Khamsa selon la technique du pays Aït Ouaouzguit : fil d’argent limitant les parties où sont fondus les émaux de couleur. (Bijoux marocains et berbères du Maroc. Jean Besancenot).
J’ai trouvé cet article d’Ahmed Sefrioui, sur la main de Fathma, publié le 7 janvier 1947 dans le « Courrier du Maroc », quotidien de Fès et sa région.
Si Ahmed Sefrioui est un fassi authentique, né en 1912 (ou 1915 selon les sources) à Fès, de parents originaires de Sefrou où son père était un modeste artisan d’extraction berbère.
Après l’école franco-arabe du quartier, où il entrevoit pour la première fois des connaissances plus larges, plus ouvertes, que celles reçues dans le Msid (école coranique), il entre au Collège Moulay Idriss de Fès qu’il fréquente de 1930 à 1935.
Il reçoit en 1947 le prix littéraire du Maroc pour son premier roman « Le chapelet d’ambre » où il parle de la médina de Fès. Si Ahmed Sefrioui était un des animateurs et des conférenciers de l’ « Alliance française » et de l’association « Les Amis de Fès ». Écrivain de revues, Sefrioui, se fait lire régulièrement dans « TAM » (L’hebdomadaire de l’Empire), dans « Cahiers du Sud » (revue littéraire) et dans la page littéraire du « Courrier du Maroc ».
J’ai souvent l’occasion d’entretenir des amis de passage de mon pays et spécialement de ma ville. Ils viennent tous de loin et désirent tout savoir. Ils m’interrogent avec avidité. Il y a des natures généreuses, pour qui tout est sujet à l’émerveillement, d’autres qu’une vaine curiosité travaille, d’autres enfin qui viennent, qui m’interrogent dans le désir sincère de comprendre. Je les aime tous, ils m’apportent une bouffée d’air du pays que je ne connais pas et dont l’appel, de jour en jour plus pressant, me rend malade de nostalgie.
Mes chers amis de quelques jours, parfois de quelques heures, ma peine est grande de vous savoir souvent déçus ! J’ai honte de mon ignorance. Je ne désire nullement éblouir mais simplement renseigner, vaincre le doute.
Récemment j’ai eu l’occasion de promener une charmante femme qui pour la première fois visitait la médina. Dans plusieurs ateliers et boutiques d’artisans ma compagne remarqua l’empreinte en noir ou en couleur d’une main, les doigts largement écartés.
– N’est-ce pas ce dessin que vous nommez « main de Fathma » me demanda-t-elle ?
– Oui, répondis-je.
Je mentais. Je le savais bien, cette main symbolique ne s’appelle pas ainsi du moins au Maroc. Mais l’usage de cette appellation est si répandu chez les Européens que mon interlocutrice m’aurait sûrement trouvé prétentieux et ridicule si j’avais donné le nom exact.
– C’est bien contre le mauvais œil que vous vous servez de ces signes ?
– Oui, Madame.
– Quelle est l’origine de cette superstition ?
– Je l’ignore, Madame.J’ai vu que la dame n’était pas très satisfaite de cette réponse. J’ai essayé de rattraper la gaffe et me lançais dans l’explication d’une théorie sur les symboles et les pentacles qui dégénèrent souvent lorsque les personnes non autorisées s’en emparent et en font des recettes de basse cuisine, des formules de charlatans. La dame ne m’écoutait plus.

