Image à la une : Koubba de Moulay Bouselham sur le chenal de la Merdja Ez-Zerga. Photographie du commandant d’Arbois de Jubainville vers 1920.
J’ai publié le 12 août 2018 un article sur la plage et l’histoire de Moulay Bouselham (La plage de Moulay Bousselham) ; je viens de trouver le texte d’une « causerie » faite en 1933, aux élèves du Cours de perfectionnement des Affaires indigènes et des contrôleurs civils stagiaires, par M. Antona, contrôleur civil, adjoint au chef de circonscription, sur les origines de la grande ferveur religieuse dont jouit le sanctuaire de Moulay Bouselham auprès des populations marocaines.
C’est ici que, si l’on en croit les écrits musulmans, mourut vers l’an 347 de l’hégire (858/859 J.-C.) le saint Abou Saïd ben Abdallah ben Ali Al Assi Al Maçri dit Moulay Bouselham « le Chérif au manteau », qui avait quitté son pays d’origine, l’Égypte, pour venir au Maghreb installer son ermitage, auprès de la Kheloua du prophète Youssef, qui aurait vécu à cet endroit.
La légende rapporte que la mère d’Abou Saïd avait été avisée pendant sa grossesse, par une voix mystérieuse, de ce que l’enfant qu’elle portait était un saint. Celui-ci, avant sa naissance lui parla pour lui conseiller de ne pas hésiter à rompre le jeûne du ramadan afin d’étancher sa soif. Dès sa venue au monde Abou Saïd exigea que les femmes fussent éloignées de son entourage et comme sa mère ne pouvait l’allaiter elle-même, ni pourvoir à sa nourriture en raison de son indigence, l’enfant débuta sa vie en jeûnant.
Lorsque plus tard il apprit l’existence sur le rivage de la mer, à Bâb es-Sghir, en Moghreb, d’un ermitage où le prophète Youssef avait coutume de faire ses dévotions, il n’eut plus qu’une pensée, celle de se rendre à cet endroit.On raconte qu’avant son départ d’Égypte, l’Émir voulut le contraindre à lui vendre un palmier qui lui appartenait et qui produisait des dattes « plus douces que le miel et plus fraîches que la neige ». Le Cheikh refusa et partit. L’Émir ordonna alors à ses serviteurs de lui apporter des dattes du fameux palmier. Il trouva la première très douce, mais la seconde était amère. Le gouverneur en fut malade et mourut au moment où l’un de ses émissaires atteignait Abou Saïd à Kairouan.
À Tunis, où il fut lapidé par des enfants, Abou Saïd exerça plusieurs métiers. Après avoir été employé à puiser de l’eau, il se mit à vendre du bois aux chaufourniers, mais d’une extrême bonté, il se privait de manger pour distribuer son pain aux mendiants et aux chiens qu’il rencontrait. Par la suite, il dut s’établir comme tailleur, utilisant l’argent qu’il gagnait à habiller les orphelins et les miséreux.
Pressé un jour par la faim, il demanda à l’Émir de Tunis de lui donner un panier de prunes et un vase de bon vin. Son désir fut satisfait, mais au moment de manger Abou Saïd se révolta contre lui-même. Maudissant sa faiblesse, il versa les prunes dans le vase de vin, fit de tout une bouillie et renversa le récipient avec son contenu sur la tête de l’Émir ; cette fantaisie lui valut, d’ailleurs, un certain nombre de coups de fouet.
Jusqu’ici, en dehors bien entendu des miracles qui lui sont attribués par la légende, Moulay Bouselham nous apparaît plutôt comme une sorte de demi-fou, semblable à ceux que l’on rencontre parfois par les rues ou dans les campagnes, et dont les excentricités font la joie des gamins espiègles.C’est après être sorti de Tunis qu’il rencontra le savant Imam Sidi Abdeljelil dit Et-Tayyar qui se rendait lui aussi à Bâb es-Sghir, mais ce dernier tomba malade en chemin et Abou Saïd poursuivit seul sa route. Sidi Abdeljelil, nous apprend la légende, atteignit cependant l’ermitage avant Abou Saïd, grâce à trois anges qui l’avaient guidé dans sa route à travers l’espace, d’où son surnom de Et-Tayyar, « l’homme volant ».
C’est ainsi que lorsqu’il arriva au but de son voyage Abou Saïd, qu’accompagnait le Cheikh Abderrahman El Azrak, « l‘homme aux yeux bleus », rencontré à Kef el Hmam, dans les Ouled Rafâa, trouva Et-Tayyar, occupé à pêcher à l’hameçon. Désireux de lui donner sur le champ une preuve de sa puissance Abou Saïd, conseilla à Et-Tayyar de plonger simplement le bras dans l’eau, l’assurant qu’en accomplissant ce geste, il aurait une pêche beaucoup plus fructueuse. Et-Tayyar s’exécuta et eut la surprise de constater en retirant son bras de l’eau qu’un poisson était attaché à chacun de ses poils. Mais Abou Saïd fit mieux encore. La légende rapporte en effet, que d’un geste large de son manteau – d’où sans doute son surnom de Moulay Bouselham – le Chérif ordonna à l’Océan de le suivre. Il marcha et ne s’arrêta qu’à Machra al-Hadar où la mer l’y suivit. Abou Saïd fit alors le serment que l’eau ne reprendrait sa place que lorsque des « Hadriat » ou citadines seraient venues s’y baigner ou y laver leur linge. C’est alors que son compagnon Et-Tayyar accomplit le miracle de faire venir, sur le champ, des filles de Fès pour que Moulay Bouselham satisfait veuille bien donner l’ordre à la mer de se retirer.
Il ne resta qu’un peu d’eau entre les deux collines de Bâb es-Sghir. C’est l’actuelle merdja (lagune). Abou Saïd la bénit et demanda à Dieu de faire, des poissons qu’elle contenait, un remède contre tous les maux. C’est la raison pour laquelle les indigènes attribuent aux poissons qui peuplent la merdja des vertus miraculeuses. Les pèlerins désireux de se délivrer d’un mal en mangent de grandes quantités.
Il existe à l’Aïn Tiçouat une multitude de poissons d’eau douce, peu farouches que l’on a plaisir à voir évoluer dans l’eau claire et se précipiter sur les mies de pains qu’on leur dispense au passage. Ces poissons sont des barbeaux. Certains ont une belle taille. Ils sont sacrés comme tous les poissons qui se trouvent dans des bassins d’où ils ne peuvent sortir. C’est là une croyance généralisée dans tout le Maroc et Moulay Bouselham est étranger aussi bien à leur présence qu’à leur caractère sacré en cet endroit. Ces poissons sont très respectés, on se garde bien de leur faire le moindre mal et les indigènes racontent qu’il y a peu d’années, et malgré les conseils des gens de l’endroit, un garde forestier qui s’était obstiné à vouloir en tuer deux, mourut quarante-huit heures après les avoir consommés.
Mais revenons à nos saints. Le Cheikh Abderrahman mourut un jour subitement en lisant le Coran. Abou Saïd, peu d’instants après, passa lui aussi de vie à trépas alors qu’il était plongé dans la lecture du livre saint.
