1940
Les commentaires sont fermés.