Khamsa berbère dite « luha » (planchette). La forme de la main est découpée dans une plaque de métal. Un deuxième élément porte bonheur, la salamandre, est surajouté en relief. (Bijoux marocains et berbères du Maroc. Jean Besancenot).
Que faire pour mériter de nouveau la sympathie de cette charmante visiteuse ?
J’ai écrit un mot sur la fameuse main de Fathma et pensé le lui envoyer mais j’avais oublié de lui demander son adresse. Voici donc ces lignes.
N’en veuillez pas à mon érudition, elle a pour excuse d’être toute fraîche grâce bien entendu à de bons livres que je tâcherais de ne pas mentionner par secret professionnel et surtout pour ne pas trahir une tradition courante chez les érudits du monde entier. Ils se pillent mutuellement, vivent souvent des morts sans jamais prononcer un nom. Noble vertu que la discrétion. Suivons l’exemple de nos ainés. Comme il se doit commençons par l’historique.
L’origine du pouvoir attaché à la main se perd dans la nuit des temps. Ce signe se retrouve parmi les gravures rupestres relevées dans certaines grottes de l’Afrique du Nord, on le rencontre fréquemment de même sur les stèles puniques de Tir et de Carthage.
Il serait bon de rappeler qu’il est souvent question dans la Bible de la puissance de la main de Dieu. Un auteur qui semble bien informé rapporte qu’au sixième siècle la main ecclésiastique permettait aux évêques de rechercher dans les maisons tout ce qui rappelle le rite païen.
La main d’un pendu ou d’un décapité, séchée et préparée se transformait en sortilège infaillible pour découvrir les trésors. Elle rend aussi lorsqu’ils opèrent, les voleurs invisibles.
La main votive est accrochée pieusement dans les églises, après de nombreuses prières pour obtenir une grâce de Dieu.
La main, reliquaire en argent, avec deux doigts repliés, figurant la bénédiction liturgique se garnit d’ossements des bienheureux martyrs de la foi.
La main de justice, verge surmontée d’une main d’ivoire sert avec le sceptre et la couronne d’attributs au prince royal depuis Hugues Capet jusqu’à Louis X le Hutin.
Je ne voudrais pas surtout que des esprits malveillants m’accusent de vouloir prouver que les superstitions attachées à la main viennent d’Occident. Telle n’est pas mon intention. Je l’atteste en mon âme et conscience. L’universalité de ce symbole ne fait pas de doute. Quant à sa signification, elle change non pas selon les latitudes comme on pourrait le croire mais bien plutôt suivant l’importance du rayon de lumière qui pénètre l’âme de tel ou tel individu.
Pour moi il serait toujours possible de tout niveler, de tout démocratiser, pour employer le langage de mon temps. Mais les âmes conserveront en dépit de nos efforts une hiérarchie immuable. Le cerveau assimile mais c’est l’âme qui comprend.En terre d’Islam il y aura toujours une catégorie de personnes qui considèreront « El Khamsa », la main de Fathma comme un talisman effectif contre les mauvaises influences. Elle la porteront en breloques, en sautoir, taillée dans l’or et l’argent, gravée et ornementée, peinte sur la carrosserie des camions ou des cars. La « Khamsa » sera peinte sur le mur de la maison, à la porte de l’atelier, dans la cour des bains publics mais il y aura aussi le « fqih » qui ne s’arrêtera qu’au symbole numérique : la main représente le chiffre cinq ; les cinq prières ; les cinq principes fondamentaux de l’islam ; les cinq éléments etc.

Penture « Khamsa » en cuivre gravé. Mosquée des Andalous Fès (Ferronnerie du Maroc. P.F. Bailly 1950)

Penture « Khamsa ». Ancienne médina de Casablanca. (Ferronnerie du Maroc. P.F. Bailly 1950)
J’ai eu le bonheur de rencontrer un homme de Dieu : « La main, me dit-il, représente le nom d’Allah. Regarde la paume de ta main gauche : le petit doigt un « alif », l’annulaire et l’auriculaire deux « lams », l’index et le pouce le « ha » ouvert tel qu’on l’écrit dans le mot Allah lorsque l’on s’en sert comme support de méditation.
Cette façon d’interpréter les signes me séduit, je n’ai plus rien à ajouter.

Le nom d’Allah (schématisé en arabe) avec de droite à gauche : un « alif », les deux « lams » et le « ha » formé par l’index et le pouce, en méditation. Je pense que l’interprétation du fqih reste fonctionnelle même si votre main gauche a un « majeur » en lieu et place du deuxième auriculaire !