Abdeljelil Et-Tayyar, demeuré seul avec des étrangers qui avaient apporté des linceuls, procéda au lavage rituel des corps. Les gens présents l’aidèrent à creuser deux tombes, mais alors qu’ils allaient procéder à l’inhumation, un vent violent s’éleva, des nuages noirs voilèrent le ciel et plongèrent la nature dans les ténèbres. Lorsque l’obscurité se fut dissipée, Et-Tayyar et ses compagnons se trouvèrent en présence de trois cadavres qu’ils enterrèrent sans savoir qui était le troisième.
Actuellement il y a cinq tombes dans la koubba.
Abdeljelil Et-Tayyar, désormais seul dans l’ermitage ne put se consoler de la disparition de ses amis. Il pleura nuit et jour pendant huit jours et mourut à son tour.
Sa koubba fait face à celle de Moulay Bouselham, sur l’autre rive de la merdja ez-Zerga. Mais d’après les indigènes il serait en réalité inhumé dans la koubba de Moulay Bouselham et le mausolée qui porte son nom, indiquerait simplement l’endroit où ce saint avait l’habitude de faire ses dévotions.On vient en toute période de l’année, visiter Moulay Bouselham dont la baraka accorde la richesse et la fécondité et dont la renommée a depuis longtemps franchi les limites du Gharb. Mais on y vient surtout à l’occasion de l’Aïd Sghir, de l’Aïd el-Kébir et du Mouloud. On y vient aussi les 14 et 15 Chaâbane – 8 ème mois du calendrier musulman et dernier mois avant le Ramadan – car d’après la légende, c’est dans la nuit qui sépare ces deux jours que le Tout-Puissant dresse la liste de ceux qui mourront dans l’année.
Suivant la croyance populaire, quiconque a fait sept fois le pèlerinage de Moulay Bouselham est réputé avoir satisfait à ses obligations religieuses, tout comme s’il était allé à la Mecque. Mais cette croyance commune à plusieurs saints célèbres au Maghreb n’est pas prise au sérieux par tout le monde.Néanmoins, parmi tous les moussems célébrés chaque année au Maroc, celui de Moulay Bouselham, qui dure huit jours, d’un vendredi à l’autre, est certainement le plus important. On y accourt de tous côtés : du Gharb, des Beni Ahsen, des Cherarda, des Hjaoua, de la région d’Ouezzan, des Zemmour, de Meknès, de Fès, de Tanger, de Rabat, du Haouz. La plus grande partie des tribus de la zone occidentale espagnole – Khlot, Beni Mestara, Jebala, Beni Mesguilda, Rehouma – le fréquentent.
Tout concourt au succès de cette fête. L’espace pour les campements est illimité, l’eau est abondante, et comme la célébration du moussem a lieu au printemps, la plaine est couverte à ce moment d’une abondante végétation qui facilite le problème de la nourriture des animaux.
En quelques heures, une véritable ville d’une vingtaine de mille âmes s’improvise dans l’immense étendue plane qui s’étend de Machra al-Hadar ( gué des citadins) jusqu’auprès du sanctuaire. Tous les commerces montent boutique sur place et font de fructueuses affaires, les confréries se groupent autour de leurs mokademin et de leurs bannières, les fantasias succèdent aux fantasias, on se dispute musiciens, chanteurs, chanteuses, danseuses pour les fêtes privées. Tout le monde, du plus riche au plus pauvre, fait bombance pendant quelques jours, et nombreux sont ceux qui n’hésitent pas à s’endetter, voire à se ruiner pour pouvoir briller ou satisfaire leurs caprices au cours de cette importantes foire annuelle.Et c’est précisément pour défendre le fellah contre sa propre imprévoyance, contre son insouciance dont il subit ensuite les dures conséquences, que depuis quelques années par suite de circonstances économiques défavorables, le gouvernement a été amené à suspendre la célébration du moussem de Moulay Bouselham.
Mais l’importance de cette fête, est-elle vraiment due à la seule influence du saint, que l’on néglige souvent de visiter lors du moussem et sur qui, somme toute, on ne sait que peu de choses d’intéressant ?
Un auteur connu, Michaux-Bellaire, dont les écrits font autorité en la matière, s’est lui-même posé la question et en a donné une explication. D’après cet auteur, en retrouverait dans ce moussem, la survivance d’une coutume qui existait du temps des « Moudjahidine » ou guerriers de la foi, qui s’étaient peut-être placés sous la protection du marabout, et qui avaient choisi la vaste plaine toute proche, comme lieu de réunion, où ils écoulaient, chaque printemps, au cours d’une sorte de foire, le butin qu’ils avaient amassé pendant toute l’année. Cette hypothèse est renforcée du fait que la région avoisinant le Siyyed * est habitée par les Oulad al-Meçbâh dont les ascendants se livraient à la piraterie, et se sont illustrés dans la guerre contre les Chrétiens pour qui la lagune de Moulay Bouselham était très vraisemblablement un excellent point de débarquement.
* Siyyed : Homme qui s’est signalé de son vivant par une grande piété, d’une grande aura, de dons et qualités exceptionnels, à qui on attribue parfois des miracles. Les gens vont en pèlerinage sur la tombe du Siyyed, au mausolée plus ou moins important. (Dictionnaire français-arabe maghrébin Tome 3 Amine Sinaceur et Zakia Iraqui. Patrimag 2023). Je pense qu’ici Antona désigne par Siyyed le tombeau de Moulay Bouselham et non le saint lui-même.
Il est à peu près certain, en effet que la merdja ez-Zerga était connue des anciens navigateurs chrétiens. Je n’en veux pour preuve que certaines vieilles cartes du Maroc, dressées je crois, vers le XIVe ou le XVe siècle, et sur lesquelles la lagune et son goulet occupent une place hors de proportion avec le reste du pays.
Au surplus, l’auteur musulman As-Salaouy An-Nâciry, ne raconte-t-il pas dans son « Kitab el Istiqsa » que c’est à proximité de la koubba de Moulay Bouselham que les Chrétiens mirent à mort à la fin du XVIe siècle, un fameux moudjahid dénommé Abou Abdallah Mohamed El Kasri ?
Et Michaux-Bellaire conclut que c’est très probablement à l’influence des moudjahidine que Moulay Bouselham doit sa célébrité.Quelques mots maintenant sur les sanctuaires.
Le sanctuaire de Moulay Bouselham aurait été depuis longtemps recouvert par le sable, si les indigènes n’avaient pris la précaution de l’entourer d’un mur très haut. Une porte d’entrée est pratiquée sur la face Sud de ce mur, et pour accéder au tombeau, le pèlerin descend un escalier de quatre marches et suit un plan incliné très large qui encadre le Siyyed de trois côtés. Dans la cour ainsi formée par l’encadrement des murs qui protègent le mausolée on rencontre une petite mosquée à demi enfouie sous le sable, ainsi que deux constructions qui auraient été édifiées par un caïd des Chaouïa qui s’était réfugié dans le « horm » du Siyyed pour échapper aux rigueurs du sultan Moulay Abderrahman et qui vécut là jusqu’au jour où il fut pardonné.
Sur la colline qui domine le chenal et à proximité immédiate du sanctuaire de Moulay Bouselham, d’autres koubbas ont été édifiées. Ce sont celles de Si Mohamed El Ayachi, de Sidi Ahmed Châhed, de Si Djillali ben Abdallah, de Sidi Kadour et de Lalla Hajja.
Le premier de ces « ouali » aurait été un jurisconsulte éminent. Le second originaire des Oulad al-Meçbâh, aurait ordonné d’un geste de sa main le naufrage d’un navire chrétien qui pourchassait un navire corsaire et qui était sur le point de l’aborder. Ce miracle lui aurait d’ailleurs valu de gros désagréments. Les autres « ouali » en effet, jaloux de la puissance de Sidi Ahmed Châhed et craignant que sa baraka ne grandisse trop, décidèrent d’un commun accord de lui supprimer la vue, mais grâce à l’intervention du Cheikh qui le protégeait, on ne lui creva qu’un seul œil.
Si Djillali ben Abdallah était également Meçbâhi. C’était l’élève de Sidi Ahmed Châhed dont il aurait épousé la fille. Sa koubba abrite une chambre sombre où séjournent des gens possédés par les « jnoun ».
Quant à Sidi Kaddour et à Lalla Hajja, ils appartiendraient à la famille de Si Djillali ben Abdallah.L’indigène qui vient en pèlerinage ne manque pas de visiter tous ces sanctuaires avant de venir se recueillir auprès de celui de Moulay Bouselham. Après cela, il va visiter les cinq grottes ou « kheloua » qui existent dans l’amoncellement rocheux qui borde le chenal. Il y a là la « kheloua sghira », la « kheloua » de Si Driss et de Si el Hadj Meçbâhi, celle de Si Salem, celle de Moulay Abdelkader, celle enfin de Sidna Youssef, qui, d’après la légende, aurait provoqué la venue dans le pays de Moulay Bouselham. Dans cette dernière grotte, les pèlerins sucent les pointes de quelques maigres stalactites, d’où il sort parfois une goutte d’eau.
Ces grottes ne semblent renfermer aucun tombeau. Elles paraissent être simplement des endroits où ceux qui leur ont donné leur nom, venaient adorer Dieu dans une solitude propice à un parfait recueillement.
Peut-être, si des fouilles étaient pratiquées, ferait-on d’intéressantes découvertes. C’est, en effet sur cette colline sacrée où voisinent koubba, et kheloua, que d’après Tissot, les phéniciens auraient fondé la ville de Mulétacha, dont parle Pline.Mais Moulay Bouselham n’est pas uniquement un lieu de pèlerinage. Le charme de ce site, la douceur de son climat pendant la saison chaude, la présence d’une vaste plage de sable blond, qui offre aux baigneurs une sécurité qu’on ne retrouve nulle part ailleurs sur la côte marocaine, la présence aussi de l’immense « lac bleu » aux eaux tranquilles, de la forêt des Oulad Oguil toute proche, en font un lieu d’attractions du plus grand intérêt non seulement pour les riches familles indigènes qui ne détestent pas de goûter aux charmes de ce site reposant, mais aussi et surtout pour la majorité des Européens de la région du Gharb.
Une route, en voie d’achèvement destinée à remplacer l’ancienne piste, très accessible elle-même aux automobiles y conduit à peu près directement de Souk el Arba.En période de chasse, on y fait une ample moisson de cols-verts, de canards sauvages, de bécassines et de courlis. Quant aux amateurs de pêche, ils sont servis à souhait. La merdja ez-Zerga dont la superficie moyenne est d’environ 18 km² en pleine eau et de 12 km² en eaux moyennes est en effet très poissonneuse, si bien qu’elle permet à quelques centaines de familles des douars situés à ses alentours, de vivre presque uniquement de la pêche.
Auparavant le Makhzen affermait le droit de pêche dans la lagune. C’était ainsi qu’en 1925, M. Braunschwig bénéficia d’une concession pour l’exploitation de la lagune. Par la suite, il fut question de créer un monopole au profit d’une société qui s’engagerait à créer sur place, une vaste organisation de pêche. Après enquête des autorités le projet fut abandonné et une sage et heureuse décision, sanctionnée par un arrêté viziriel accorda l’exclusivité de la pêche en merdja aux douars riverains.
Presque jusqu’à ces derniers temps, les pêcheurs de la lagune utilisaient exclusivement pour leur industrie des « mâadias » qui sont de curieuses embarcations en forme de pirogue, fabriquées avec les joncs que l’on trouve à profusion autour de la merdja et qui rappellent, en plus petit, certains esquifs de même fabrication en usage en Afrique centrale dans la région de Logone. La « mâadia » est généralement montée par deux hommes qui se tiennent debout, l’un à l’arrière qui pousse l’embarcation avec une longue perche, l’autre à l’avant qui pêche, la plupart du temps à l’épervier. Ces frêles esquifs dont il ne reste plus quelques rares spécimens sont appelés à disparaître complètement.Grâce à la sollicitude du gouvernement, les pêcheurs de l’endroit ont en effet reçu dernièrement deux embarcations de 4 mètres et un superbe filet, outillage qu’ils ont depuis complété par l’achat d’autres filets et d’autres embarcations et qui leur permet désormais de travailler dans de meilleures conditions qu’auparavant.
Ils pêchent aussi au trident, soit en piquant dans les petits fonds aux endroits où avec leurs pieds, ils découvrent des soles, soit en lançant leur trident tout comme un harpon et avec une adresse consommée sur des poissons qui évoluent dans l’eau.
Si le poisson est abondant, le nombre des espèces est assez limité. On trouve en effet dans la merdja, en très grande quantité des mulets, des anguilles, des soles et en moins grand monde des bars ou loups, des sars ou sargues, des ombrines, et c’est tout.Cette limitation des espèces résulte du fait que l’eau lagunaire par suite des apports d’eau douce de l’intérieur, notamment des apports de l’Oued Drader, qui se jette dans la merdja n’a pas la même salinité que l’eau de mer. Seules les espèces rustiques que nous venons de citer peuvent y vivre.
La salinité est encore plus réduite lorsque d’aventure au cours d’une tempête le déversoir à la mer se trouve obstrué par le sable. L’eau amenée par l’Oued Drader et les ruissellements d’eau de pluie tout autour de la lagune élèvent alors le niveau liquide et les indigènes qui voient leurs pâturages submergés, se réunissent par centaines pour ouvrir un chenal dans les sables accumulés par la tempête et rétablir une communication permanente entre la lagune et la mer.
C’est une opération qui nécessite parfois de longs jours de travail.Avec tous ces attraits, toutes ces ressources Moulay Bouselham est appelé à devenir dans un proche avenir, une remarquable station estivale, non seulement pour les populations de la région de Souk el Arba, mais aussi pour celles des régions d’El Ksar, d’Arbaoua, d’Ouezzan, d’Aïn Defali, d’Had Kourt, de Mechra bel Ksiri, de Petitjean, trop éloignées de Tanger ou de Mehedya pour pouvoir se rendre, pendant la saison chaude, dans ces stations estivales déjà équipées. Déjà nombreuses sont les familles qui fuyant les rigueurs du chergui vont camper en été sur la plage de Moulay Bouselham où la brise est toujours fraîche. Certaines y ont même édifié des installations définitives, et il n’est pas douteux que leur exemple sera suivi par beaucoup. Une société est d’ailleurs en formation pour l’aménagement rationnel de ce coin en une véritable station balnéaire.
Souhaitons donc bonne chance à Moulay Bouselham !

Plage de Moulay Bouselham vers 1950
Le contrôleur civil Antona a mentionné dans son texte les écrits de Michaux-Bellaire sur Moulay Bouselham.
En 1906 Georges Salmon et Édouard Michaux-Bellaire publient dans les Archives Marocaines une étude sur Les tribus arabes de la vallée du Lekkous. Dans ce texte ils consacrent à Moulay Bouselham un paragraphe d’une vingtaine de pages intitulé Moulay Bouselham et son pèlerinage.
Moulay Bouselham, écrivent-ils, est le plus grand saint du Gharb, du Khlot, du Tliq, en un mot des régions de plaines qui s’étendent de la vallée du Lekkous à celle du Sebou, et son pèlerinage est l’occasion de véritables foires annuelles qui donnent à cette région de la Zerga une animation inaccoutumée.
Le vrai nom du saint serait Sidi Abou Saïd Al-Maçry, surnommé Abouselham « le père au manteau », du nom du vêtement qu’il portait.
Originaire d’Égypte, d’où son surnom Al-Maçry (l’Égyptien), Abou Saïd se serait signalé très jeune par des miracles et aurait quitté son pays natal à la suite d’une aventure fâcheuse avec le sultan de son époque. Parti dans la direction du couchant avec l’idée fixe d’atteindre la « Petite Porte », Bâb es-Sghir, ermitage ou était enterré Joseph (Youssef) fils d’Aristote et qui lui était indiqué comme le rendez-vous des Sages, il aurait mené une vie errante et misérable à travers l’Afrique du Nord, s’arrêtant d’abord à Tunis, puis repartant avec son compagnon Abdaljelil Et-Tayyâr, qu’il devait laisser malade en Meçmoûda, jusqu’à ce qu’il aurait atteint les ruines de Tchemmich, « temple du Soleil », Al-Aräîch où il aurait rencontré le Cheikh El-Azraq « aux yeux bleus », puis Et-Tayyâr lui- même, en train de pêcher dans la mer. Il aurait été enseveli avec ses deux compagnons, sur le bord de la merdja Ez-Zerga.
Salmon et Michaux-Bellaire estiment qu’il est bien difficile de discerner ce qu’il y a de vrai dans cette légende : « peut-être est-elle sortie tout entière de l’imagination populaire, si l’on en croit certains auteurs, toutes les légendes conservées par les traditions populaires sur Moulay Bouselham ne seraient que des contes, sans aucun fondement, et le vrai nom du saint aurait été Ahmed ben Abdallah ben Solaîmân, chérif hassany. Il est à remarquer que nos Manaqib* le donnent aussi comme chérif hassany, et appellent son père ‘Abdallah ben ‘Ali ben Al-‘Acy ».
*En 1905 Georges Salmon avait traduit des Manâqib trouvés à El Qçar et qui contenaient toute la légende « de cet énigmatique personnage connu sous le nom de Cheikh Moulay Bouselham ». Les manâqib sont des œuvres biographiques à caractère élogieux dans lesquelles les mérites, les vertus et les actes remarquables de l’individu concerné sont mis en évidence).
Ils ajoutent : « La vie de Moulay Bouselham est donc très obscure et le passage assez concis que lui consacre As-Salaouy An-Nâciry dénote la pénurie des données historiques qui aient subsisté sur ce personnage. Nous ne pouvons mieux faire, pour présenter l’histoire après la légende, que de reproduire intégralement la notice de l’Istiqça : « À cette époque (l’an 344 de l’hégire, 955-956 de J.-C.), vivait le CheIkh Aboû Saïd Al-Maçry, très connu sous le nom d’Abou Selham. C’est un des plus grands saints du Maghrib. Son célèbre mausolée, situé à Machra al-Hadar, sur le bord de la mer, est surmonté d’une coupole admirablement construite, artistement sculptée et peinte, aux carreaux de faïence multicolores. Dans sa Mirat al-Mahâsin, Aboû Abdallah Mouhammad Al-‘Arby Al-Fäsy s’exprime ainsi : Sur la tombe du Cheikh Aboû Selham, du côté de la tête, il y avait une planche dorée portant cette inscription : Voici les trois tombeaux parmi lesquels le Dieu Très-Haut a caché celui d’Abou Saïd, dit Aboù Selham, dont le décès eut lieu un peu après l’année 340.
« Et Aboû Abdallah ajoute : Ensuite les Chrétiens descendirent là une fois ; ils enlevèrent la planche et l’emportèrent. – Il dit encore : Le surplus de l’année 340 était indiqué sur la planche, mais je l’ai oublié. Dans tous les cas, c’était un chiffre qui ne dépassait pas le nombre 7, et le Dieu Très-Haut est le mieux renseigné. »
La koubba où reposent les restes de Moulay Bouselham se trouve à l’extrémité du territoire Tliq, au bord de l’Océan, près du chenal qui fait communiquer la mer avec la merdja ez-Zerga, « le lac bleu ». Bâti sur une dune de sable, le tombeau du marabout en aurait depuis longtemps été complètement recouvert, si on n’avait pris la précaution de l’entourer d’un mur de maçonnerie qui arrête l’envahissement du sable. Une porte d’entrée est pratiquée dans le mur, sur la face Est (Antona parle de la face Sud), et on descend par un escalier dans l’emplacement réservé entre le mur et le tombeau. La porte du tombeau se trouve du côté de la mer, à l’Ouest. Pour s’y rendre, les pèlerins, après avoir descendu l’escalier, tournent à main droite, s’arrêtent devant une petite mosquée bâtie dans l’angle du mur à droite, et, de là, continuent toujours dans la même direction jusqu’à la porte du marabout. Ils regagnent l’escalier en revenant sur leurs pas.
Cette promenade rappelle un peu celle des pèlerins autour de la Kaaba à la Mecque. D’ailleurs, dans la croyance des Marocains du Nord. Moulay Bouselham partage avec Moulay Abdesselam ben Mchîch, du Djebel Alem en Beni Aroûs, le privilège que ceux qui y ont fait sept pèlerinages ont rempli l’obligation religieuse, el-fard, comme s’ils avaient fait le pèlerinage de La Mecque. Le hadith du Prophète n’a-t-il pas dit : « Il viendra après moi un homme surnommé par son vêtement : il sera originaire de la ville de Maçr et son tombeau sera au Maghrib. Vous lui devrez le pèlerinage : celui qui l’aura visité, ce sera comme s’il m’avait visité moi-même. Ce sera un pèlerinage plus petit. »
Salmon et Michaux-Bellaire se demandent « par quel phénomène ce personnage obscur, venu d’Égypte au Maghrib vers 340 de l’hégire, à la recherche de Bâb es-Sghir et de la retraite d’un sage, est-il devenu un des marabouts les plus vénérés du Maroc, et son tombeau le centre du pèlerinage le plus fréquenté depuis Tanger jusqu’au Sebou ?
Sans doute l’emplacement de son tombeau et la configuration du pays, qui offre des plaines magnifiques, tant pour les campements que pour le développement de la cavalerie, y sont pour quelque chose, ainsi que les sources nombreuses et le voisinage de la mer et de la merdja qui donne au paysage un cachet tout particulier, à proximité des plus riches villages et des districts les plus fertiles de la province du Gharb. Mais celte raison ne doit pas être la seule, et il semble qu’on doive retrouver encore, dans le moussem de Moulay Bouselham, un souvenir des anciens moudjahidin qui s’étaient placés sans doute sous la protection du marabout égyptien et qui avaient choisi la vaste plaine qui l’avoisine comme un de leurs lieux de réunion.
La proximité de la mer et du chenal de la merdja ez-Zerga, qui était un excellent point de débarquement surtout à l’époque des moudjahidin où il n’était pas obstrué comme il l’est aujourd’hui par les sables, semble confirmer cette hypothèse. On peut encore remarquer la présence auprès de Moulay Bouselham des Oulad Ach-Châhed, fraction des Oulad Al-Meçbâh. L’illustration des Oulad Al-Meçbâh est tout entière dans les guerres saintes contre les chrétiens ; leur nom même, les fils du veilleur, de celui qui reste jusqu’au matin, ne vient-il pas de ce que l’ancêtre de cette famille veillait sur un point de la côte avec un zèle admirable, ou, ce qui paraît plus probable encore, les Oulad Al-Meçbâh, qu’on pourrait appeler alors les « fils de la veille » n’étaient-ils pas à l’époque des guerres contre les chrétiens une compagnie de gens de diverses origines, organisée le long de la côte pour veiller et empêcher le débarquement des infidèles ? Les Oulad Al-Meçbâh sont répandus en effet tout le long de la côte de l’Océan, depuis le Sebou jusqu’à Al-Aräich, dont la patronne est Lalla Mennûna Al-Meçbahya.
La guerre contre les chrétiens et la défense du territoire musulman contre leurs invasions a été, pendant plusieurs siècles, la principale, pour ne pas dire l’unique préoccupation de toutes les populations du Nord-Marocain, surtout dans les régions avoisinant la mer. Il semble donc probable que c’est à l’influence des moudjahidin qu’Aboû Saïd Al-Maçry dit Bouselham doit son illustration.
Il ne s’agissait pas d’ailleurs de défendre seulement le territoire en empêchant le débarquement, mais de piller les navires qui passaient au large et de se partager le butin. Moulay Bouselham était peut-être un point de ralliement, un lieu de réunion pour les pirates : la proximité de la merdja, où leurs barques pouvaient se mettre à l’abri, permet de le supposer, et la baraka du saint était sans doute bienfaisante aux corsaires. On raconte dans le pays que, à l’instar de certains habitants des côtes de Bretagne, ceux de la côte marocaine allumaient des feux la nuit pour attirer les navires dans les rochers et les piller avec facilité. On pourrait également retrouver dans ces feux de nuit, allumés jusqu’au matin, l’étymologie du mot meçbah, employé au Maroc pour désigner les lampes de mosquée qui brûlent toute la nuit. Les ancêtres des Oulad Al-Meçbâh auraient été les allumeurs de ces feux ; le marché annuel du moussem de Moulay Bouselham aurait comme origine, d’une part, la réunion des moudjahidin et, de l’autre, la vente, par les pillards riverains, du butin accumulé pendant l’année.
MIchaux-Bellaire et Salmon concluent leur article par une description du moussem tel qu’il se déroulait au début des années 1900 :
Il y a deux moussems de Moulay Boû Selhâm, ou plus exactement deux amâra, comme on dit dans le pays. Ces deux amâra ont lieu d’ailleurs à peu de jours de distance l’une de l’autre, à la fin du printemps, avant le commencement des récoltes, c’est-à-dire au moment des plus beaux jours de l’année.
La première amâra, qui est de beaucoup la plus importante, celle qui est réellement connue sous le nom de Amâra de Moulay Bouselham, est celle que l’on appelle l’Amâra des Daâf qui se prétendent, à tort d’ailleurs, descendants de Moulay Bouselham, et il nous a été impossible de retrouver le lien qui les rattache à ce marabout ; il est probable qu’ils ont été autrefois ses premiers serviteurs, de là le privilège qu’ils ont conservé de fixer l’époque de son moûssem et d’en toucher les bénéfices.
Le premier jour est toujours un vendredi et le rendez-vous est au marché du Djouma’a de Lalla Mimoûna Taguenaout. De nombreux pèlerins accourent à l’appel des Daâf, de tous côtés, du Gharb tout entier, du Khlot, du Tliq, des Beni Hasan, des Cherarda, des Cheraga, des tribus berbères telles que Zemmoûr et Guerouân, et des villes de Tanger, Al-Araïch, Tétouan, El-Qçar, Fès, Meknès et Rabat.
On peut évaluer à plus de vingt mille le nombre des pèlerins, et la belle plaine du Djouma’a de Lalla Mimouna se trouve couverte instantanément d’une quantité innombrable de tentes de toutes les formes, depuis les koubbas et les oulâq des caïds et des grands personnages jusqu’aux guïatin (plur. de guaitoun) en toile de sacs des pauvres gens, en passant par les tarrabya pointues de la petite bourgeoisie. Beaucoup de pèlerins amènent leurs femmes et leurs enfants, et c’est dans cette ville improvisée une animation et une vie extraordinaires.Dès le jeudi soir, la fêle commence pour les chanteurs, les chanteuses, les danseuses et aussi les voleurs qui sont nombreux et dont les méfaits donnent lieu à de fréquents incidents. Les gouverneurs du Khlot et du Tliq, et aussi ceux du Gharb, sont tous présents, ainsi que certains caïds ou khalifa des Beni Hasan, et assurent de leur mieux la police.
Les confréries sont également réunies comme pour une cérémonie officielle : Aissaoua, Hamadcha, Djilala, Guennaoua des villes et des tribus environnantes se rendent tous au pèlerinage avec leurs moqaddem et leurs bannières. Les Touhâma de la dechra de Lalla Mìmouna se joignent à eux.
Le vendredi commence le jeu de la poudre – lab el baroud ou lab el-khail – : on voit alors les escadrons de cavaliers de toutes les tribus, avec leurs plus beaux chevaux, leurs plus beaux harnachements, brodés d’or et de soie, se livrer à des galops effrénés et rivaliser de luxe et d’adresse devant les femmes qui les encouragent et les excitent de leurs you-you stridents.
Les femmes elles-mêmes font étalage de leurs plus belles parures. Briller à l’amâra de Moulay Bouselham, c’est pour la plupart le rêve de toute l’année, et, pour le réaliser beaucoup se ruinent ou à peu près. Qu’importe le lendemain, du moment où les femmes, sous la tente ou à la fontaine, se racontent que « Foulân ben Foulân » Un tel, fils d’Untel était le plus beau avec son fin haïk de laine blanche, monté sur un cheval noir comme la nuit, avec une selle vert pâle brodée d’or qui « enlevait la raison »!
Les pèlerins restent au Djouma’a le vendredi et le samedi. Le dimanche matin, on lève le camp et tout le monde se met en marche dans un désordre indescriptible. Bêtes chargées, gens à pied, femmes portant leurs enfants sur leurs dos ou les tirant par la main, confréries musiques en tête et bannières déployées : tous avancent pêle-mêle. Sur les flancs de cette multitude colorée et bruyante, des escadrons de cavaliers aux plus vives couleurs et plus bruyants encore chargent à fond de train, reviennent sur leurs pas et repartent au galop après avoir fait recharger leur fusil par un serviteur ou par un esclave.
Le dimanche soir, le camp est planté sur l’Oued Drader, au Machra al-Hadar, où on couche. Ce n’est que le lundi matin qu’on se met en route pour Moulay Bouselham. Le campement s’étend alors du Machra al-Hadar à Ain Tiçouât et à Moulay Bouselham ; on trouve même des tentes jusque sur l’autre rive du chenal, près de Sidi Abdeljelil Et-Tayyar.
Vers dix heures du matin ont lieu au marabout les sacrifices de bœufs et de moutons, qui se continuent jusqu’au mardi. Les animaux sacrifiés sont le bénéfice des Daâf, des tolba et des Oulad Al-Meçbâh (Oulad Ach-Châhed) de la Zaouïa d’Ain Tiçouât. Les offrandes en numéraire sont le bénéfice des Daâf qui se les partagent. Il n’est pas besoin de dire que tous ces partages donnent lieu à de terribles luttes, qui sont parfois sanglantes et même mortelles, surtout lorsque les Drehmyìn, dont l’âmara suit celle des Daâf, veulent prendre leur part des offrandes que ces derniers considèrent comme étant encore leur bien. Pendant ces deux jours passés sur les bords de la Merdja, les pèlerins ont accompli la visite rituelle à la koubba de Moulay Bouselham, sont allés sucer la stalactite de la grotte – kheloua – où se trouve enseveli le corps de Joseph – Youssef – fils d’Aristote et ont été déposer des offrandes aux tombeaux des Oulad Al-Meçbâh des alentours.
À partir du mercredi matin, les pèlerins se dispersent les uns après les autres et il ne reste plus que quelques familles aisées qui prolongent leur partie de campagne. Beaucoup de gens des villes ne viennent même qu’à ce moment avec leurs femmes, leurs enfants et leur domesticité, afin de ne pas se trouver au milieu du tohu-bohu de la grande amâra.
C’est alors qu’a lieu l’amâra des Drehmyin. Ceux-ci habitent entre la Merdja et la Qaryat el-Habassy. Ils sont également zouïa des Beni Malek, et il nous a été également impossible de trouver le lien qui les rattache à Moulay Bouselham.
Leur petite amâra est restreinte à Moulay Bouselham lui-même, sans passage par le Djouma’a de Lalla Mimoûna et n’est fréquentée que par les retardataires de l’amâra des Daâf.
Il ne faut pas oublier le côté commercial du moussem.
Le Souq el-Djouma’a de Lalla Mimoûna bat son plein le vendredi, premier jour de l’amâra. Musulmans et Juifs y apportent toutes les marchandises susceptibles de tenter les pèlerins et leurs femmes et il s’y fait de fortes dépenses. Pour beaucoup, surtout pour ceux qui viennent de régions éloignées des villes et des grands marchés, le moussem de Moulay Bouselham est une occasion d’acheter tapis, étoffes, foulards, babouches d’hommes et de femmes, bijoux, bracelets, selles, vêtements confectionnés et une foule d’objets de luxe et même usagés, tels que plateaux, chandeliers, bouilloires de cuivre, réchauds, etc., qu’on ne trouve pas dans les campagnes : en un mot une occasion de renouveler les objets de ménage et d’habillement.
Pour nourrir toute cette foule, il faut des approvisionnements : une nuée de boutiquiers étalent leurs victuailles en plein vent ou sous la tente. On trouve de véritables rues bordées de cafés, de bouchers, de marchands de pain, de viande rôtie (méchoui), de saucisses de bœuf haché (kefta), de sucreries, de gâteaux au miel, de beignets à l’huile (sfendj) et autres friandises.
Les boutiques des Juifs ne peuvent pas naturellement dépasser le Djouma’a, les abords de Moulay Bouselham et des Oulad Al-Mecbâh étant horm, interdits aux Juifs comme aux Chrétiens, mais ils sont avantageusement remplacés par des commerçants musulmans de Salé, de Rabat, d’El-Oçar et de Fès qui viennent spécialement, avec une grande quantité de marchandises, pour suivre le pèlerinage.
Depuis deux ans, (1904) l’état troublé du pays n’a plus permis à l’amâra du Moulay Bouselham d’avoir lieu. Ce grand mouvement commercial s’est arrêté. Les gens du Gharb occidental, refoulés par les incursions des Beni Hasan, se sont rabattus sur Al-Aräich ; les Tliq et les Khlot, brouillés, ont choisi la plaine d’El-Qçar comme champ de bataille.
Les abords du « Lac bleu » ne sont plus troublés que par les cris des hérons et des flamants qui s’appellent entre les roseaux. Les tribus du Sebou et du Lekkous attendent, avec les moissons fructueuses, la sécurité et la paix, pour reprendre leur vie normale, empreinte de tant de simplicité, de naïveté et de poésie.
Michaux-Bellaire écrit en 1908 : « Nous avons cherché souvent, Salmon et moi, à déchiffrer l’énigme de ce singulier personnage, convaincus tous les deux, que les croyances populaires répandues à son sujet, et ses Manâqib n’étaient que des légendes sans fondement sérieux, mais rien dans les renseignements que nous pouvions recueillir dans le pays, ne nous mettaient sur la voie de l’origine probable de Moulay Bouselham, et nous ne pouvions que constater l’importance considérable dont il jouit encore dans la région du Gharb et le véritable culte dont il est l’objet ».
Michaux-Bellaire après la mort de Salmon (août 1906) a poursuivi ses recherches et à l’occasion d’un arrêt aux Oulad Mousa en face des Beni Gorfet, il apprend par un habitant que dans un bouquet d’oliviers au sommet d’un pic des Beni Gorfet, existent les ruines de Dar Moulay Bouselham, une maison qui selon la tradition locale aurait été l’habitation de Moulay Bouselham et que c’est un lieu de pèlerinage.
La présence de cette ruine portant le nom de Dar Moulay Bouselham dans la tribu des Béni Gorfet lui rappelle l’opinion de Salmon qui laissait entrevoir l’existence de tout un cycle de légendes historiques, véritable épopée chérifienne des Idrissites persécutés et déchus de leur pouvoir.
C’est en 317 de l’Hégire que les Idrissites s’enfuirent de Fès devant les persécutions de Mousa Ibn Abil’Afya et vinrent s’établir à Hadjrat An Naçr, en Beni Gorfet. Le personnage connu sous le nom de Moulay Bouselham et qui est mort vers 340 Hégire, pourrait très bien être un Chérif Idrissite ayant quitté le refuge de Hadjrat An Naçr pour chercher peut-être à réunir des partisans ou pour toute autre raison, et qui, pour échapper aux persécutions dont les Idrissites étaient l’objet, aura déguisé son origine et son nom, sous la forme du personnage annoncé par le hadith du Prophète : il viendra après moi, un homme, tirant son surnom de son vêtement – Abou Selham -, il sera originaire de Maçr, et son tombeau sera au Maghreb ».
Les Manâqib traduits par Salmon font passer Abou Selham par le Sahel d’Acila (Arzila) puis, de là, aux Saints (Ridjal) de la maison du soleil, endroit connu sous le nom de « Ridjal Ach Chomeis » (Tchemmich), puis enfin par Al-Arâich. Or le Sahel d’Acila est exactement en face, au sud-ouest de Dar Moulay Bouselham et la route suivie par le saint serait celle qu’il faudrait suivre, pour aller de cette partie des Beni Gorfet à Larache en évitant la plaine qui devait être occupée par les partisans de Abil’Afya. Peut-être également Abou Selham n’était-il pas parti seul des Beni Gorfet et les tombeaux des Ridjal Ach Chomeis ne sont-ils pas les sépultures d’autres Chorfa, ses compagnons qui auraient été tués dans une rencontre, d’où il aurait pu échapper, seul ou à peu près ? Telle est l’hypothèse émise par Michaux-Bellaire.
En 1921, Édouard Michaux-Bellaire a publié dans la revue France-Maroc un article intitulé Moulay Bouselham, texte extrait de La légende dorée marocaine, ouvrage en préparation par Éd. Michaux-Bellaire, mais dont je n’ai pas trouvé trace de la publication. Dans cet article il rapporte la légende (ou une des légendes ) de ce curieux personnage.
Il s’appelait, dit-on, Abou Saïd l’Égyptien et il était connu sous le nom de Bou Selham, l’homme Selham.
Le Prophète, sur lui la Bénédiction et le Salut, a dit : « Il viendra après moi, un homme qui sera surnommé du nom de son vêtement ; il naîtra en Égypte, et sera enterré au Maghreb. Celui qui ira en pèlerinage à son tombeau, aura les mêmes mérites, et les mêmes grâces que celui qui aura visité mon propre tombeau. »Lorsque Dieu voulut faire naître Abou Saïd, celle qui allait être sa mère raconta à son frère Aboubekr E’-Mouti, que le vendredi précédent il faisait très chaud et qu’elle avait très soif ; elle entendit une voix qui disait : « O Fathma, prends bien soin de celui que tu portes dans ton ventre, c’est un saint parmi les saints de Dieu », et cependant elle était seule ; elle entendit de nouveau une voix qui venait de son propre ventre et qui disait : « O ma mère, en vérité, l’ange qui vient de te parler est envoyé par le Maître des mondes ; bois donc et ne crains rien », et elle but quoique ce fut le troisième jour du Ramadan, le mois de jeûne.
« Cet enfant doit être celui dont a parlé le Prophète », dit Aboubekr. Bou Selham naquit quelques jours avant la fête de la rupture du jeûne ; mais il refusa de prendre le sein, parce que, disait-il, il voulait accomplir l’obligation du jeûne de Ramadan.À l’âge de cinq ans, il refusait de jouer avec les enfants de son âge : « Je n’ai pas été créé pour jouer, disait-il, mais pour adorer mon Maître. Dieu a dit : « Je n’ai créé les génies et les hommes que pour m’adorer ». Et il pleurait tous les jours. Sa mère inquiète lui ayant demandé la cause de ses larmes. Il lui dit : « O ma mère, Choaib, le prophète de Madian, a tant pleuré qu’il en est devenu aveugle ; mais Dieu lui a rendu la vue. »
Quand sa mère mourut, Abou Saïd cessa de pleurer. À ceux qui s’en étonnaient, il répondit : « Seul doit être pleuré celui qui a adoré Dieu dans la solitude ». Toute son ambition était de se retirer loin du monde pour adorer Dieu, pour réciter le Coran dans l’obscurité de la nuit et pour jeûner. Une tradition du Prophète rapportée par Kab d’après Abou Ouaqqâç dit : « Sur le rivage de la mer, à Bâb es-Sghir, « la Petite Porte », au Maghreb, se trouve un ermitage près duquel est la tombe de Youssef, fils d’Aristote, le maître des Sages et maître d’Alexandre, alors qu’il avait 450 ans et où le Khadir fit la prière devant une assemblée de gens dont il s’était fait l’Imam – le lieu s’appelle l’ermitage du Maître des Sages.
Abou Saïd, ayant lu cette tradition, s’écria : « O mon Dieu, permets-moi d’arriver jusqu’à cet ermitage ». Lorsqu’il plut à Dieu de lui accorder cette faveur, voici comment son intervention se manifeste pour lui faire quitter l’Égypte et le faire parvenir au Maghreb. Abou Saïd possédait un seul palmier et par la volonté de Dieu, ce palmier fut cette année-là couvert de dattes d’une manière extraordinaire et vraiment miraculeuse. L’Émir d’Égypte, informé de ce phénomène, alla lui-même pour goûter de ces dattes et les trouva plus douces que le miel et plus fraîches que la neige : il fit appeler Abou, Saïd et lui offrit cent dinars pour son palmier. Abou Saïd refusa et s’enfuit. L’Émir se fit alors apporter des dattes ; la première qu’il mangea était plus douce que le miel, la seconde était amère comme la coloquinte et après l’avoir mangée l’Émir se sentit mal et ne tarde pas à mourir. Pendant ce temps Abou Saïd était arrivé à Tunis, où il portait de l’eau et du bois pour gagner sa vie ; mais il distribuait aux pauvres tout le pain et qu’il achetait, si bien qu’il ne lui il en resta pas un seul morceau.
Il alla alors trouver l’Émir de Tunis et lui dit : « J’ai faim ». « Que veux-tu ? Abou Saïd » lui dit l’Émir. « Je veux un panier de prunes et un vase de bon vin ». On les lui donna. Mais Abou Saïd se dit en lui-même : « O homme matériel, tu penses à manger ces prunes et à boire ce vin, alors que la faim est ce qu’il y a de plus méritoire ». Et jetant les prunes dans le vase de vin, il agita le tout jusqu’à en faire une véritable bouillie qu’il versa sur la tête de l’Émir. Celui-ci le fit fouetter jusqu’au sang et, quelque temps après, un homme qu’il rencontra, lui ayant demandé quel mobile l’avait poussé à un acte semblable, il répondit : « C’est la rançon de ma personne ». Aussitôt, il entendit une voix qui disait : « N’exigez pas de rançon de vos personnes, Dieu connaît les mérites de chacun ». Abou Saïd sortit de Tunis, et continua sa marche à la recherche de la Petite Porte. Il rencontra en route le savant imam Sidi Abdeljelil Et-Tayyar (qui a la faculté de voler dans l’air) ; ils poursuivirent ensemble leur chemin dans la direction de la Petite Porte où est enterré Youssef fils d’Aristote le Sage et où le Khadir a dirigé la prière. Après avoir marché longtemps, ils arrivèrent dans le pays du Maghreb à un endroit appeler Meçmouda ; là Abdeljelil tomba malade et Abou Saïd, continua seul son voyage, en suivant le bord de la mer, à la recherche de Bâb es-Seghir.
Il arriva ainsi au Sahel d’Arzila puis un peu plus loin aux tombeaux des Ridjal Tchommich, les saints de la ville ensoleillée. (Tchommich ou Tchomis, c’est le nom actuel de l’emplacement de l’ancienne ville de Lixus sur la rive droite du Lekkous). Il y avait quarante-cinq tombes d’ascètes de l’Orient et du Maghreb, qui étaient à la recherche de la Petite Porte et qui s’étaient arrêtés là pour prier Dieu, et y étaient morts. Abou Saïd invoqua Dieu sur leurs tombes, et continua sa route ; il passa le fleuve (le Lekkous) et entra dans la ville de Larache, toujours préoccupé de découvrir la Petite Porte. Il aperçut de loin un homme qui avait les yeux bleus et tous les traits d’un prophète : son corps paraissait délicat, son haleine était douce et son visage resplendissant ; il portait des vêtements rapiécés. C’était le Cheikh Abderrahman El-Azraq. Abou Saïd le salua ; le Cheikh lui rendit son salut et lui dit : « Sois le bienvenu, victime de l’Émir. – Prends-moi comme serviteur, lui dit Abou Saïd – O Abou Saïd, répondit le Cheikh Abderrahman, comment peux-tu parler ainsi, toi qui es le maître de la Petite Porte, toi que le prophète nous a particulièrement désigné. – « Comment cela ? » dit Abou Saïd. – Le prophète a dit : « Il viendra après moi un homme qui portera le nom de son vêtement ; il sera originaire d’Égypte, et son tombeau sera au Maghreb. Celui qui le visitera une seule fois aura les mêmes grâces que celui qui me visitera soixante-dix fois. » Et ils continuèrent ensemble à marcher le long de la mer ; ils aperçurent un pêcheur qui jetait son filet : « Si je ne savais pas qu’Abdeljelil est mort, dit Abou Saïd, je dirais que c’est lui ». Quand ils se furent approchés, ils entendirent cet homme qui disait : « Ce que Dieu veut, il le peut », puis les salua respectueusement et avec joie et il se mit à pleurer : c’était Abdeljalil Et-Tayyar. « Tu es arrivé avant moi à Bâb es-Seghir et à l’Ermitage, Abdeljelil ». – « Oui, Abou Saïd, grâce à la puissance de Dieu ». – « Et que fais-tu ici ? ». « Tu vois, je pêche des poissons », et il plongea sa main dans l’eau et la sortit chargée de poissons : il y en avait un attaché à chaque poil de sa main. Abou Saïd fit alors avec son selham signe à la mer de le suivre et marchant vers l’intérieur des terres, il fut suivi par les flots de l’océan qui, franchissant la petite porte, se répandirent dans les temps que l’on appelle encore aujourd’hui la Merdja Ez-Zerga, la lagune bleue : « O Abou Saïd, lui dit Abderrahman El-Azrak, dis à la mer de s’arrêter pour que les habitants de soient pas noyés. Abou Saïd ordonna à l’océan de s’arrêter et il s’arrêta, puis il bénit l’eau qui emplissait la lagune en disant : « O mon Dieu, fais de ces poissons un remède contre tous les maux et bénis-les ; que la bénédiction et la guérison soient accordées par cette eau jusqu’au jour du jugement dernier ». Puis Abou Saïd, Abderrahman El-Azraq et Abdeljelil Et-Tayyar entrèrent dans la grotte où est enterré Youssef fils d’Aristote et s’y livrèrent à la dévotion.
Un jour, pendant qu’ils récitaient ensemble le Coran, Abderrahman El-Azraq se mit à pleurer et tomba mort. Ses compagnons, profondément tristes, cherchaient à se procurer un linceul pour l’ensevelir, lorsque plusieurs étrangers apparurent porteurs d’un linceul. Le Cheikh Abou Saïd se mit à sangloter et tombe mort également. Abdeljelil resté seul avec les étrangers s’occupa avec eux, de laver les corps et de les ensevelir. Ils venaient de creuser les tombes lorsqu’un vent violent se leva, amenant des nuages noirs, qui causèrent des ténèbres profondes : ils ne voyaient plus rien. L’obscurité dissipée ils virent trois tombes creusées et trois cadavres qu’ils enterrèrent sans savoir qui était le troisième. Les étrangers disparurent et le Cheikh Abdeljelil resté seul vécut encore huit jours, pleurant et priant jour et nuit. Avant de mourir il traversa le chenal qui relit la Zerga à la mer : c’est là que se trouve son tombeau.Moulay Bouselham mourut vers l’an 340 de l’hégire (J.-C. 951). Son tombeau sur la rive droite du chenal de la Merdja Ez-Zerga dans le Gharb, connue également sus le nom de Merdja de Moulay Bouselham, est encore un sanctuaire très vénéré. Tous les ans au printemps, on y célèbre un grand pèlerinage qui est en même temps une véritable foire, où les gens des tribus les plus éloignées, se réunissent pour faire des sacrifices, au tombeau du Saint.
Toute la plaine qui s’étend de Lalla Mimouna Taguenaout à Aïn Tiçouat et à Machra al-Hadar est couverte de tentes d’où les femmes, vêtues de leurs plus beaux atours, regardent galoper les cavaliers. Les marchands de Fès, de Meknès, de Rabat, et d’Ouezzan, vendent leur tissus de laine et de soie, des selles brodées d’or et de bijoux ; des musiciens de la montagne jouent leurs airs de danse et de bravoure avec des tebbals et les ghaitas, ceux des villes accompagnés de violons et de guitares, chantent des airs d’Andalousie. Pendant trois jours dans cette ville improvisée c’est la gaieté et la joie sous l’invocation de Moulay Bouselham qui n’a laissé ni enfants ni disciples, dont la vie n’est qu’une légende et dont la véritable origine n’est pas connue. Sa grande ombre mystérieuse s’étend sur le pays et le protège.
Dans son texte de 1921, Michaux-Bellaire semble avoir abandonné l’éventualité où Abou Selham pourrait être un Chérif Idrissite en fuite. A-t-il remis en cause la version (insuffisamment étayée ?) de l’habitant des Oulad Mousa au sujet des ruines du Dar Moulay Bouselham ? A-t-il préféré conserver la légende la plus répandue d’Abou Saïd Al Maçry (l’Égyptien) qui propose un récit qui fait appel au merveilleux et éviter de casser la baraka de Moulay Bouselham : le moussem aurait alors perdu en partie son caractère de pèlerinage périodique pour n’être qu’une fête printanière ?

Moulay Bouselham : le marabout. Détail. Cliché Rouget possible